La valeur probante d’une démarche expérimentale à la base de l’établissement d’un rapport de police

Afin d’établir l’ampleur d’un trafic de cocaïne, il est possible de se fonder sur un rapport de police basé sur une démarche expérimentale lorsque celui-ci n’apparaît pas entaché de défauts qui seraient, même sans connaissances spécifiques, évidents et reconnaissables.

I. En fait

Par jugement du 27 mars 2023, la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté l’appel de A contre le jugement du 29 septembre 2022 du Tribunal criminel de l’arrondissement de Lausanne qui l’avait condamné à huit ans de peine privative de liberté pour infraction grave à la LStup et blanchiment d’argent. En synthèse, la cour cantonale a retenu qu’entre le début de l’année 2019 et le 6 avril 2021, A s’était livré à un important trafic de cocaïne et de cannabis et qu’il avait stocké EUR 250’000.- provenant du trafic de cocaïne dont il voulait dissimuler la provenance délictueuse. 

A forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral (TF). 

II. En droit

Le recourant conteste le caractère exploitable du rapport de la police scientifique sur lequel la cour cantonale s’est fondée pour estimer la quantité de cocaïne trafiquée. À ce titre, il invoque la violation de l’art. 139 CPP et de l’interdiction de l’arbitraire, au motif que la méthode employée ne serait pas suffisamment fiable et valide d’un point de vue scientifique (c. 1). 

Notre Haute Cour rappelle la doctrine et la jurisprudence en matière de liberté de la preuve. Elle souligne l’absence de numerus clausus des moyens de preuve en procédure pénale et la teneur de l’art. 139 al. 1 CPP. Pour établir la vérité, les autorités pénales sont habilitées à mettre en œuvre tous les moyens de preuve imaginables, même s’ils ne sont pas, ou pas encore, expressément prévus par le CPP. De la sorte, il est possible de prendre en considération de nouveaux moyens de preuve résultant des progrès scientifiques. Le principe de la liberté de la preuve n’implique toutefois pas que le juge puisse s’appuyer sur n’importe quel procédé pour parvenir à la manifestation de la vérité. Le moyen doit être revêtu d’une valeur probante objective suffisante, de telle sorte qu’il permette de cerner la vérité avec un degré de certitude acceptable. Autrement dit, à teneur de l’art. 139 al. 1 CPP, le moyen de preuve envisagé doit être propre à établir la vérité, que cette assurance découle de l’état des connaissances scientifiques ou de l’expérience. Sont ainsi exclus les procédés tels que la magie, les ordalies ou la cartomancie, le détecteur de mensonges, la narcoanalyse et l’hypnose. Il incombe à l’autorité de s’assurer que le moyen de preuve est propre à établir la vérité, à moins que ledit moyen soit prévu par le CPP ou que sa fiabilité soit notoire (BSK StPO-Gless, art. 139 N 28 ; Katia Villard / Fabio Burgener (éd.)Les preuves illicites en droit pénal, Exploitabilité et voies de droit, 2023, 5 s. ; CR CPP-Bénédict, art. 139 CPPN 10 ; Gérard Piquerez/Alain Macaluso, Manuel de procédure pénale suisse, 2011, 337) (c. 1.1.1). 

Le TF évoque ensuite la jurisprudence en matière d’appréciation des expertises en soulignant qu’il n’y a pas lieu de s’en écarter lors de l’appréciation de rapports de police technique et scientifique (CR CPP-Verniory, art. 10 CPPN 41). Dans ce cadre, déterminer si une expertise est convaincante est une question d’interprétation des preuves, que le TF ne revoit que sous l’angle de l’arbitraire. Ainsi, lorsque l’autorité précédente juge l’expertise concluante, le TF n’admet le grief d’appréciation arbitraire que si l’expert n’a pas répondu aux questions posées, si ses conclusions sont contradictoires ou si, d’une quelconque autre façon, l’expertise est entachée de défauts à ce point évidents et reconnaissables, même sans connaissances spécifiques, que le juge ne pouvait pas les ignorer (ATF 141 IV 369,c. 6.1 ; TF 6B_1468/2021 du 28.9.22, c. 1.2.1 ; TF 6B_1271/2021 du 12.9.22, c. 1.2). En matière d’appréciation des preuves et d’établissement des faits, il n’y a arbitraire que lorsque l’autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu’elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (c. 1.1.2 et c. 1.1.3). 

