Brigandage commis en coactivité : imputation de la mise en danger de mort de la victime

Lorsque des coauteurs n’ont pas convenu de l’utilisation d’une arme à feu lors d’un brigandage et que l’un d’eux s’est abstenu de vérifier si l’arme était chargée, on ne saurait imputer à l’un le coup de feu tiré par l’autre. La connaissance par l’un des coauteurs de l’usage par son comparse d’une arme à feu lors d’un précédent brigandage ne suffit pas à retenir qu’il a implicitement accepté la mise en danger de mort (art. 140 ch. 4 CP) des personnes présentes. Si le coauteur sait que son comparse a une arme à feu, mais qu’il n’a pas vérifié si elle était chargée et que son utilisation n’a pas été discutée, il convient de partir du principe qu’un coup de feu n’entrait pas dans le plan commun.

I. En fait

Le 6 mars 2012, A, B et C, munis d’un pistolet d’alarme et d’un pistolet 9 mm chargé, se seraient rendus dans une station-service pour la braquer. A et B savaient que, par le passé, C avait déjà commis à réitérées reprises des attaques à main armée durant lesquelles il avait parfois tiré. A serait resté dans la voiture pour faire le guet pendant que ses deux comparses sont entrés masqués dans la station-service. B et C ont menacé l’employée avec leur arme à feu et lui auraient demandé le contenu de la caisse. C a tiré un coup de feu juste à côté de l’employée pour la pousser à se dépêcher. Par ce premier coup de feu, C a diminué le poids de la détente à 1,75 kg, créant le risque qu’un nouveau coup de feu parte par erreur. B a pris le contenu de la caisse pendant que C a maintenu son arme pointée sur l’employé de nettoyage de la station-service, puis ils auraient quitté les lieux avant de prendre la fuite avec A. Les trois comparses se sont ensuite partagé le butin. 

A est également accusé d’avoir voulu commettre un brigandage dans un restaurant avec B le 28 mars 2012. Ils se sont munis d’un pistolet d’alarme et d’un pistolet SIG Sauer P228 qu’ils savaient chargé. Alors que A faisait le guet dans l’entrée, B a menacé D, employé du restaurant, en pointant sur lui son arme chargée et l’a sommé de lui remettre l’argent. D n’ayant pas réagi, B a dirigé son arme, le doigt posé sur la gâchette, à une vingtaine de centimètres du visage de E avec le doigt sur la gâchette et a réitéré sa demande. D a tenté à deux reprises d’attraper B. Durant la seconde tentative, B a tiré un coup de feu dans la direction de D sans toutefois le viser et la balle est passée à une dizaine de centimètres de sa tête. Le projectile s’est logé dans la salle à manger où se trouvaient des clients et des employés du restaurant. Pendant ce temps, A a pointé son pistolet d’alarme sur l’un des employés. A et B ont quitté les lieux sans butin. 

Statuant sur appel de A, la Cour cantonale du canton d’Argovie l’a déclaré coupable entre autres de multiples infractions qualifiées de (tentatives de) brigandage (art. 140 ch. 4 CP). Elle l’a condamné à une peine privative de liberté de huit ans et demi et au paiement d’une amende de CHF 300.-.

A porte l’affaire devant le Tribunal fédéral. Il critique sa condamnation pour brigandage qualifié pour le braquage du 6 mars 2012. Le recourant argue qu’il ne savait pas que C allait tirer un coup de feu dans la station-service et mettre ainsi une personne en danger de mort. Dès lors, seul un brigandage simple devrait être retenu à son encontre. En outre, il conteste sa condamnation pour tentative de brigandage en lien avec le braquage du restaurant du 28 mars suivant. 

II. En droit

En premier lieu, le Tribunal fédéral présente la solution retenue par les juges cantonaux concernant le braquage de la station-service. Selon l’instance précédente, C a créé un danger de mort imminent pour les deux employés de la station-service en pointant son arme sur eux. En effet, la personne visée pouvait, par un mouvement imprévisible, se retrouver dans la trajectoire du tir ou un ricochet de la balle était envisageable. En outre, le recourant a agi en tant que coauteur. Le plan d’action, comprenant donc le recours à une arme à feu, n’a pas été discuté. La Cour cantonale s’est fondée sur le fait que A connaissait les antécédents de C et donc son modus operandi lors des braquages. La Cour cantonale a relevé que B et C s’étaient disputés, ce qui laisse croire que le tir n’était pas compris dans le plan. Néanmoins, le recourant savait que C détenait une arme à feu sur lui. De manière générale, il a fait preuve d’une certaine indifférence en ne vérifiant pas si l’arme était chargée et en ne se souciant pas du déroulement des événements. En ce sens, les juges cantonaux ont reproché à A d’avoir accepté la possibilité que l’arme soit chargée et que C tire un coup de feu. Cette éventualité entrant dans le plan commun, le comportement de C était par conséquent imputable au recourant (c. 2.2). 

Après avoir rappelé la teneur de l’art. 140 ch. 4 CP, le Tribunal fédéral précise que l’auteur met en danger de mort la victime lorsque le danger est concret, sérieux, immédiat et d’une gravité élevée. Cette condition est réalisée quand l’auteur a recours à une arme à feu et qu’un coup de feu peut être tiré à tout moment. Tel est le cas lorsque l’arme est chargée, armée, pointée à une courte distance de la victime et désassurée (voir not. ATF 120 IV 113, c. 1b). Subjectivement, l’intention de l’auteur doit couvrir la réalisation du danger de mort, le dol éventuel étant suffisant (c. 2.3.4). 

