I. En fait
Par jugement du Tribunal de district de Lenzburg du 9 mai 2022, B a été condamné à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à 110 francs avec sursis et à une amende de CHF 2’600.- pour avoir commis plusieurs actes d’ordre sexuel avec un enfant et pour avoir contrevenu à la loi sur les stupéfiants. Le Tribunal a prononcé l’interdiction à vie d’exercer toute activité professionnelle ou non professionnelle impliquant des contacts réguliers avec des mineurs. Il a renoncé à prononcer l’expulsion.
B a formé recours contre ce jugement auprès du Tribunal cantonal argovien, concluant à son acquittement. Le Ministère public de Lenzburg-Aarau a formé un appel joint et a requis la condamnation de B à une peine privative de liberté avec sursis de 8 mois et une amende de CHF 3’000.-, ainsi que son expulsion pour une durée de 5 ans.
Par ordonnance du 22 mai 2023, le Tribunal cantonal a fixé les débats d’appel au 9 juin 2023. A, procureure auprès du Ministère public de Lenzburg-Aarau, a requis un report d’audience. Le Tribunal a rejeté cette demande. Les débats d’appel se sont tenus à la date fixée, en l’absence du Ministère public. Le même jour, le Tribunal cantonal a, d’une part, infligé à A une amende d’ordre de CHF 1’000.-, d’autre part, rendu son jugement dans lequel il constate que l’appel joint du Ministère public est réputé retiré. Compte tenu de l’interdiction de reformatio in pejus, le Tribunal cantonal a retenu qu’il ne pouvait prononcer une peine plus sévère qu’en première instance, ou prononcer l’expulsion. Il a ainsi confirmé la quotité de la peine pécuniaire, réduit l’amende à CHF 2’600.-, et annulé l’interdiction d’activités.
A forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral. Elle requiert principalement l’annulation de la décision lui infligeant une amende d’ordre, subsidiairement que sa nullité soit constatée, et plus subsidiairement que l’amende soit réduite à CHF 100.-. Le Ministère public de Lenzburg-Aarau forme quant à lui recours en matière pénale contre le jugement du Tribunal cantonal, concluant au renvoi de la cause à l’instance cantonale pour que cette dernière fixe une nouvelle peine, prononce l’expulsion de l’intéressé ainsi que l’interdiction à vie d’exercer des activités avec des mineurs.
II. En droit
Après avoir joint les deux procédures qui reposent sur le même complexe de faits et soulèvent les mêmes questions juridiques (c. 1), le TF expose le cadre légal pertinent.
S’agissant du prononcé de l’amende d’ordre, l’art. 64 CPP prévoit de manière générale qu’une amende d’ordre jusqu’à CHF 1’000.- puisse être infligée à titre de mesure disciplinaire. Quelques dispositions spécifiques du CPP réservent également cette possibilité dans le cadre de certains actes de procédure. C’est notamment le cas de l’art. 205 al. 4 CPP pour celui qui, sans être excusé, ne donne pas suite ou donne suite trop tard à un mandat de comparution (c. 4.2.2).
La doctrine considère qu’un cumul des sanctions prévues aux art. 407 al. 1 let. a (fiction de retrait de l’appel) et 205 al. 4 CPP (amende d’ordre) n’est pas approprié (parmi d’autres : CR CPP-Parein/Bichowsky, art. 64N 1 ; BSK StPO/JStPO-Fristknecht/Reut, art. 64N 3). En effet, lorsque la loi sanctionne le défaut non-excusé d’une partie par la perte d’un droit, la procédure ne s’en trouve pas rallongée mais au contraire partiellement voire totalement liquidée. Dans une telle hypothèse, une amende d’ordre à titre de sanction supplémentaire ne se justifie pas. Les juges fédéraux se rallient à cette position (c. 4.2.3 et 4.3). Pour savoir si l’amende d’ordre infligée à A était justifiée, il s’agit donc de déterminer si l’instance inférieure a valablement considéré que l’appel joint du Ministère public a été retiré en raison de son absence aux débats.
Sur cette question, le TF commence par rappeler que la participation du Ministère public aux débats d’appel est obligatoire lorsqu’il a interjeté appel ou appel joint (art. 405 al. 3 let. b CPP). L’art. 407 al. 1 let. a CPP, selon lequel l’appel ou l’appel joint est réputé retiré si la partie qui l’a déclaré fait défaut aux débats d’appel sans excuse valable et ne se fait pas représenter, s’applique pleinement au Ministère public. Une partie ne fait pas défaut lorsqu’elle n’a pas été convoquée valablement ou lorsqu’elle dispose d’une excuse valable (c. 4.2.1).
Lors de la procédure en appel, le Ministère public est en principe représenté par le procureur qui a mené l’instruction. Le TF précise ici sa jurisprudence (cf. ATF 147 V 127 c. 2.1, TF 6B_1349/2020 du 17.3.2021 c. 3.1) en ce sens que le magistrat chargé de l’affaire ne doit pas nécessairement être présent en personne aux débats d’appel, mais peut se faire représenter par un.e autre procureur.e. Partant, la citation à comparaître aux débats d’appel (cf. art. 405 al. 1 cum art. 331 al. 4 CPP), qui n’est rien d’autre qu’un mandat de comparution obéissant aux dispositions des art. 201 ss. CPP (cf. CR CPP-Winzap, art. 331N 6), doit désigner nommément le/la procureur.e qui, à connaissance du Tribunal, représente le Ministère public (cf. art. 201 al. 2 let. b CPP), étant précisé qu’il/elle peut se faire représenter par un.e autre procureur.e (c. 4.2.6).
