Assistance administrative en matière fiscale avec la France : le secret professionnel de l’avocat couvre-t-il ses comptes bancaires ?

Dans le cadre d’une procédure d’assistance administrative en matière fiscale, la Suisse est en droit de refuser de remettre à la France de la documentation relative au compte bancaire d’un avocat, si cette dernière est couverte par le secret professionnel de l’avocat. Le compte bancaire d’un avocat ouvert au moyen d’un formulaire R – par lequel un avocat déclare à la banque qu’il ne sera pas l’ayant droit économique des avoirs car il s’agira d’avoirs qui lui seront confiés dans l’exercice de son mandat – est présumé couvert par le secret professionnel de l’avocat.

I. En fait 

    Le 25 avril 2017, le Parquet national financier de la République française ouvre une enquête préliminaire contre l’avocat A pour fraude fiscale aggravée, travail dissimulé et blanchiment. A est soupçonné d’avoir encaissé en Suisse des honoraires d’avocat dus en France via des comptes bancaires non déclarés. Dans ce contexte, la France sollicite l’entraide pénale de la Suisse et le Ministère public du canton de Genève l’accorde en mars 2019. A forme un recours auprès du Tribunal pénal fédéral, qui le déclare irrecevable. 

    Le 17 décembre 2019, la Direction générale des finances publiques française adresse quatre demandes d’assistance administrative en matière fiscale à l’Administration fédérale des contributions suisses (AFC), visant A et son épouse B et fondées sur la clause d’échange de renseignements contenue dans la convention de double imposition avec la France. Durant cette période, A figure au tableau des avocats de l’Union européenne dans le canton de Fribourg. 

    Par ordonnance de production du 14 janvier 2020, l’AFC demande à plusieurs banques de transmettre les renseignements demandés. Dans ce contexte, la Banque E transmet la documentation relative à un compte professionnel ouvert par A au moyen d’un formulaire R – soit le formulaire par lequel un avocat déclare à la banque qu’il ne sera pas l’ayant droit économique des avoirs car il s’agira d’avoirs qui lui seront confiés dans l’exercice de son mandat. 

    Le 30 avril 2020, A et B informent l’AFC qu’ils s’opposent à toute transmission d’informations à la France, invoquant notamment le secret professionnel de l’avocat. Le 26 juin 2020, l’AFC accorde l’assistance à la France, considérant que le secret professionnel ne permet pas de bloquer la transmission de documents détenus par des banques. A et B recourent devant le Tribunal administratif fédéral (TAF) contre cette décision. 

    Le 8 novembre 2021, la France adresse une nouvelle demande à l’AFC après qu’A et B ont engagé une procédure de régularisation fiscale, sans toutefois justifier certains virements sur le compte ouvert à la Banque E. Celle-ci transmet les informations à l’AFC. Le 10 janvier 2022, A et B s’y opposent.

    Le 25 février 2022, l’AFC rejette cette demande et accorde à nouveau l’assistance. A et B forment recours. Le 8 février 2023, le TAF confirme l’assistance administrative, mais admet partiellement le recours : il ordonne à l’AFC de caviarder le nom d’une personne physique figurant dans la documentation bancaire, car il révèle un mandat d’avocat couvert par le secret professionnel. 

    L’AFC et les époux A et B forment recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral (TF) contre cette décision. 

    II. En droit 

      S’agissant du droit applicable, le TF relève qu’en l’espèce, l’assistance administrative est régie par l’art. 28 de la Convention du 9 septembre 1966 entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (CDI CH-FR) ainsi que par le chiffre XI du Protocole additionnel, introduit par l’art. 10 de l’Avenant (c. 5.1). 

      Sur le plan interne, l’exécution en Suisse de l’assistance administrative en matière d’échange de renseignements sur demande est réglée par la loi fédérale sur l’assistance administrative internationale en matière fiscale (LAAF). 

      D’une part, l’AFC fait valoir dans son recours une violation de l’art. 28 § 3 let. c CDI CH-FR et de l’art. 8 al. 6 LAAF : selon elle, ces dispositions se limitent à permettre à un avocat de refuser de transmettre des renseignements qui sont en sa possession et ne s’appliquent pas aux renseignements qui sont en possession d’une banque (c. 10). 

      D’autre part, les époux A et B soutiennent que la transmission de leurs données bancaires viole l’art. 8 CEDH en tant que ces données concernent l’activité professionnelle et commerciale d’A. Pour étayer leur propos, ils s’appuient sur l’arrêt CourEDH Brito Ferrinho Bexiga Villa-Nova c. Portugal du 1.12.2025, § 56 et 59 (c. 10). 

