Règles de notification lorsqu’un conseil est mandaté : le TF rappelle quelques fondamentaux

Lorsqu’un conseil juridique est désigné par une partie, toute communication des autorités pénales doit être adressée à celui-ci (art. 87 al. 3 CPP), même si un domicile de notification en Suisse est donné pour la partie. Ce n’est que lorsqu’une partie est citée à une audience ou qu’elle doit accomplir personnellement un acte de procédure que la notification intervient directement auprès d’elle, avec copie à son conseil (art. 87 al. 4 CPP). Ces principes sont de nature impérative et valent tant pour la désignation d’un conseil d’office que de choix.

I. En fait

Par jugement du 21 juin 2023, le Tribunal de district de Kulm (AG) acquitte B des infractions de voies de fait et de violation de domicile tout en le condamnant aux frais de la procédure. La partie plaignante A, assistée d’un conseil de choix, est renvoyée à agir devant les autorités civiles pour ses prétentions élevées à l’encontre de B. 

B conteste en appel sa condamnation aux frais de procédure. Sa déclaration d’appel motivée est notifiée personnellement à A, à l’exclusion de son conseil. A est invitée à se prononcer sur l’appel de B dans les 20 jours, conformément à l’art. 400 al. 3 CPP

A ne réagit pas à cet avis. Par courrier du 23 octobre 2023, le Tribunal cantonal constate que A n’est pas partie à la procédure d’appel, faute de s’être prononcé dans les 20 jours.

Par arrêt du 6 février 2024, le Tribunal cantonal d’Argovie confirme le jugement de première instance concernant l’acquittement prononcé, mais condamne A à verser à B une indemnité pour ses frais dans la procédure de 1ère instance, ainsi qu’aux frais de la procédure d’appel. 

A forme recours au Tribunal fédéral, en concluant principalement à l’annulation de l’arrêt du 6 février 2024, ainsi qu’au renvoi de l’affaire à l’instance précédente pour nouvelle décision. 

II. En droit

Le Tribunal fédéral commence par reconnaître la qualité pour recourir de A, dans la mesure où celle-ci se plaint précisément d’avoir été empêchée de participer à la procédure devant le Tribunal cantonal d’Argovie et que l’admission de son recours pourrait avoir une incidence sur le jugement de ses prétentions civiles. En outre, dès lors que l’arrêt attaqué la condamne au paiement d’une indemnité au prévenu et aux frais de procédure, elle est fondée à recourir en matière pénale au Tribunal fédéral (art. 81 al. 1 let. a et b LTF) (c. 1.3). 

Sur le plan factuel, notre Haute Cour relève d’emblée qu’il n’est pas contesté que le conseil de A était formellement l’avocat de cette dernière durant l’ensemble de la procédure de première instance. Une procuration en sa faveur, dûment datée et signée, avait effectivement été versée au dossier. Aucune des parties ne remet également en cause le fait que la déclaration d’appel de B n’a été notifiée qu’à la recourante personnellement, à l’exclusion de son conseil, pourtant mandaté et dont les pouvoirs étaient connus des autorités (c. 2.1). La recourante fait par conséquent valoir que les communications à notifier aux parties ayant désigné un conseil juridique ne peuvent être valablement adressées qu’à ces dernières, de sorte qu’aucun délai ne saurait commencer à courir dans ces circonstances. Une telle irrégularité formelle ne peut être réparée, de sorte que seule l’annulation de la décision attaquée entre en ligne de compte (c. 2.2).