In casu, il ressort du jugement entrepris que dans un local loué par le recourant ont été retrouvés 22 sachets vides. Les sachets ont été numérotés de P001 à P022 ; les 19 premiers sachets étaient positifs à la cocaïne, les trois derniers n’ayant contenu que du chanvre. Sur requête du ministère public, une inspectrice de la Brigade de la police scientifique vaudoise (BPS) avait estimé la quantité de produit qu’avaient pu contenir ces 19 sachets. La démarche expérimentale appliquée par le BPS – bien qu’elle ne se fondait sur aucun protocole scientifique officiel – reposait sur les observations des objets saisis, sur l’expérience acquise dans l’examen des stupéfiants et sur l’application d’un raisonnement déductif et de méthodes d’estimation à décharge du recourant. En particulier, la BPS a mesuré la longueur des arêtes visibles des pains de cocaïne conditionnés sous vide pour estimer leur volume. Au total, les 19 sachets avaient un volume de 15’580 cm3. En raison du fait que la nature du produit de coupage utilisé influence le volume du produit contenu, la BPS a effectué deux types d’estimation : l’une basée uniquement sur le volume de poudre et l’autre tenant compte également de la nature du produit de coupage. Ainsi, la première estimation repose sur une comparaison entre le volume et les dimensions des emballages dans des affaires similaires ; la BPS a estimé que le contenu des 19 sachets était compris entre 19,5 et 25,6 kilogrammes. La deuxième estimation repose sur la nature de la substance de coupage. En utilisant les masses volumiques des produits de coupage les plus fréquemment utilisés, la BPS a estimé que les 19 sachets contenaient entre 19,2 et 23,8 kg de produit. Le TF précise en outre que l’inspectrice a été entendue à deux reprises lors des débats de première instance pour expliquer sa démarche. Le recourant, de son côté, invoque six motifs qui devraient exclure l’exploitabilité du rapport (c. 1.2 et c. 1.3). 

Tout d’abord, le recourant conteste le manque d’expérience de l’inspectrice auteure du rapport de la BPS. Les juges fédéraux rejettent le grief en mettant l’accent sur la formation scientifique suivie par l’inspectrice à l’université et à l’école de police et sur ses quinze années d’expérience professionnelle au sein de la police scientifique (c. 1.3.1). 

Ensuite, le TF se penche sur le grief du recourant qui soulève une violation du principe d’intersubjectivité en raison du fait que l’inspectrice aurait travaillé et opéré seule les observations contenues dans le rapport. Selon notre Haute Cour – sur la base des explications données lors des débats de première instance – l’inspectrice a contrôlé avec au moins une collègue la pertinence de sa méthode avant de l’appliquer aux sachets. Ainsi, il n’apparaît pas que le rapport aurait été entaché de défauts à ce point évidents et reconnaissables que la cour cantonale ne pouvait pas ignorer (c. 1.3.2).  

Par la suite, notre Haute Cour examine le grief soulevé par le recourant concernant une erreur dans un des tableaux contenus dans le rapport. Selon le recourant, la solidité de l’expérience serait mise à mal par l’omission du sachet P011 (respectivement de ses dimensions, puis de son volume) dans le tableau 2 du rapport. Une telle circonstance rendrait impossible le fait de retracer les calculs ayant été opérés dans le rapport. Les juges fédéraux rejettent également ce grief, car les dimensions du sachet se trouvent dans une annexe au rapport et que lors de débats de première instance, le ministère public avait indiqué qu’il s’agissait d’une erreur d’impression et que la pièce qui regroupait toutes les tables annexées au rapport était complète. De ce fait, il est pour le moins inexact de soutenir une impossibilité de retracer les calculs opérés par l’inspectrice pour ce motif (c. 1.3.3). 