      Afin de traiter ces griefs, le TF structure son raisonnement en plusieurs étapes, résumées ci-après en cinq points : 

      1. A est-il soumis au secret professionnel de l’avocat selon le droit suisse ? 

        En tant qu’avocat inscrit au tableau des avocats des États membres de l’Union européenne du registre du canton de Fribourg durant la période visée par les demandes de la France, A était soumis au secret professionnel de l’avocat en Suisse (art. 13 LLCA et 30 al. 2 LLCA) (c. 10.2). 

        2. Le secret professionnel de l’avocat couvre-t-il les comptes bancaires d’un avocat ?

          Pour répondre à cette question, le TF s’intéresse tout d’abord à ce que prévoit la CDI CH-FR sur le sujet (c. 11 – 11.2). 

          Selon l’art. 28 § 3 let. c CDI CH-FR, les dispositions des § 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un État contractant l’obligation de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l’ordre public. Par conséquent, cette disposition permet à l’État requis de refuser d’échanger des renseignements vraisemblablement pertinents comme le prévoit le § 1, si ceux-ci révèleraient un secret commercial, industriel, professionnel, ou un procédé commercial, et ce même si l’État requérant s’est engagé à maintenir le secret (§ 2). Elle ne lui interdit cependant pas d’échanger de tels renseignements (ATF 148 II 336, c. 9.4.1 à 9.4.3) (c. 11.1). 

          La notion de secret professionnel de l’avocat au sens de l’art. 28 § 3 let. c CDI CH-FR inclut le secret professionnel de l’avocat. La définition des secrets couverts par le secret professionnel de l’avocat est du ressort du droit interne des États mais doit néanmoins être comprise de manière étroite. Le secret ne peut protéger que les renseignements obtenus par un avocat agissant dans l’exercice de ses fonctions typiques et il ne peut être invoqué de manière abusive (c. 11.2). 

          Le TF examine ensuite l’étendue de la notion de secret professionnel de l’avocat sous l’angle du droit suisse (c. 12 – 12.4). 

          Le secret professionnel de l’avocat ne couvre que les informations obtenues dans le cadre de son activité typique (ATF 147 IV 385, c. 2.2). Il ne vise pas à protéger l’avocat auteur ou complice d’une infraction (TF 1S.31/2005 du 6.2.2006, c. 2.4) et ne peut pas être utilisé par un client pour mettre en lieu sûr des documents en les confiant à son avocat (ATF 117 Ia 341, c. 6cc). Les comptes bancaires détenus par un avocat peuvent contenir des renseignements protégés par son secret professionnel (c. 12.1). 

          Les comptes bancaires qu’un avocat ouvre au moyen du formulaire R (aussi appelés « comptes clients » ou « comptes professionnels » ou « comptes de dépôt ») servent à séparer les fonds de ses clients de son propre patrimoine, conformément à ses obligations professionnelles (art. 12 let. h LLCA), et impliquent que l’avocat ne sera pas lui-même l’ayant droit économique des valeurs patrimoniales portées en compte. Ces comptes, qui sont exclusivement liés à l’activité typique de l’avocat, sont protégés par le secret professionnel et sont exclus de l’échange automatique de renseignements fiscaux. Cependant, cette protection repose sur la présomption que le compte bancaire est effectivement utilisé conformément à sa finalité. Si l’avocat en détourne l’usage – en y déposant par exemple des revenus personnels – les informations du compte ne bénéficient alors plus du secret professionnel de l’avocat et peuvent faire l’objet d’investigations. Par ailleurs, s’agissant des autres comptes bancaires d’un avocat, ils ne sont pas automatiquement couverts par le secret professionnel. Ils ne le sont que s’ils contiennent des informations en lien avec l’exercice typique de sa profession, comme des mentions de clients dans les relevés liés aux paiements d’honoraires (c. 12.2 – 12.4).  

          3. Dans le cadre d’une procédure d’entraide administrative fiscale, un avocat peut-il se prévaloir de son secret professionnel afin de s’opposer à la transmission de la documentation bancaire ? 

            Au sens de l’art. 8 al. 6 LAAF, les avocats qui sont autorisés à pratiquer la représentation en justice aux termes de la LLCA peuvent refuser de remettre des documents et des informations qui sont couverts par le secret professionnel. Cette disposition ne s’applique qu’aux documents qui sont en possession de l’avocat (c. 13.1). 

