La notification par voie électronique des communications adressées par un tribunal à une partie à la procédure : faculté du premier ou droit de la seconde ?

L’art. 86 al. 1 CPP constitue une Kann-Vorschrift, formulée dans le sens d’une faculté des autorités pénales de recourir à la notification de leurs communications par voie électronique, et non une obligation d’accéder aux demandes des justiciables exprimées dans ce sens. Si la lettre des art. 9 al. 3 et 12 al. 1 OCEI-PCPP n’exclut pas une interprétation en faveur d’un droit des parties à la notification par voie électronique des actes d’une juridiction, ces dispositions ont toutefois pour seul but de concrétiser la loi et l’on ne saurait dès lors excéder le cadre légal tracé par le texte de rang supérieur pour en déduire un droit qu’il ne prévoit pas. Cette situation sera toutefois modifiée avec la concrétisation du Projet Justitia 4.0 sur la numérisation de la justice.

I. En fait

Un avocat impliqué dans une procédure pendante devant la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral requiert de celle-ci qu’elle notifie à son étude l’intégralité de ses communications par voie électronique. Cette requête, formulée en période de pandémie de COVID-19 et fondée sur l’art. 9 al. 3 de l’ordonnance sur la communication électronique dans le cadre de procédures civiles et pénales et de procédures en matière de poursuite pour dettes et de faillite (OCEI-PCPP), est alors rejetée par la greffière en charge, aux deux motifs suivants : la question de la notification électronique relève de la compétence de la Cour dans son ensemble, de sorte qu’il ne saurait y être répondu avant sa prochaine réunion ; le Service informatique étant très occupé à mettre en œuvre un système permettant le télétravail, il n’est actuellement pas en mesure d’assurer l’envoi de chaque communication à l’étude.

Tout en exigeant une décision sujette à recours, l’avocat souligne que sa demande s’adressait à la juridiction du Tribunal pénal fédéral dans son ensemble, alors que la greffière se réfère exclusivement à la cause pendante devant la Cour des affaires pénales. Le Président de la Cour met toutefois un terme à cette requête par pli recommandé, arguant que l’art. 86 CPP et l’art. 8 OCEI-PA ne prévoient qu’une possibilité pour les tribunaux de notifier leurs communications par voie électronique et non une obligation. Or, la Cour des affaires pénales – à l’instar d’ailleurs du Tribunal administratif fédéral et du Tribunal fédéral des brevets – ne souhaite pas recourir à ce moyen, ce d’autant plus que des difficultés techniques peuvent survenir en lien avec les signatures électroniques. En effet, les plateformes de distribution prévues par l’art. 2 OCEI-PCPP et la loi sur la signature électronique ne procurent de signatures électroniques authentifiées qu’aux personnes physiques, à l’exclusion donc des institutions comme la Cour des affaires pénales dont la correspondance devrait dès lors être envoyée par le détenteur d’un compte privé, avec le risque que l’expéditeur ne puisse être identifié.

L’avocat recourt auprès du Tribunal fédéral contre cette correspondance de la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral, respectivement contre ce qu’il considère être une absence de décision de cette juridiction stricto sensu. Le Tribunal fédéral est ainsi amené à se déterminer sur l’existence d’un éventuel droit d’un avocat à la notification électronique des communications qui lui sont destinées en cette qualité.

II. En droit

Sous l’angle de la recevabilité, le Tribunal fédéral constate que la demande du recourant vise à déterminer les modalités de notification des actes du Tribunal pénal fédéral de manière générale et non uniquement dans l’affaire pendante devant lui. Ceci n’est pas sans conséquence sur la nature de la cause, laquelle perd ici son caractère pénal au sens de l’art. 78 LTF. Que l’OCEI-PCPP se fonde sur l’art. 86 al. 2 CPP ne change au demeurant rien au fait que la problématique soulevée est sans lien avec la question de la poursuite ou la répression des infractions. La décision de refus de l’organe judiciaire, en tant qu’elle règle la relation entre un administré et une autorité et l’exécution d’une tâche incombant à cette dernière, relève en effet du droit public et est dès lors susceptible d’un recours selon les art. 82 ss LTF. Pour cette raison, le grief lié au déni de justice au sens de l’art. 94 LTF est sans objet. Les conditions de recevabilité du recours sont enfin intégralement réunies, dans la mesure où le recourant dispose d’un intérêt digne de protection à l’annulation de la décision lui refusant la notification électronique des actes du Tribunal pénal fédéral (c. 1.2.2 à 1.2.4).

