Afficher et distribuer des stickers avec des drapeaux LGBTQ formant une croix gammée est constitutif d’une incitation à la haine pénalement répréhensible

L’affichage et la distribution, dans l’espace public, d’autocollants avec des drapeaux LGBTQ disposés en croix gammée est constitutif d’incitation à la haine au sens de l’art. 261bis al. 1 CP. Le drapeau arc-en-ciel, même dans sa version renouvelée en 2018 en vue d’une plus grande inclusivité, représente, objectivement, à tout le moins les personnes homosexuelles, soit un groupe protégé par la norme pénale. Il est sans pertinence qu’il symbolise également d’autres minorités (not. trans et racisées), et que le recourant prétende avoir ciblé exclusivement la fraction la plus politisée du mouvement. Les stickers suscitent, dans l’esprit de tout tiers moyen, une association entre les personnes LGBTQ et le régime nazi, portant atteinte à la dignité de ces dernières et attisant un sentiment hostile à leur égard. Sous l’angle de la liberté d’expression, on ne peut admettre qu’il en va simplement d’une action « anti-wokiste » de contestation des revendications du mouvement LGBTQ. Même dans un contexte politique, l’assimilation du mouvement LGBTQ à un régime totalitaire ou autoritaire irait au-delà d’une confrontation d’opinions et porterait atteinte à la dignité humaine des personnes visées.

I. En fait

En juin 2023, A colle dans les rues de Fribourg trois ou quatre « stickers » arborant le drapeau LGBTQ et une croix gammée. Il en remet également à des passants sur une place publique. Il est condamné à une peine pécuniaire avec sursis pour discrimination et incitation à la haine au sens de l’art. 261bis CP. La juridiction cantonale rejette son appel. A porte l’affaire devant le Tribunal fédéral et demande son acquittement.

II. En droit

Le recourant se plaint d’une constatation manifestement inexacte des faits par la juridiction cantonale. Le Tribunal fédéral rappelle d’emblée qu’il appartient au recourant d’établir en quoi les faits ont été établis de manière arbitraire et de démontrer que la correction du vice est susceptible de modifier le sort de la cause (art. 97 et 105 LTF). Selon le recourant, contrairement à ce que retient l’instance précédente, les autocollants n’arborent pas les couleurs du drapeau LGBTQ avec une croix gammée, mais quatre drapeaux Progress Pride Flag disposés de sorte à former une croix gammée. Ces derniers ne seraient pas assimilables au drapeau LGBTQ, dès lorsqu’ils comportent des couleurs supplémentaires représentant notamment les communautés trans et les personnes racisées. Dès lors, les stickers litigieux ne viseraient pas l’orientation sexuelle. Pour le Tribunal fédéral, il est sans importance que l’autocollant illustre la version originale de 1978 du drapeau LGBTQ ou sa version renouvelée en 2018 par Daniel Quasar en vue d’une plus grande inclusivité. Le drapeau sur l’autocollant représente en tout état de cause la communauté LGBTQ. La croix gammée est de même assimilée à la communauté LGBTQ, et ce qu’elle soit directement apposée sur le drapeau ou formée au moyen de quatre drapeaux. Le grief du recourant est donc dénué de fondement (c. 1).

Le recourant conteste ensuite que son comportement soit constitutif de l’art. 261bis al. 1 CP, qui incrimine le fait d’inciter publiquement à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle. Si la détermination du contenu d’un message litigieux relève des constatations de fait, l’interprétation du message est en revanche une question de droit, susceptible d’être revue librement par le Tribunal fédéral. Pour ce faire, il convient de se fonder sur le sens qu’un destinataire non prévenu conférerait audit message, compte tenu de l’ensemble des circonstances, notamment la personnalité de l’auteur (cf. p. ex. ATF 149 IV 170, c. 1.1.4 ; 148 IV 113, c. 3) (c. 3.1).

Le recourant soutient avoir simplement participé au débat public en dénonçant les méthodes fascistes utilisés par les membres de la « communauté de l’alphabet » pour imposer à la société leur conception de la sexualité (c. 3.2). Les juges fédéraux commencent par confirmer le caractère public de l’acte du recourant (c. 3.3.1). Ils infirment ensuite l’argument du recourant selon lequel le drapeau utilisé est étranger à toute orientation sexuelle et plus généralement à la communauté LGBTQ. Après avoir rappelé que l’art. 261bis CP ne protège pas l’identité de genre mais uniquement l’orientation sexuelle – laquelle doit être distinguée des préférences sexuelles et donc des paraphilies –, les juges notent que le drapeau figurant sur les stickers symbolise bien, certes parmi d’autres minorités, la communauté homosexuelle, soit un groupe protégé par l’art. 261bis CP. C’est également ainsi que le perçoit un destinataire moyen. On ne saurait donc suivre le recourant lorsqu’il prétend que les autocollants visent uniquement une fraction politisée de la communauté LGBTQ et qu’il évoque les méthodes prétendument utilisées par ce « lobby » pour imposer une certaine vision de la sexualité (c. 3.3.2).

