L’expulsion ne doit pas être prise en compte comme circonstance atténuante pour la fixation de la peine

Le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence selon laquelle l’expulsion du territoire suisse prononcée par le juge pénal ne constitue pas une circonstance atténuante dans le cadre de la fixation de la peine. Contrairement à la durée de la peine, celle de l’expulsion ne dépend pas de la faute de l’auteur, mais obéit à un examen distinct de proportionnalité visant à déterminer le besoin de protection de la société en fonction de la dangerosité de l'auteur, du risque de récidive et de la gravité des infractions qu'il est susceptible de commettre à nouveau.

I. En fait

Par jugement du 16 mars 2022, le Tribunal de district de Baden a condamné A à une peine pécuniaire de 20 jours-amende à 100.- francs et une amende de 200.- francs, et a prononcé son expulsion du territoire suisse pour une durée de cinq ans. Sur appel de A, la Cour suprême du canton d’Argovie a, par jugement du 29 août 2023, classé une partie de la procédure et acquitté A de certains chefs d’accusation. Elle a en revanche confirmé sa condamnation pour vol, dommage à la propriété et violation de domicile en prononçant une peine privative de liberté ferme de deux ans et une amende de 200.- francs. La Cour a en outre confirmé l’expulsion de A pour cinq ans.

A forme un recours en matière pénale à l’encontre de ce jugement auprès du Tribunal fédéral, sollicitant son annulation et le renvoi de l’affaire à l’instance précédente.

II. En droit

Dans la première partie de son jugement, le TF rejette l’ensemble des arguments du recourant qui se plaint d’une appréciation arbitraire des preuves, de la violation des principes « in dubio pro reo », « nemo tenetur » ainsi que de la violation son droit d’être entendu (c. 2-4). L’instance cantonale a ainsi retenu de manière conforme au droit que le recourant a dérobé, avec son complice, un coffre-fort de l’Office des poursuites de Baden ainsi que son contenu. En particulier, la Cour cantonale n’a pas violé le droit du prévenu de ne pas s’auto-incriminer en tenant pour établie sa participation aux infractions reprochées en qualité de co-auteur, compte tenu de l’absence de justification convaincante de sa part sur la présence d’un gant avec des traces de son ADN et sur la localisation de son téléphone à proximité du coffre-fort dérobé. En effet, d’après la jurisprudence, il est admissible de tirer du silence du prévenu des conclusions qui lui sont défavorables, dans la mesure où l’existence de preuves à charge appellent raisonnablement une explication plausible de sa part (TF, 6B_1353/2023 du 6.11.2024, c. 8.2 ; 6B_289/2020 du 1.12.2020, c. 7.8.1).

Dans la partie principale de son jugement, le TF se penche sur la fixation de la peine, le recourant faisant valoir que l’instance précédente aurait dû prendre en compte le caractère pénal de l’expulsion prononcée à titre de circonstance atténuante (c. 5.3.1). Notre Haute Cour commence par exposer l’avis des auteurs de doctrine qui considèrent que l’expulsion a principalement ou accessoirement un caractère punitif qui oblige le juge à en tenir compte lors de la fixation de la peine pour éviter de contrevenir à l’interdiction de la double incrimination (art. 4 ch. 1 du Protocole n° 7 à la CEDH ; art. 14 ch. 7 du Pacte II de l’ONU ; art. 11 al. 1 CPP), respectivement pour que l’expulsion soit proportionnée à la faute (parmi d’autres : BSK StGB I-Zurbrügg/Hruschka, art. 66aN 29 ; Praxiskommentar StGB-Trechsel/Seelmann, art. 47N 31). D’autres auteurs, tout en admettant que l’expulsion sert exclusivement à protéger la population, soutiennent que la peine, combinée à l’expulsion, doit rester dans l’ensemble proportionnée au vu de l’impact qu’elle engendre sur la vie de la personne condamnée (CR CP I-Perrier Depeursinge/Monod, art. 66aN 9 ; Grodecki/Jeanneret, L’expulsion judiciaire, in : Droit pénal – évolutions en 2018, 2017, 127ss., 137) (c. 5.3.2).