            La LAAF ne contient par conséquent pas de disposition spécifique permettant à un avocat de s’opposer à la transmission de renseignements couverts par son secret professionnel lorsqu’il est lui-même visé par une demande d’assistance administrative. Cela étant, lorsque les informations sont transmises à l’AFC par une banque, en exécution d’une ordonnance de production (art. 10 al. 1 LAAF), cela ne signifie pas pour autant que l’avocat est privé de la possibilité de faire valoir son secret professionnel pour empêcher la transmission des documents concernés. Cette protection du secret professionnel de l’avocat s’appuie également sur l’art. 8 CEDH, qui accorde une protection renforcée aux échanges entre l’avocat et ses clients en raison de sa mission fondamentale de défense des justiciables (c. 13.2 – 13. 3). 

            Toutefois, en cas de soupçon de fraude fiscale, la consultation des extraits de comptes bancaires d’un avocat dans le but de rechercher des preuves peut être considérée comme une ingérence justifiée au sens de l’art. 8 § 2 CEDH. Dans ces circonstances, il conviendra cependant de laisser la possibilité à l’avocat de participer à la procédure et de faire valoir ses arguments en lien avec le secret professionnel (arrêt CourEDH Brito Ferrinho Bexiga Villa-Nova c. Portugal du 1.12.2025, § 56 et 59) (c. 13.3). 

            Le TF en déduit que la CDI CH-FR permet à l’État requis de ne pas transmettre des renseignements couverts par le secret professionnel de l’avocat, pour autant qu’ils concernent une activité typique de celui-ci et que le secret ne soit pas invoqué abusivement. Par conséquent, l’avocat visé peut, dans le cadre de son droit d’être entendu, signaler à l’AFC les éléments bancaires protégés par son secret professionnel. En outre, les informations relatives à un compte ouvert via un formulaire R sont présumées couvertes, sauf en cas d’usage abusif (c. 14). 

            4. L’arrêt attaqué respecte-t-il les principes encadrant la protection du secret professionnel de l’avocat ? 

              L’arrêt attaqué confirme la transmission de l’ensemble de la documentation bancaire recueillie au sujet d’A et B, mais ordonne à l’AFC de caviarder l’unique nom d’une personne physique apparaissant dans les relevés du compte bancaire ouvert à l’aide du formulaire R (c. 15). 

              Selon le TF, bien que le compte bancaire ouvert via le formulaire R soit en principe couvert par le secret professionnel de l’avocat, cette protection ne peut pas s’appliquer dans le cas présent en raison de nombreux dépôts suspects de chèques anonymes, ce qui est difficilement compatible avec l’usage professionnel attendu de ce compte. Ce constat, renforcé par les soupçons de fraude fiscale à l’encontre d’A, justifie la transmission de la documentation bancaire, à l’exception des noms des personnes physiques et morales mentionnées dans les relevés, qui doivent être caviardés car présumés couverts par le secret professionnel. S’agissant des autres comptes bancaires détenus par A, le simple fait que ce dernier ait invoqué de manière générale le secret professionnel, sans apporter d’éléments concrets, ne suffit pas à empêcher la transmission de la documentation. Dès lors, la transmission complète de ladite documentation bancaire est justifiée (c. 15.1 – 15. 2). 

              5. Conclusion 

                Partant, le recours du couple A et B est partiellement admis : l’AFC devra également, le cas échéant, caviarder le nom des deux personnes morales qui, selon le recours des époux A et B, apparaissent dans les relevés du compte professionnel d’A (c. 16). 

                III. Commentaire 

                  Cet arrêt s’inscrit dans la lignée des précédentes jurisprudences du TF sur la question du secret professionnel de l’avocat (notamment ATF 147 IV 385), qu’il contribue à préciser de manière claire et structurée en opérant une distinction entre les comptes bancaires bénéficiant automatiquement de la protection du secret professionnel de l’avocat lorsqu’ils sont ouverts au moyen d’un formulaire R, et ceux qui n’en bénéficient pas. On relèvera que dans ce type de cause, le TF mène un exercice d’équilibre délicat entre, d’une part, les intérêts de la Suisse en matière de coopération fiscale internationale, et, d’autre part, la garantie des droits fondamentaux – en l’espèce, la protection du secret professionnel de l’avocat. 

                  Au-delà de la clarté du raisonnement proposé, on peut saluer le pragmatisme de la solution retenue. La présomption de protection accordée aux comptes bancaires ouverts via le formulaire R permet d’alléger la charge de la preuve de l’avocat, tout en laissant la porte ouverte à une levée de cette protection en cas d’usage abusif. 

                  Proposition de citation : Hélène Rodriguez-Vigouroux, Assistance administrative en matière fiscale avec la France : le secret professionnel de l’avocat couvre-t-il ses comptes bancaires ?, in : https://www.crimen.ch/340/ du 2 juillet 2025