Au fond, le Tribunal fédéral rejette l’argument principal de l’avocat selon lequel les art. 9 et 12 OCEI-PCPP consacreraient un droit à la notification électronique d’un tribunal et, en revers, une obligation pour ce dernier d’accéder à une demande formulée en ce sens. Le recourant défend que, si l’art. 9 al. 2 OCEI-PCPP vise la possibilité pour une partie d’accepter ou non le choix de l’autorité de lui transmettre les communications électroniquement, l’art. 9 al. 3 OCEI-PCPP doit quant à lui être compris comme conférant à une partie un droit inconditionnel à la notification par un tel moyen, dès lors que cette disposition lui permet de « demander » qu’il en soit fait usage. Le Tribunal fédéral débute son argumentaire en restituant la substance de l’art. 86 CPP, dont le premier alinéa pose ab initio que « [l]es communications peuvent être notifiées par voie électronique avec l’accord de la personne concernée », le second consistant en une clause de délégation législative en faveur du Conseil fédéral. Le Tribunal fédéral prend alors soin de rappeler que les ordonnances d’exécution d’une loi ont pour seule fin de préciser le contenu et régler le détail des dispositions législatives dont elles doivent assurer la mise en œuvre. Le sens et le but de la loi doivent en revanche être déduits de la loi au sens formel (cf. not. ATF 139 II 460, c. 2.1).

En l’occurrence, la délégation expressément prévue à l’art. 86 al. 2 CPP porte uniquement sur des questions d’ordre technique ou pratique (p. ex. type de signature à utiliser, format des communications et pièces jointes), alors réglées aux art. 9 ss OCEI-PCPP. S’il est vrai que la lettre des art. 9 al. 3 et 12 al. 1 OCEI-PCPP n’exclut pas une interprétation en faveur d’un droit à la notification par voie électronique, ces dispositions ont pour seul but de concrétiser la loi et l’on ne saurait dès lors excéder le cadre légal tracé par le texte de rang supérieur pour en déduire un droit (ATF 126 V 265, c. 4b). La loi s’interprétant avant tout littéralement (ATF 147 III 78, c. 6.4 ; 141 II 280, c. 6.1), il ne fait aucun doute que l’art. 86 al. 1 CPP constitue une Kann-Vorschrift, formulée dans le sens d’une faculté – et non une obligation – des autorités pénales de recourir à la notification par voie électronique (c. 2.4.1).

Cette interprétation de l’art. 86 al. 1 CPP se justifie enfin au regard de la future loi fédérale sur la plateforme de communication électronique dans le domaine judiciaire, qui instaurera, conformément aux précisions du rapport explicatif y relatif de novembre 2020, une obligation de communiquer par voie électronique avec les juridictions pénales, administratives et civiles, ainsi qu’un droit des parties à la notification électronique. Le fait que ce projet de numérisation de la justice consacre expressément un tel droit confirme que ce dernier n’existe pas, pour l’heure, dans le droit positif (c. 2.4.3). Pour toutes ces raisons, le recours doit être rejeté.

III. Commentaire

L’éclaircissement du Tribunal fédéral quant à la portée de l’art. 86 al. 1 CPP est bienvenu, ce d’autant plus qu’à notre connaissance la doctrine ne s’était jusqu’alors jamais exprimée spécifiquement à ce propos dans le domaine pénal. Tout au plus peut-on se risquer à penser qu’en expliquant que l’art. 86 CPP « autorise la communication par voie électronique » lorsque les destinataires y consentent, Alain Macaluso et Guillaume Toffel nient implicitement l’existence d’un droit à la notification électronique (CR CPP-Macaluso/Toffel, art. 86 N 1 et 12). Il peut néanmoins être observé avec le Tribunal fédéral (c. 2.4.2) que la question a en revanche été abordée par la littérature juridique sous l’angle des art. 34 al. 1bis PA, 139 al. 1 CPC et 60 al. 3 LTF, introduits et modifiés du même coup que l’art. 86 al. 1 CPP et dont la teneur est analogue.