Le TF présente ensuite plusieurs exemples dans lesquels la personne condamnée encoure des sanctions extra-pénales parallèlement à sa peine. Selon la jurisprudence des art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a LEI, la révocation du permis de séjour ou d’établissement d’une personne condamnée à une peine de longue durée (soit une peine privative de liberté de plus d’une année) ne constitue pas un motif d’atténuation de la peine, puisque les conséquences administratives du comportement pénalement réprimé ne sont pas encore connues au moment du jugement pénal (TF, 6B_296/2014 du 20.10.2014, c. 3.4) (c. 5.3.3.2). En matière de circulation routière, le TF a ainsi tout au plus admis qu’il était possible pour le/la juge, au moment du choix de la peine, de prendre en compte les conséquences civiles et administratives (retrait du permis obligatoire) comme critères pour évaluer le comportement futur de l’auteur, sans toutefois devoir considérer le retrait de permis comme facteur d’atténuation de la peine (ATF 120 IV 67 consid. 2b). A titre d’exemple toujours, la jurisprudence considère qu’il n’y a pas lieu de tenir compte du prononcé d’une interdiction d’exercer une activité professionnelle (art 67 CP) lors de la fixation de la peine (TF, 6B_855/2023 du 15.7.2024, c. 2.11) (c. 5.3.3.3).

Notre Haute Cour rappelle également que sur le plan systématique, l’expulsion est classée au chapitre des mesures du code pénal (art. 56ss CP). L’intention du législateur était ainsi d’appréhender cette institution non pas comme une peine mais comme une mesure de sûreté (ATF 146 IV 311, c. 3.7). Partant de ce postulat, le Tribunal fixe la durée de l’expulsion en appréciant, sous l’angle du principe de la proportionnalité, la nécessité de protéger la société à l’aune de la dangerosité de l’auteur, du risque de récidive et de la gravité des infractions qu’il est susceptible de commettre à nouveau, en excluant toute considération relative à la gravité de la faute (TF, 6B_566/2024 du 3.3.2025, c. 4.1). Il s’ensuit que la durée de l’expulsion ne doit pas être symétrique à celle de la peine, si bien qu’une expulsion de longue durée peut être prononcée conjointement à une peine modeste, notamment lorsque l’auteur dont la responsabilité a été réduite présente un danger important pour la sûreté, voire être prononcée en l’absence de toute peine lorsqu’une expulsion facultative se justifie à l’égard d’une personne irresponsable (cf. art. 19 CP). Les effets d’une expulsion doivent ainsi être rapprochés de ceux d’une interdiction d’entrée (cf. art. 67 LEI), mesure purement administrative qui peut être prononcée indépendamment d’une condamnation pénale. Les juges fédéraux tirent également argument du texte de l’art. 47 CP, qui ne mentionne pas l’expulsion comme critère de fixation de la peine, ce qui ne pourrait en toute hypothèse pas entrer en ligne de compte dès lors que l’expulsion n’est généralement pas encore entrée en force au moment de la fixation de la peine. Même exécutoire, l’expulsion peut être reportée, conformément à l’art. 66d CP. Enfin, l’expulsion n’entre pas non plus dans le champ d’application de l’art. 54 CP, qui couvre uniquement les conséquences d’une infraction qui ont directement atteint son auteur (ATF 137 IV 105, c. 2.3.3) (c. 5.3.4).

Compte tenu de tous ces éléments, les avis doctrinaux selon lesquels l’expulsion doit être prise en compte au moment de fixer la peine pour éviter une violation de l’interdiction de la double incrimination, respectivement pour être globalement proportionnée à la faute, ne sauraient être suivis. Bien plutôt, la proportionnalité de l’expulsion doit faire l’objet d’un examen séparé par le Tribunal, après que celui-ci a déterminé le type de peine. Le grief du recourant sur ce point est par conséquent écarté (c. 5.3.4), et son recours rejeté dans la mesure de sa recevabilité (c. 6).

Proposition de citation : Frédéric Lazeyras, L’expulsion ne doit pas être prise en compte comme circonstance atténuante pour la fixation de la peine, in : https://www.crimen.ch/346/ du 10 septembre 2025