I. En fait
Le 27 octobre 2023, le Ministère public de l’arrondissement de l’Est vaudois a ouvert une instruction contre A pour des faits d’infractions d’ordre sexuel. Le lendemain, A a été entendu par la police et s’est opposé à la saisie de ses données signalétiques (photographie et empreintes digitales), mais pas au prélèvement de son ADN. Le 30 octobre 2023, A a informé le Ministère public qu’il s’opposait à la saisie de ses données signalétiques et de son ADN. Il a précisé qu’il ne s’opposait pas au prélèvement de son ADN à titre de preuve dans la présente procédure, mais qu’il s’opposait à ce que son profil d’ADN soit introduit dans la base de données, faute d’indices suffisants de culpabilité.
Par ordonnance du 26 juin 2024, le Ministère public a ordonné qu’A soit soumis à la saisie de ses données signalétiques et au prélèvement de son ADN. Par arrêt du 29 août 2024, la Chambre des recours pénale du canton de Vaud a admis le recours formé par A contre l’ordonnance du 26 juin 2024 et ordonné qu’A soit soumis au prélèvement de son ADN uniquement.
Le Ministère public interjette un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l’arrêt du 29 août 2024, en concluant principalement à sa réforme en ce que sens que le recours d’A soit rejeté.
II. En droit
À titre liminaire, le Tribunal fédéral rappelle que le recours en matière pénale n’est recevable que contre les décisions finales (art. 90 LTF) ou incidentes au sens de l’art. 93 LTF. En l’occurrence, la décision attaquée n’étant pas une décision finale, elle ne peut faire l’objet d’un recours en matière pénale qu’aux conditions de l’art. 93 al. 1 LTF. Plus précisément, le recourant ne pourrait s’en prendre à cette décision que si celle-ci l’exposait à un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF, ce qui est le cas en l’espèce. Les juges fédéraux rappellent également que l’accusateur public a qualité pour former un recours en matière pénale en vertu de l’art. 81 al. 1 let. b ch. 3 LTF. Le Ministère public a dès lors la qualité pour recourir (c. 1.2-1.3).
S’agissant du fond de l’affaire, le Ministère public soutient que l’art. 260 CPP, réglementant la saisie des données signalétiques d’une personne, constituerait une base légale suffisante pour procéder à la saisie des données signalétiques d’une personne simultanément à un prélèvement de son ADN. Selon lui, les dispositions relatives à l’analyse de l’ADN (cf. art. 255 ss CPP) devraient, au minimum, être interprétées comme imposant une telle saisie (c. 2.1).
Notre Haute Cour constate, tout d’abord, que la saisie des données signalétiques d’une personne au sens de l’art. 260 CPPimplique de saisir des particularités physiques et les empreintes de certaines parties du corps. Le but de cette mesure de contrainte est d’établir les faits, ce qui comprend en particulier l’identification de la personne concernée (cf. not. ATF 141 IV 87, c. 1.3.3). Comme toute mesure de contrainte, la saisie des données signalétiques d’une personne en vertu de l’art. 260 CPP est de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle ou à l’intégrité physique (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l’emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH). Cette mesure doit ainsi être fondée sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiée par un intérêt public et être proportionnée au but visé (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; cf. également art. 197 al. 1 CPP) (c. 2.2.1-2.2.2).
Ensuite, ni l’art. 260 CPP ni la législation sur l’établissement des profils d’ADN (cf. art. 255 ss CPP) ne permettent une saisie de données signalétiques d’une personne systématique en cas de soupçons suffisants, et encore moins leur analyse générale (ATF 147 I 372, c. 2.1 ; 141 IV 87, c. 1.4.2). Un examen de chaque cas particulier est nécessaire (ATF 141 IV 87, c. 1.4.2) (c. 2.2.3).
En l’espèce, les données signalétiques litigieuses ne sont pas nécessaires à la résolution de l’enquête en cours ; aucune empreinte n’a été relevée sur les lieux de l’infraction et l’identité du prévenu est connue. L’art. 260 CPP ne constitue donc pas une base légale suffisante pour la saisie des données signalétiques d’une personne qui serait justifiée uniquement en relation avec un prélèvement d’ADN. Le fait que la saisie des données signalétiques d’une personne puisse également être ordonnée pour élucider des contraventions ne signifie pas encore qu’il y ait lieu d’appliquer des exigences moins élevées lors de l’examen des conditions de l’art. 260 CPP (c. 2.4).
Par ailleurs, le Ministère public soutient que la saisie des données signalétiques d’une personne serait indispensable pour identifier de manière certaine dite personne dans le cadre de l’exploitation de son profil d’ADN. Comme une interdépendance entre les données signalétiques d’une personne et son profil d’ADN ne résulte expressément d’aucune disposition légale, le Ministère public cite un certain nombre de documents et textes légaux. En particulier, le Message relatif à la loi sur le casier judiciaire du 20 juin 2024 (FF 2014 5525, 5676) ; le rapport explicatif de Fedpol concernant la révision totale de l’ordonnance sur le traitement des données signalétiques biométriques (RS 361.3) d’octobre 2013, intitulé « Totalrevision der Verordnung des Bundesrates über die Bearbeitung biometrischer erkennungsdienstlicher Daten – Erläuterung » (https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/82811.pdf, p. 16) ; et le règlement d’application de Fedpol de septembre 2017 « Bearbeitungsreglement Combined DNA Index System CODIS », établi sur la base de l’art. 8 al. 2 de l’ordonnance sur les profils d’ADN (ch. 1.8). À la lecture de ces documents, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion qu’il n’apparaît pas exclu que la saisie de données signalétiques soit nécessaire à l’identification du sujet du prélèvement et de l’établissement du profil d’ADN. Autrement dit, les juges fédéraux estiment qu’il est possible que les systèmes d’information et d’identification gérés par Fedpol requièrent de disposer de données signalétiques pour identifier une personne dont un échantillon d’ADN a été prélevé, voire dont le profil d’ADN a déjà été établi. Toutefois, les éléments de fait nécessaires à la résolution de cette question ne résultant pas de l’arrêt attaqué, la cause n’est pas en état d’être jugée. Elle est donc renvoyée à la Chambre pénale des recours afin que celle-ci complète l’instruction en vue de déterminer le fonctionnement des bases de données des systèmes d’information et d’identification gérées par Fedpol. Plus précisément, elle devra déterminer si l’identification du prévenu dont un échantillon d’ADN a été prélevé implique la saisie de ses données signalétiques. Le recours est admis (c. 2.5-3).