Le tribunal des mesures de contrainte ne peut pas ordonner la détention provisoire pour une durée supérieure à celle requise par le ministère public

Le tribunal des mesures de contrainte outrepasse ses compétences s’il ordonne la mise en détention du prévenu pour une durée plus longue que celle requise par le ministère public dans ses conclusions. De la même manière, la répartition des rôles entre le ministère public et le tribunal des mesures de contrainte n’est pas respectée si celui-ci prononce la détention provisoire alors que le ministère public n’a requis que des mesures de substitution. Il est en revanche admissible que le tribunal des mesures de contrainte prononce des mesures de substitution plus incisives que celles requises par le ministère public.


I.
En fait

Le ministère public a requis du tribunal des mesures de contrainte que A soit placé en détention provisoire pour une durée de deux mois pour infraction à la Loi fédérale sur les stupéfiants. Le TMC a ordonné la mise en détention provisoire de A pour une durée de trois mois, décision qui a été confirmée par la Chambre pénale du Tribunal cantonal du Valais. Cette autorité a retenu que le TMC n’était pas lié par la durée de la détention provisoire requise par le ministère public et n’avait ainsi pas excédé sa marge de manœuvre.

A forme un recours devant le Tribunal fédéral en faisant grief que le TMC ne pouvait pas prononcer une détention provisoire d’une durée supérieure à celle requise par le ministère public. À cet effet, il invoque l’art. 226 CPP et se plaint d’une double violation de son droit d’être entendu en tant que le TMC ne l’a pas entendu préalablement et qu’il n’a pas motivé sa décision.

II. En droit

Le Tribunal fédéral examine d’emblée la question de l’intérêt juridique actuel de A à recourir dans la mesure où celui-ci a été libéré en cours de procédure (art. 81 al. 1 let. b LTF). Après un bref exposé de la jurisprudence en la matière (ATF 139 I 206, c. 1.1 ; ATF 142 I 135, c. 1.3.1 ; ATF 140 IV 74, c. 1.3.1 et 1.3.3), il estime que, dans le cas d’espèce, cette question peut demeurer indécise. Le recourant conserve, en tout état de cause, un intérêt à ce que l’arrêt attaqué soit réformé dès lors que l’intégralité des frais de la procédure cantonale de recours ont été mis à sa charge, ce dont il se plaint dans ses déterminations. Le Tribunal fédéral entre en matière (c. 1).

Sur le fond, les juges fédéraux rappellent la répartition des rôles entre le ministère public et le TMC. Le TMC est compétent pour ordonner la détention provisoire et les mesures de substitution (art. 226 CPP), tandis que le ministère public est responsable de l’instruction principale (art. 16 al. 2 CPP et art. 61 let. a CPP). À ce titre, il appartient notamment au ministère public de veiller à ce que le déroulement de la procédure pénale ne soit pas entravé par la mise en liberté du prévenu (ATF 142 IV 29, c. 3.4). Il lui incombe de requérir une mise en détention d’une durée suffisante pour la recherche de la vérité ou de demander la prolongation de la détention.

Le TMC, quant à lui, a été conçu comme un contrepoids aux pouvoirs étendus dont dispose le ministère public afin de protéger les intérêts du prévenu (ATF 142 IV 29, c. 3.2). Son pouvoir est donc en principe limité par les conclusions prises par le ministère public. Par exemple, si le ministère public n’a requis que des mesures de substitution (art. 237 CPP), le TMC ne peut pas ordonner la mise en détention du prévenu (ATF 142 IV 29, c. 3.2-3.5).

De la même manière, si le ministère public estime que la mise en détention provisoire d’un prévenu pour une durée de deux mois est suffisante, il n’appartient pas au TMC d’étendre la durée requise par le ministère public. Le contraire reviendrait à reconnaître au TMC la possibilité de s’immiscer dans la direction de la procédure pénale et de s’octroyer des compétences qui ne lui reviennent pas. Le fait que le TMC peut prononcer des mesures de substitution plus incisives que celles proposées par le ministère public (ATF 142 IV 29, c. 3.3) n’y change rien. De telles mesures, même plus incisives, entraînent toujours une atteinte moins grave à la liberté personnelle du prévenu que la privation de liberté. Cette analogie n’est ainsi pas convaincante (c. 2.3).

Le Tribunal fédéral admet le recours. Le TMC ne pouvait pas prononcer la mise en détention provisoire du prévenu pour une durée supérieure aux deux mois requis par le ministère public. 

III. Commentaire

La solution préconisée par le Tribunal fédéral est largement justifiée étant rappelé que la privation de liberté constitue l’atteinte aux droits fondamentaux la plus incisive que peut exercer l’État sur les individus. Le présent arrêt se fonde essentiellement sur une jurisprudence antérieure du Tribunal fédéral (ATF 142 IV 29). Dans cet arrêt, les juges fédéraux avaient estimé que le TMC ne pouvait pas prononcer la détention provisoire du prévenu en lieu et place des seules mesures de substitution requises par le ministère public. Par analogie, notre Haute Cour estime que le TMC ne peut pas étendre la durée de la détention provisoire requise par le ministère public. 

Dans ces deux arrêts, le Tribunal fédéral insiste sur la répartition des compétences entre le TMC et le ministère public. Il rappelle que les requêtes du ministère public ont une importance déterminante et possèdent un caractère exemplaire. Il faut donc partir du principe que les réquisitions du ministère public sont suffisantes pour mener à bien la procédure pénale. Dans le même sens, le Message du Conseil fédéral souligne que le TMC ne peut pas ordonner la détention provisoire si le ministère public s’est contenté de proposer des mesures de substitution (FF 2006 1057, 1214). L’absence d’une réglementation explicite dans le CPP doit être considérée comme un silence qualifié (ATF 142 IV 29, c. 3.5).

Cette appréciation nous parait être d’autant plus justifiée que seul le ministère public dispose de l’entier des dossiers de l’enquête. Il est ainsi le mieux placé pour apprécier les actes de procédure aptes à favoriser la mise en œuvre du droit de répression de l’État. Aux termes du présent arrêt, le même raisonnement est applicable pour la durée de la détention provisoire.

Cette analogie ne vaut pas pour les seules mesures de substitution requises par le ministère public et ce, même si la combinaison de mesures prononcée par le TMC constitue globalement une atteinte plus forte aux droits fondamentaux du prévenu (ATF 142 IV 29, c. 3.5 ; ATF 133 I 27, c. 3.5). A notre sens, dans un tel cas, le TMC doit permettre au prévenu de s’exprimer préalablement sur ce point – eu égard au principe du droit d’être entendu (cf. notamment Mirjam Frei/Simone Zuberbühler Elsässer, art. 226 N 13, in: Andreas Donatsch et al. [éds], Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], 3e éd., Zurich/Bâle/Genève 2020) – et veiller à ce que les mesures ordonnées restent proportionnées.

Proposition de citation : Mona Rhouma, Le tribunal des mesures de contrainte ne peut pas ordonner la détention provisoire pour une durée supérieure à celle requise par le ministère public, in : https://www.crimen.ch/9/ du 21 juin 2021