Il ressort des échanges produits qu’A a informé le Tribunal cantonal que le procureur en charge de la procédure était absent depuis plusieurs mois, mais que son retour était prévu pour le 1er juillet 2023. Ce nonobstant, le Tribunal cantonal a proposé au Ministère public cinq dates d’audience au début du mois de juin 2023. A a immédiatement informé le Tribunal qu’aucune de ces dates ne convenaient aux procureur.e.s du Ministère public et a demandé que l’audience soit fixée après le 1er juillet 2023. Le Tribunal lui a répondu en lui demandant de choisir une date parmi les cinq proposées, en vain. Les débats d’appel ont ainsi été fixés au vendredi 9 juin 2023. Le lendemain, le Ministère public a requis un report d’audience, compte tenu de l’indisponibilité de A pour cause de vacances, ainsi que du procureur en charge du dossier. Il a précisé que la présence d’un.e autre magistrat.e n’était pas non plus possible. La direction de la procédure a rejeté cette requête, faute de justes motifs au sens de l’art. 205 al. 3 CPP, tout en rappelant qu’il était loisible au Ministère public de se faire représenter par un.e autre procureur.e et en rappelant les conséquences légales d’un défaut aux débats d’appel. Quelques jours avant la tenue de l’audience, le Ministère public a une nouvelle fois demandé un report de l’audience, en précisant que le parquet ne se présenterait pas à l’audience du 9 juin 2023 en connaissance des conséquences légales (c. 4.4).
En premier lieu, les juges fédéraux constatent que la citation à comparaître remplissait en l’espèce les exigences de l’art. 201 al. 2 let. b CPP ; en particulier, elle cite nommément A aux débats d’appel, qui représentait alors le Ministère public dans la procédure (c. 4.5.1).
En deuxième lieu, le TF retient, à l’instar de l’instance inférieure, que la demande de report d’audience ne reposait pas sur de justes motifs au sens de l’art. 205 al. 3 CPP. Certes, ce devrait être le procureur qui a mené l’instruction qui représente le Ministère public aux débats. Cela n’exclut toutefois pas, hormis dans les affaires particulièrement complexes et volumineuses – ce qui n’est pas le cas en l’espèce –, que le Ministère public, en tant que partie citée à comparaître, soit représenté par un.e autre procureur.e en cas d’empêchement. Par conséquent, l’absence justifiée de deux procureur.e.s sur les dix qui composent le Ministère de Lenzburg-Aarau ne constitue pas un motif suffisant. Les juges fédéraux concèdent que la fixation d’une audience après le retour du procureur en charge de l’affaire au 1er juillet 2023 n’aurait probablement pas prolongé la procédure de manière excessive. Toutefois, contrairement à ce que soutient le Ministère public, on ne peut pas non plus partir de l’idée, sans connaître les agendas du prévenu, de son représentant et du témoin, que trouver une date postérieure irait de soi. Le Tribunal cantonal était ainsi fondé à faire prévaloir le principe de célérité lors de la fixation des débats d’appel, à plus forte raison vu l’expulsion et l’interdiction d’activités qui menaçaient le prévenu, ainsi que l’audition d’un témoin âgé de 14 ans. Le TF écarte encore l’argumentation du Ministère public qui aurait voulu, en appliquant l’art. 90 al. 2 CPP par analogie, que la date du 9 juin 2023 ne puisse pas être choisie car elle tombait le lendemain d’un jour férié cantonal, le fait que le jour en question fût chômé et les écoles fermées n’étant dans ce cadre pas suffisant (c. 4.5.2-4.5.4).
Troisièmement, les juges fédéraux parviennent à la conclusion que l’instance inférieure a valablement considéré que l’appel joint du Ministère public était réputé retiré (art. 407 al. 1 let. a CPP). Ils précisent que la jurisprudence au terme de laquelle la fiction de retrait n’est possible que si l’on peut déduire de bonne foi du défaut non excusé un désintérêt pour la suite de la procédure, lorsque l’intéressé a conscience des conséquences de son omission et renonce à ses droits en connaissance de cause, n’est pas applicable en l’espèce (ATF 146 IV 286 c. 2.2 ; TF 7B_251/2022 du 8.2.2024 consid. 2.3.1). En effet, cette jurisprudence porte sur la procédure d’ordonnance pénale (art. 355 al. 2 et 356 al. 4 CPP) et vise à assurer à la personne concernée la faculté de soumettre sa cause à l’examen d’un tribunal (TF 6B_667/2021 du 4.7.2022 consid. 2.1). Partant, elle n’est pas transposable aux débats d’appel. En tout état, le désintérêt du Ministère public ressort ici explicitement de son dernier courrier aux termes duquel il s’abstiendrait de comparaître, en connaissance des conséquences légales (c. 4.5.6).
En résumé, le Tribunal cantonal n’a pas violé le droit en considérant que l’appel joint du Ministère public a été retiré. Il ne pouvait toutefois pas combiner cette fiction de retrait avec l’amende d’ordre infligée à A (c. 4.6). Compte tenu de ce qui précède, le TF admet le recours de A et la libère du paiement d’une amende d’ordre, tandis qu’il rejette le recours du Ministère public de Lenzburg-Aarau (c. 5).