Par après, le TF se penche sur le grief concernant l’impossibilité initiale d’effectuer une analyse en raison de quantités de substance insuffisantes dans les emballages en question, ce qui n’aurait pas permis d’effectuer une analyse de la composition des poudres contenues dans les sachets. En particulier, le recourant critique le fait d’avoir écouvillonné les sachets en cause et le fait que ce procédé aurait porté sur tous les sachets sauf le P005. Selon notre Haute Cour, le recourant ne discute toutefois pas du raisonnement suivi par la cour cantonale ; ainsi, il ne satisfait pas aux exigences de motivation prévues aux art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF et est partant irrecevable (c. 1.3.4). 

Le recourant conteste ensuite l’absence d’explication sur la méthode qui a permis d’estimer à 2 kg le volume de chanvre contenu dans les sachets retrouvés. Bien que le TF admette qu’une telle explication ne se retrouve pas dans le rapport, le recourant ne démontre pas en quoi l’appréciation de la cour cantonale serait arbitraire. En effet, cette estimation ne se rapporte pas à la méthode employée pour estimer la masse de cocaïne que pouvaient contenir les sachets. Ainsi, un tel élément ne saurait affaiblir la valeur probante du rapport et le grief doit être rejeté (c. 1.3.5). 

Enfin, le recourant critique le premier tri visuel effectué par l’inspectrice fondé sur l’opacité du plastique des sachets. Ce critère serait dépourvu de caractère scientifique et ne reposerait que sur une sélection arbitraire opérée par l’inspectrice. Les erreurs entre les termes « traces » et « résidus » censées distinguer les sachets opacifiés des autres démontreraient la faiblesse méthodologique du rapport. Ces éléments auraient dû être considérés comme un indice que le rapport n’aurait pas de valeur scientifique ou probante suffisante. L’autorité précédente considère qu’une confusion entre les deux termes était sans incidence sur les conclusions du rapport. Selon notre Haute Cour, bien que les termes utilisés dans le rapport aient pu être confus, l’inspectrice s’en est expliquée lors des débats de première instance. Dans ce cadre, les juges et les parties ont pu examiner les sachets et constater à l’œil nu la différence entre un sachet transparent et un sachet opacifié par la cocaïne, permettant de valider le tri effectué par l’inspectrice. Il ne ressort pas des débats de première instance que le recourant aurait contesté le comptage des sachets ayant été en contact direct avec la cocaïne. Dans un tel contexte, selon le TF, le recourant ne peut pas critiquer la conclusion du rapport sur ce point, alors qu’il n’a émis aucune critique lors de l’examen des sachets en première instance. Ainsi, le grief doit être rejeté (c. 1.3.6). 

Sur la base de ce qui précède, les juges fédéraux arrivent à la conclusion que nonobstant le caractère expérimental de la démarche, le rapport de police n’apparaît pas entaché de défauts qui seraient, même sans connaissances spécifiques, évidents et reconnaissables, de sorte que l’autorité précédente pouvait se fonder sur le rapport pour déterminer l’ampleur du trafic de cocaïne (c. 1.5). Ainsi, après avoir rejeté les griefs de la violation du droit d’être entendu, du principe de la présomption d’innocence et avoir confirmé la quotité de la peine infligée au recourant, notre Haute Cour rejette le recours (c. 2, c. 3 et c. 4). 

Proposition de citation : Basilio Nunnari, La valeur probante d’une démarche expérimentale à la base de l’établissement d’un rapport de police, in : https://www.crimen.ch/265/ du 30 avril 2024