Le Tribunal fédéral rejoint également la juridiction cantonale sur le fait que l’association de la croix gammée au drapeau LGBTQ ne peut qu’attiser chez autrui un sentiment de haine, soit une aversion profonde (ATF 126 IV 20, c. 1f) à l’égard des personnes LGBTQ, compte tenu de l’assimilation, par tout tiers moyen, de la swastika au régime nazi. Par ailleurs, il ne fait pas de doute que le sticker vise la communauté LGBTQ dans son ensemble, donc notamment l’orientation sexuelle, et qu’il n’évoque pas les méthodes prétendument utilisées par un lobby pour imposer une vision de la sexualité (c. 3.3.3-3.3.4). Enfin, sous l’angle subjectif, il convient d’admettre que l’auteur devait, même à titre de dol éventuel, avoir la conscience et la volonté de dépeindre les membres de la communauté LGBTQ comme inférieurs, par un comportement suffisamment hostile pour attiser des émotions négatives chez autrui. Le recourant remplit donc l’ensemble des éléments constitutifs d’une incitation à la haine punissable (c. 3.3.5-3.3.6).

Le recourant fait au demeurant valoir sa liberté d’expression (art. 16 Cst. et 10 CEDH). Comme tout droit fondamental, la liberté d’expression peut être restreinte aux conditions de l’art. 36 Cst. et via l’art. 10 §2 CEDH. Le recourant défend que son action est « anti-wokiste », en ce qu’elle vise à s’opposer aux revendications progressistes des personnes LGBTQ. Son comportement a largement excédé une telle opposition, puisqu’il a amalgamé la communauté LGBTQ au régime nazi. Sa démarche ne peut être comprise comme une participation au débat politique ou public sur une question d’intérêt public. Du reste, même dans un contexte politique, assimiler la communauté LGBTQ au parti national-socialiste allemand irait au-delà d’une simple confrontation d’opinions et serait pénalement répréhensible. La restriction à la liberté d’expression respecte ici les conditions posées à l’art. 36 Cst. (c. 4).

Le Tribunal fédéral rejette le recours (c. 6).

III. Commentaire

Le présent arrêt est en ligne avec les décisions cantonales et fédérales rendues en matière d’incitation à la haine fondée sur l’orientation sexuelle depuis l’entrée en vigueur de la révision de l’art. 261bis CP en 2020. On relèvera ici deux points faisant écho à la jurisprudence récente du Tribunal fédéral et apportant des confirmations importantes.

Premièrement, il peut être constaté une tendance de la défense à invoquer que le discours des prévenus ne se réfère pas aux personnes homo- et bisexuelles mais un autre groupe de la communauté LGBT, non protégé par la norme pénale (p. ex. les personnes trans ou un « lobby LGBT »). Tel est le cas dans la présente affaire – le recourant arguant qu’il ne ciblait qu’un mouvement prosélytique qu’il nomme « la communauté de l’alphabet » –, tout comme dans celle concernant les propos répréhensibles de l’essayiste Alain Soral, qui avait prétendu se référer à l’identité de genre en utilisant le terme queer (ATF 150 IV 292 ; à ce propos, cf. Camille Montavon, Affaire Soral : première condamnation pour incitation à la haine en raison de l’orientation sexuelle, in : https://www.crimen.ch/266/ du 2 mai 2024). La jurisprudence du Tribunal fédéral empêche le recours à cette stratégie. Les juges considèrent, à raison, que le dénominateur commun LGBTQ ou un drapeau LGBTQ inclusif – représentant tant les personnes lesbiennes, gaies et bisexuelles que les personnes trans et celles appartenant à cette communauté et défendant activement leurs droits – est couvert par l’art. 261bis CP. En effet, lesdits symboles représentent à tout le moins une caractéristique protégée, à savoir l’orientation sexuelle.


Deuxièmement, sous l’angle de la restriction de la liberté d’expression, le Tribunal fédéral confirme que l’argument de la contribution au débat politique ou sur une question d’intérêt public ne peut être avancé si aisément pour bénéficier d’une protection accrue de ce droit fondamental. Dans l’ATF 150 IV 292, le recourant avait déjà tenté d’avancer l’argument selon lequel la question LGBTQ serait en soi politique, car elle « interpelle nos sociétés occidentales notamment les propagandes visant les enfants » (c. 4). Dans le présent arrêt, le fait que la communauté LGBTQ porte certaines revendications socio-politiques ne saurait non plus conduire à l’interprétation selon laquelle tout discours relatif aux personnes LGBTQ est per se politique ou d’intérêt public et que son auteur bénéficie, par conséquent, d’une protection plus étendue de sa liberté d’expression. Dans un cas comme dans l’autre, les discours excédent quoi qu’il en soit la simple opposition, en ce qu’ils portent atteinte à la dignité des personnes visées, en raison de leur orientation sexuelle.

Proposition de citation : Camille Montavon, Afficher et distribuer des stickers avec des drapeaux LGBTQ formant une croix gammée est constitutif d’une incitation à la haine pénalement répréhensible, in : https://www.crimen.ch/339/ du 27 juin 2025