Reste que la position de la doctrine majoritaire ne fait que donner davantage de crédit à l’interprétation littérale du Tribunal fédéral, refusant de voir en ces dispositions le fondement d’un droit à une notification électronique au bénéfice des justiciables (cf. not. CR CPC-Bohnet, art. 139 N 7 ; BSK BGG-Bühler, art. 60 N 19 ; BSK ZPO-Gschwend, art. 139 N 1 ; Lorenz Kneubühler/Ramona Pedretti ; in : Christoph Auer/Markus Müller/Benjamin Schindler (éds), VwVG, Kommentar zum Bundesgesetz über das Verwaltungsverfahren, 2e éd., Zurich/St-Gall 2019, art. 34 N 14).

Enfin, en fondant son interprétation sur les normes de rang supérieur et en précisant par là aussi les limites du champ d’application d’une délégation législative en faveur du Conseil fédéral, la Haute Cour lève tout doute potentiellement induit par le texte des art. 9 al. 4 et 12 al. 1 OCEI-PCPP. Un raisonnement juridiquement indiscutable et apportant du reste une précision loin d’être superflue lorsque l’on sait que le rapport explicatif relatif à cette ordonnance évoque, dans sa version allemande et en lien avec les deux dispositions précitées, un « Anspruch auf elektronische Zustellung » (Bundesamt für Justiz BJ, Verordnung über die elektronische Übermittlung im Rahmen von Zivil- und Strafprozessen sowie von Schuldbetreibungs- und Konkursverfahren Erläuternder Bericht, p. 2 ; nous soulignons).

Parce que la question d’un éventuel droit des justiciables à se voir notifier par voie électronique les communications qui leur sont adressées par une juridiction se pose avec une acuité toute particulière en temps de pandémie (durant lequel le travail à distance est à tout le moins encouragé), on peut regretter toutefois que ce jugement du Tribunal fédéral ne se soit pas prêté à quelques considérations sur ces circonstances particulières. Reste de ce fait la question de savoir si, dans le cas où la demande du recourant s’était référée spécifiquement à la cause pendante devant le TPF, la Haute Cour aurait nuancé sa position à la lumière du contexte singulier dans lequel cette requête s’inscrivait. Il n’en demeure pas moins que la formulation clairement potestative de l’art. 86 CPP, de même que les limites de toute délégation législative telles que rappelées à bon escient par le Tribunal fédéral dans cet arrêt, ne sont guère contestables et laissent dès lors difficilement entrevoir la possibilité de parvenir à une conclusion alternative à celle trouvée dans le présent arrêt.

Compte tenu des incertitudes qui apparaissent néanmoins lorsque la problématique traitée par le Tribunal fédéral perd son caractère général, on peut se réjouir à l’idée que celles-ci se dissipent de lege ferenda à la lecture du Projet Justitia 4.0. Ce dernier, qui prévoit l’avènement d’une justice numérisée d’ici 2026, modifiera en tout état de cause la présente jurisprudence, en soumettant les parties impliquées dans une procédure judiciaire à l’obligation de communiquer par voie électronique et en entérinant dans la loi un droit à la notification électronique que le droit positif ne consacre pas encore à l’heure actuelle. En somme, entre la possibilité pour les autorités judiciaires de notifier électroniquement leurs communications aux justiciables qui le sollicitent et l’obligation d’accéder aux demandes formulées dans ce sens, il n’y a qu’un pas, qui ne sera toutefois franchi que lors de la concrétisation du projet Justitia 4.0.

Proposition de citation : Camille Montavon, La notification par voie électronique des communications adressées par un tribunal à une partie à la procédure : faculté du premier ou droit de la seconde ?, in : https://www.crimen.ch/27/ du 17 août 2021