Condamnation contraire au principe de la légalité pour violation d’une mise à ban en raison d’une durée de stationnement dépassée

Le stationnement autorisé durant des heures creuses indiquées au moyen d’un panneau de signalisation alors même que la zone fait l’objet d’une mise à ban est ouvert à un nombre indéterminé de personnes pendant ces heures. Dans cet espace-temps, il s’agit donc d’une route publique. Le dépassement de la durée de stationnement payé intervenu pendant ces heures s’analyse dès lors sous l’angle de la LCR et son ordonnance et non en relation à la mise à ban sanctionnée au moyen du droit cantonal. Il s’ensuit qu’une condamnation fondée sur la violation de la mise à ban est illicite, car elle est contraire au principe de la légalité.

I. En fait

Sur un parking en « propriété privée » du canton de Lucerne, la recourante stationne son véhicule à 18h15 et paie un ticket de stationnement valable jusqu’à 19h51, mais son véhicule est toujours stationné à 20h19.

Sur les lieux, un panneau de signalisation indique l’existence d’une « mise à ban » prononcée par l’autorité judiciaire locale interdisant à tout véhicule de circuler ou de stationner, ayants droits exceptés. Toute violation est sanctionnée par l’emprisonnement ou l’amende en vertu de l’art. 20 de la Loi lucernoise sur les contraventions (Übertretungsstrafgesetz ; UeStG-LU). Au-dessous sont indiquées des heures de stationnement autorisées selon les jours (du lundi au vendredi 17h00-6h00 / du samedi au dimanche 00h00-24h00). 

Condamnée par ordonnance pénale, la recourante obtient gain de cause en première instance sur opposition, mais sur appel de la partie plaignante, elle est à nouveau reconnue coupable de violation d’une interdiction générale (allgemeiner Verbote) au sens de l’art. 20 UeStG-LU et condamnée au paiement d’une amende de CHF 60.-, ainsi qu’au paiement d’une indemnité à la partie plaignante de CHF 40.- et aux frais. Elle forme alors recours devant le Tribunal fédéral et conclut à son acquittement.

II. En droit

Après avoir présenté les arguments de la recourante (c. 1.1) et le raisonnement de l’autorité inférieure (c. 1.2), le Tribunal fédéral reprend son considérant topique relatif au principe de la légalité (art. 1 CP) qui est également consacré par l’art. 7 CEDH (c. 1.3.1 1er par.)

Dans la mesure où l’affaire a trait à la violation d’une mise à ban, le Tribunal fédéral rappelle que le tribunal pénal peut contrôler la légalité de son prononcé et ainsi exclure la punissabilité de la personne mise en cause dans le cas individuel et concret, sans que son jugement n’ait d’influence sur l’existence même de la mise à ban (c. 1.3.2 1er par.). Ainsi, la recourante peut contester sa légalité et si elle est jugée illicite, une culpabilité pour violation de l’art. 20 UeStG-LU ne peut être retenue (c. 1.3.2 2e par.).

Le Tribunal fédéral précise néanmoins que ce n’est pas la légalité de la mise à ban elle-même qui est en cause. En effet, la recourante n’a pas été jugée coupable en raison du fait qu’elle avait stationné sur le parking en question les jours de semaine entre 6 heures et 17 heures comme le lui défendait la mise à ban. Sa condamnation repose sur le fait qu’elle n’a pas payé les frais de stationnement entre 19h51 et 20h19 et il lui est donc uniquement reproché d’avoir dépassé le temps de stationnement payé et ainsi autorisé. De ce fait, il s’agit d’examiner le régime de stationnement payant applicable aux heures creuses en parallèle de la réglementation de la mise à ban et donc de savoir si ce régime n’aurait pas dû être introduit par le biais du droit public (c. 1.3.2 3e par.).

Le fait qu’une route en propriété privée a été déclarée publique peut faire obstacle à une mise à ban sur cette route (cf. TF 5A_348/2012 du 15.8.2012, c. 3.2). Si les entités de droit public peuvent demander une mise à ban pour leur patrimoine financier et administratif sur la base de l’art. 258 CPC, tel ne peut être le cas pour les biens publics en usage commun. La personne morale de droit public, si elle souhaite révoquer ou limiter cet usage, doit procéder par la voie du droit public, mais elle ne peut contourner les dispositions de ce même droit par l’obtention d’une mise à ban devant le tribunal civil (c. 1.4.1).

Pour déterminer si une route est publique ou non, le Tribunal fédéral s’en réfère au champ d’application de la LCR régissant « la circulation sur la voie publique » (art. 1 al. 1) et à la définition de la « route publique » soit les « voies de communication utilisées par des véhicules automobiles, sans moteur ou des piétons » et « qui ne servent pas exclusivement l’usage privé » (art. 1 al. 1 et 2 OCR). Il rappelle ensuite que la notion doit être interprétée largement et que le facteur déterminant à cet égard est de savoir si la route est utilisée pour la circulation générale, autrement dit de se demander si son usage est permis pour un nombre indéterminé de personnes quand bien même son utilisation est limitée (c. 1.4.2 1er par.). C’est pourquoi le caractère public d’une route est indépendant de la volonté du propriétaire et est uniquement fonction de l’usage qui en est fait (c. 1.4.2 2e par.)

En l’espèce, le Tribunal fédéral constate que la zone, propriété du canton de Lucerne, est ouverte à l’utilisation d’un groupe indéterminé de personnes aux heures creuses, si bien que la route est, à tout le moins ces heures durant, une route publique au sens de l’art. 1 al. 1 LCR cum art. 1 al. 1 et 2 OCR. Dans la mesure où les places de stationnement sont ouvertes à tout un chacun, il n’y a pas de dispositions claires limitant l’usage de la zone à un usage exclusivement privé. Ainsi, la nature publique de la route est incontestable s’agissant des heures creuses selon le panneau de signalisation. Dès lors que la route en cause est publique, c’est sur la base de la LCR et son ordonnance d’application qu’il convient d’apprécier le comportement de la recourante en tant que conductrice d’un véhicule à moteur. Il s’ensuit que sa condamnation pour violation de l’art. 20 UeStG-LU est illicite. Partant, elle doit être acquittée (c. 1.5) et le recours admis (c. 1.6).

Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, Condamnation contraire au principe de la légalité pour violation d’une mise à ban en raison d’une durée de stationnement dépassée, in : https://www.crimen.ch/43/ du 15 octobre 2021