L’ordonnance de classement au contenu violant la présomption d’innocence

La présomption d’innocence (art. 32 al. 1 Cst. et art. 6 § 2 CEDH) est violée lorsqu’une ordonnance de classement indique que la personne qui en bénéficie a tenu des propos qui « sont clairement attentatoires à l’honneur » et peuvent être qualifiés de diffamation (art. 173 CP) et d’injure (art. 177 CP).

I. En fait

B dépose une plainte pénale visant A en raison de moqueries en relation à sa personne et ses origines, de pressions, ainsi que de l’humiliation ou du harcèlement que A ferait subir à B. 

Le 8 décembre 2021, le Président du Tribunal des mineurs vaudois classe la procédure dirigée contre A, tout en retenant dans l’ordonnance de classement que « les propos qui ont été tenus sont clairement attentatoires à l‘honneur et peuvent être qualifiés de diffamation (article 173 ch. 1 CP) et d’injure (article 177 al. 1 CP) » et que « force est de constater que A a tenu des propos blessants pour B […] susceptibles de constituer une atteinte à la personnalité sur le plan civil (article 28 ss CC) ». Une indemnité de CHF 7’431.30 – réduite en raison du fait que son comportement est à l’origine d’une partie de la procédure pénale – est allouée à A.

Saisie d’un recours de A contre cette ordonnance, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du Canton de Vaud le rejette par arrêt du 2 mai 2021.

A interjette recours au Tribunal fédéral en concluant au retranchement des deux phrases précitées et à l’allocation d’une pleine indemnité à forme de l’art. 429 CPP.

II. En droit

Le Tribunal fédéral retient que le recours est recevable en tant qu’il est dirigé contre une décision sur une prétention en indemnisation fondée sur l’art. 429 CPP. Il est du même avis s’agissant de la conclusion visant le retrait des deux phrases de l’ordonnance. Quand bien même la recourante conteste une ordonnance de classement rendue en sa faveur, elle n’agit pas dans le seul but d’obtenir une motivation différente, mais se plaint d’une violation de la présomption d’innocence (c. 1).

Notre Haute Cour traite en premier lieu de la motivation de l’ordonnance de classement. Aux termes de l’art. 430 al. 1 let. a CPP, l’autorité pénale peut réduire ou refuser l’indemnité ou la réparation du tort moral lorsque le prévenu acquitté totalement ou bénéficiant d’une ordonnance de classement a provoqué illicitement et fautivement l’ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci. Il s’agit du pendant de l’art. 426 al. 2 CPP en matière de frais. Les deux dispositions sont corrélées, car une mise à charge des frais selon la dernière disposition exclut en principe le droit à une indemnisation (c. 4.2 2e par.). Une condamnation aux frais doit toutefois respecter la présomption d’innocence (art. 32 al. 1 Cst. et art. 6 § 2 CEDH), en ce sens qu’une telle décision ne doit pas laisser entendre que le prévenu libéré serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Elle suppose néanmoins un comportement fautif et contraire à une règle juridique se trouvant dans une relation de causalité avec les frais imputés. Par analogie avec l’art. 41 CO, toute norme de comportement peut être prise en considération et le fait reproché doit constituer une violation claire de cette norme (c. 4.3).

En l’espèce, l’autorité inférieure n’a pas décelé de violation de la présomption d’innocence dès lors que le Président du Tribunal des mineurs a retenu que la recourante avait bel et bien envoyé les messages au cœur du litige, de sorte qu’il était fondé à « considérer que les faits étaient susceptibles de tomber sous le coup des art. 173 ch. 1 et 177 al. 1 CP », alors que A a bénéficié d’un classement grâce à la tardiveté de la plainte et la prescription (c. 4.4 2e par.).

Ce raisonnement n’emporte pas la conviction du Tribunal fédéral pour qui les deux phrases en question laissent entendre que la recourante se serait rendue coupable des infractions de diffamation et d’injure, sans que les motifs du classement ne jouent un rôle. Admettant le recours sur ce point et considérant que le constat dans le dispositif d’une violation du principe de la présomption d’innocence suffit (c. 4.5), il poursuit en considérant les propos de la recourante comme constitutifs d’une atteinte à la personnalité de B au sens de l’art. 28 CC. Le comportement de A est donc qualifié de « civilement répréhensible », car violant une règle de l’ordre juridique suisse (c. 4.6 1er par.). L’ouverture de la procédure pénale apparaît en outre dans un lien de causalité avec le comportement illicite et fautif de la recourante (c. 4.6 2e par.). Enfin, la réduction opérée sur l’indemnité n’apparaît pas contrevenir à l’art. 430 al. 1 let. a CPP faute d’explications de la recourante sur un abus du pouvoir d’appréciation par l’autorité inférieure (c. 4.6 3e par).

Le Tribunal fédéral examine dans un second temps le grief de la recourante quant à la quotité de l’indemnité accordée à la recourante, mais l’écarte en niant une violation du droit fédéral (c. 5).

En définitive, le recours est partiellement admis. Dans la mesure où seul un point secondaire est concerné, la cause n’est pas renvoyée à l’autorité inférieure et une pleine indemnité est allouée à la recourante (c. 7).

III. Commentaire

Cet arrêt doit être approuvé, tant le constat de la violation de la présomption d’innocence s’impose à l’évidence à la lecture en tout cas de la première phrase incriminée. Au contraire, l’arrêt cantonal ne « déc[e]l[ant] au surplus pas de violation de la présomption d’innocence » ne manque pas de surprendre compte tenu de l’expression « clairement attentatoires à l’honneur » employée dans l’ordonnance de classement et couplée à la mention des art. 173 et 177 CP devant entrer en jeu pour sanctionner les propos en cause. 

Il ne peut en être dit autant de la seconde phrase se rapportant à une qualification relevant exclusivement du droit civil, ce d’autant moins que le Tribunal fédéral qualifie lui-même le comportement de la recourante comme relevant d’une atteinte à la personnalité au sens de l’art. 28 CC, alors que l’expression utilisée dans l’ordonnance de classement n’est pas aussi affirmative à cet égard.

Sur le plan procédural, cet arrêt illustre la possibilité pour une personne bénéficiant d’une ordonnance de classement de néanmoins la contester, alors même qu’elle équivaut pourtant à un acquittement (art. 320 al. 4 CPP). Avec Gauderon, nous avions d’ores et déjà mis en exergue le fait qu’une ordonnance de classement peut apparaître « culpabilisante » dans certains cas et en particulier dans la constellation des art. 52 ss CP (Gauderon R./Lubishtani K., L’ordonnance de classement des art. 52 ss CP et la qualité pour recourir du prévenu : un acquittement culpabilisant, RPS 2/2020, 163 ss). Cela pose inévitablement la question de la recevabilité d’un recours qui, en principe, n’est pas donnée lorsqu’il vise la motivation d’une telle décision favorable (op. cit., 178 ss).

Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, L’ordonnance de classement au contenu violant la présomption d’innocence, in : https://www.crimen.ch/264/ du 26 avril 2024