Notre Haute Cour relève que la distinction entre le dol éventuel et la négligence consciente n’est pas aisée, ces deux formes supposant que l’auteur ait conscience de la possible survenance du résultat. La différence se situe au niveau de la volonté. L’auteur agissant par négligence consciente pense que le résultat qu’il considère comme possible ne se produira pas, alors que l’auteur agissant par dol éventuel qualifie la survenance du résultat comme possible et s’en accommode. En l’absence d’aveux du prévenu, le tribunal doit se fonder sur les circonstances concrètes pour déterminer s’il a accepté la réalisation de l’infraction et donc agi par dol éventuel. Plus la probabilité de réalisation de l’infraction est élevée et plus la violation du devoir de prudence est grave, plus il est aisé d’affirmer que l’auteur a accepté la réalisation de l’infraction. On ne saurait toutefois conclure à l’acceptation du résultat en se fondant uniquement sur la connaissance par l’auteur de sa possible survenance. D’autres éléments doivent être pris en considération (c. 2.3.5 ; voir not. ATF 133 IV 9, c. 4.1). 

Quiconque collabore de manière intentionnelle et déterminante avec d’autres auteurs à la décision de perpétrer une infraction, à son organisation ou à son exécution, de sorte à se trouver en position de participant principal, est réputé coauteur. La contribution de l’auteur doit, au vu des circonstances concrètes du cas d’espèce, apparaître comme essentielle au point que l’exécution de l’infraction en dépend. La seule volonté de commettre l’infraction n’est pas suffisante aux fins de la coactivité. La participation effective à l’exécution de l’infraction ou l’exercice d’une influence sur celle-ci ne sont pas nécessaires. La coactivité requiert une décision commune, laquelle ne doit pas être obligatoirement expresse, mais peut résulter d’actes concluants. La préméditation de l’acte n’est pas non plus exigée et le coauteur peut s’y joindre en cours d’exécution. Le fait que le coauteur fasse sienne l’intention des autres coauteurs suffit. Le dol éventuel englobe également le résultat non souhaité par l’auteur, mais accepté pour arriver à son objectif final (c. 2.3.6). 

Selon le Tribunal fédéral, la condamnation du recourant pour brigandage qualifié au sens de l’art. 140 ch. 4 CP viole le droit fédéral. Le fait que le recourant ait agi en tant que coauteur n’est pas contesté. En revanche, c’est à tort que l’instance précédente lui a imputé les actes du coauteur C, notamment l’utilisation de l’arme chargée et le tir. Au vu des constatations de la Cour cantonale, le plan commun de perpétration du brigandage n’a pas été discuté et les coauteurs n’ont pas convenu de l’utilisation de l’arme à feu. La connaissance par le recourant du fait que C avait déjà fait usage d’une arme à feu lors de braquages ne suffit pas à retenir qu’il a implicitement accepté la mise en danger de mort. En retenant que l’intéressé s’est abstenu de vérifier si l’arme était chargée ou de refuser expressément qu’elle soit utilisée, la Cour cantonale lui reproche uniquement une omission. En ce sens, il convient de partir du principe que le recourant savait que C portait une arme à feu, mais qu’il ne savait pas si elle était chargée ou non. On ne saurait donc déduire des faits que le coup de feu ou le recours à une arme à feu chargée entrait dans le plan commun. Partant, la condamnation pour brigandage qualifié en vertu de l’art. 140 ch. 4 CP doit être annulée (c. 2.4).  

En outre, le recourant critique sa condamnation pour tentative de brigandage qualifié en vertu des art. 22 et art. 140 ch. 4 CP en lien avec le braquage du restaurant le 28 mars 2012. Il affirme que seul B était sur les lieux. N’ayant pas prévu le tir d’un coup de feu, il ne s’attendait pas à la création d’un danger de mort pour les personnes présentes et ne l’aurait pas accepté. Il n’avait prévu que le port d’une arme chargée (c. 3.1). 

Selon la Cour cantonale, le but recherché par les coauteurs était de soustraire la caisse et de quitter les lieux. C leur a fourni le pistolet d’alarme et le véritable pistolet, ainsi A et B ont prévu la possible résistance des employés du restaurant. Aucun des deux comparses n’a vérifié si l’arme était chargée, ce qui révèle l’indifférence du recourant. En se fondant sur le déroulement du premier braquage, le recourant devait s’attendre à ce que l’arme soit chargée. En raison de l’indifférence du recourant, les juges cantonaux ont considéré que le recourant avait accepté le fait de pointer une arme chargée sur l’un des employés. Cette possibilité entrait donc dans le plan commun des coauteurs (c. 3.2). 

Selon le Tribunal fédéral, le grief du recourant est fondé. Il renvoie aux considérants relatifs au braquage de la station-service sur le principe. Partant, la condamnation est annulée et l’affaire renvoyée à l’instance précédente (c. 3.3).

Proposition de citation : Alexia Blanchet, Brigandage commis en coactivité : imputation de la mise en danger de mort de la victime, in : https://www.crimen.ch/89/ du 17 mars 2022