Sur ce point, le Tribunal fédéral rappelle les principes et mécanismes prévus par l’art. 87 CPP en matière de communications aux parties. Si l’al. 2 de cette disposition précise le régime applicable à la partie domiciliée à l’étranger, l’al. 3 précise que les communications des autorités sont valablement notifiées à leur conseil si les parties en ont désigné un. En revanche, si une partie doit comparaître personnellement, la communication (i.e l’avis d’audience ou la citation à comparaître) doit lui être adressée directement, tandis qu’une simple copie est adressée à son conseil (art. 87 al. 4 CPP). Ces règles s’appliquent également et sans limitation à la procédure de recours (ATF 148 IV 362, c. 1.2 et les références citées). De manière générale, la preuve de la notification ou de la communication régulière incombe à l’autorité qui entend en tirer des conséquences juridiques (ATF 144 IV 57, c. 2.3). Ces règles de notifications ont pour but de garantir la sécurité du droit et l’économie de procédure (ATF 144 IV 64, c. 2.5). Notre Haute Cour poursuit en relevant que si certes l’art. 87 al. 1 CPP est la règle, l’art. 87 al. 3 CPP impose une notification au conseil de la partie, même si un domicile de notification est établi selon l’al. 1 (c. 2.3). 

Le seul cas de notification personnelle se limite par conséquent à l’obligation de comparaître personnellement à une audience ou d’accomplir personnellement des actes de procédure. Ainsi, la systématique de l’art. 87 CPP montre clairement que, si un avocat est désigné, la notification au conseil est la règle, celle à la partie directement l’exception. Ce principe est d’ailleurs de nature impérative, de sorte qu’aucune place n’est laissée à une éventuelle réserve sur ce point formulée par la partie ou son conseil : si un mandataire est désigné, les communications doivent lui être notifiées, sous peine de ne pas être valables (cf. ATF 144 IV 64, c. 2.5) (c. 2.3). 

Dans le cas d’espèce, la procuration signée par A en faveur de son conseil ne souffre d’aucune ambiguïté. Au contraire, elle précise expressément que les pouvoirs sont accordés « devant toute juridiction » et « pour l’introduction de recours ». Aucune limitation ou révocation de cette procuration n’a été formulée par la recourante. Le mandat de l’avocat de A s’étendait donc également à la représentation de cette dernière dans la procédure d’appel (c. 2.4.1). 

Le fait que les jurisprudences précitées ont été rendues dans des cas de défense obligatoire n’y change rien. Effectivement, les règles de l’art. 87 CPP, en particulier son al. 3, s’appliquent à toutes les formes de représentation (conseil d’office ou de choix). Par ailleurs, ces principes s’appliquent aussi inversement, soit que la partie ne peut pas se prévaloir d’une notification personnelle s’agissant du départ du délai si elle a désigné un conseil. La partie qui désigne un représentant, parce qu’elle ne veut ou ne peut pas se défendre elle-même, doit pouvoir compter sur le fait que le rapport de représentation sera pris en compte par les autorités pénales (c. 2.4.2). 

Dans la présente configuration, l’art. 87 al. 3 CPP n’a pas été respecté, de sorte que la notification de l’avis fondé sur l’art. 400 al. 3 CPP à la recourante personnellement, à l’exclusion de son conseil, n’est pas valable. Aucun délai ne saurait être déclenché de cette manière (ibidem).

La question de savoir si le conseil de la recourante aurait tout de même pu prendre effectivement connaissance de la communication, qui pourrait valoir notification, ne se pose que si des éléments permettaient de retenir une telle transmission. Dans le présent cas toutefois, il n’est aucunement établi, ni même soutenu, qu’une prise de connaissance effective par le conseil de A de l’avis prévu par l’art. 400 al. 3 CPP serait intervenue. Ce point n’a dès lors pas besoin d’être examiné (c. 2.4.3).

En définitive, la recourante A a été privée de participer à la procédure d’appel de manière irrégulière, de sorte que le recours doit être admis. La décision attaquée est annulée et la cause renvoyée à l’autorité précédente, à charge pour cette dernière de mener une nouvelle procédure d’appel (c. 2.4.4). 

Proposition de citation : Ryan Gauderon, Règles de notification lorsqu’un conseil est mandaté : le TF rappelle quelques fondamentaux, in : https://www.crimen.ch/277/ du 12 juillet 2024