Pas d’application du principe de publicité aux ordonnances pénales non entrées en force 

Le Tribunal fédéral tranche : L’art. 69 al. 2 CPP portant sur le principe de publicité de la justice vise uniquement les ordonnances pénales entrées en force. La consultation d’une ordonnance pénale non entrée en force est soumise aux règles applicables à la consultation du dossier pénal et non au principe de publicité de la justice.

I. En fait 

Le 9 juin 2023, le Ministère public de la République et canton de Genève rend une ordonnance pénale reconnaissant A coupable de faux dans les titres. A forme opposition.

Le 15 juin 2023, A requiert que l’ordonnance pénale valablement frappée d’opposition ne soit pas communiquée à des tiers, en particulier à des médias ou à des journalistes. Par ordonnance du 16 juin 2023, le Ministère public refuse d’accéder à cette demande.

Par arrêt du 28 juillet 2023, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et du canton de Genève rejette le recours formé par A contre l’ordonnance du 16 juin 2023. 

Le 14 septembre 2023, A forme recours en matière pénale contre cet arrêt en concluant principalement à ce qu’il ne soit pas donné accès à des tiers à l’ordonnance pénale du 9 juin 2023 frappée d’opposition. 

II. En droit 

Dans son examen au fond, le TF commence par rappeler la substance du principe de la publicité de la justice (art. 6 par. 1 CEDH14 par. 1 Pacte ONU II30 al. 3 Cst.) (c. 2.3.1), et sa concrétisation en procédure pénale (art. 69 CPP) (c. 2.3.2).

Il souligne que, selon la jurisprudence fédérale, les jugements qui ne sont pas encore entrés en force ou qui ont par la suite été annulés peuvent être consultés par des tiers sous une forme anonymisée, sans qu’il ne soit nécessaire d’invoquer (TF 1C_123/2016 du 21 juin 2016, c. 3.9). Les ordonnances de non-entrée en matière qui ne sont pas encore entrées en force peuvent également être consultées par des personnes intéressées, moyennant qu’un intérêt privé prépondérant lié à la protection de la sphère privée ne s’y oppose pas (TF 1B_103/2021 du 4 mars 2022, c. 3.3). Le TF admet que la question de la consultation par un tiers d’une ordonnance pénale non entrée en force n’a pas encore été tranchée et qu’il convient d’y remédier (c. 2.3.3). 

Le TF examine la jurisprudence cantonale divergente. Les cantons de Genève, de St-Gall, des Grisons et du Jura soumettent les ordonnances pénales non entrées en force au principe de publicité de l’art. 69 al. 2 CPP. En vertu de la Directive A.7 du procureur général genevois, une copie non anonymisée d’une ordonnance pénale frappée d’opposition est, sur simple requête d’un journaliste accrédité formulée dans un certain délai, transmise à ce dernier. A l’inverse, Lucerne, Berne, Soleure, Argovie, Bâle-Campagne, Bâle-Ville, Fribourg, Glaris, Schaffhouse et Vaud n’assujettissent pas les ordonnances pénales qui ne sont pas entrées en force au principe de publicité des prononcés finaux (c. 2.3.4).

Après un bref examen des différentes opinions doctrinales à ce sujet (c. 2.3.5), le TF livre une interprétation de l’art. 69 CPP. Il soutient qu’une interprétation littérale de la disposition ne permet pas de trancher la problématique (c. 2.4.2). 

Sur le plan systématique, notre Haute Cour expose ce qui suit : selon l’art. 69 al. 3 let. d CPP, la procédure pénale de l’ordonnance pénale n’est pas publique. L’art. 69 al. 3 let. a CPP prévoyant déjà la confidentialité de la phase préliminaire de l’ordonnance pénale (art. 352352a et 353 CPP) et pour éviter une redondance, la let. d de cette même disposition paraît viser la phase consécutive à l’opposition (art. 354355 et 356 CPP). Le TF conclut que l’art. 69 al. 2 CPP ne s’appliquerait ainsi pas aux ordonnances pénales non entrées en force (c. 2.4.3).

Une interprétation historique de la disposition (cf. Message relatif à l’unification du droit de la procédure pénale du Conseil fédéral du 21 décembre 2005, FF 2006 1057, p. 1130 ch. 2.2.8.2 ; Rapport explicatif relatif à l’avant-projet d’un code de procédure pénale suisse, OFJ (éd.), Berne, 2001, p. 67 ; BO 2006 E 1004) tend à corroborer le résultat de l’interprétation systématique, sans être décisive (c. 2.4.4).

Le TF revient ensuite sur la portée du principe de la présomption d’innocence (art. 6 par. 2 CEDH32 al. 1 Cst.), et rappelle qu’il suffit d’une motivation donnant à penser que le juge ou l’agent d’État considère l’intéressé comme coupable pour que le principe soit méconnu (CourEDH, Allen c. Royaume-Uni du 12.7.2013, § 93). Selon le TF, la communication à un tiers d’une « proposition de jugement » (ATF 149 IV 9, c. 7.1) condamnant le prévenu est propre à laisser croire que celui-ci est coupable. L’intérêt public poursuivi par le principe de la publicité peut être satisfait par un accès aux seules ordonnances pénales entrées en force, cas échéant, par le prononcé public d’un jugement en cas de mise en accusation. Le TF justifie sa position en expliquant qu’une telle solution permet de « garantir la fiabilité des informations communiquées par les autorités pénales, en ce sens que les tiers, en particulier les médias, peuvent ainsi être certains que le document auquel ils ont accès constitue bien une décision finale. » (c. 2.4.5).

Le TF souligne que l’assimilation par la loi des ordonnances pénales aux jugements entrés en force concerne les ordonnances pénales contre lesquelles aucune opposition n’a valablement été formée (art. 354 al. 3 CPP). Un jugement de première instance est rendu à l’issue de débats et d’une instruction en principe complète (art. 349 et 389 CPP a contrario), alors que l’ordonnance pénale valablement frappée d’une opposition ne marque pas l’issue de la procédure préliminaire (art. 355 al. 1 CPP). Le TF rappelle également qu’une ordonnance pénale est rendue par une autorité de poursuite pénale, et non par un juge (not. ATF 130 IV 90, c. 3.2 ; ATF 124 I 76, c. 2) (c. 2.4.6).

Le TF balaye l’argument du Ministère public portant sur les difficultés pratiques engendrées par la problématique des oppositions tardives (c. 2.4.8). 

Partant, l’art. 69 al. 2 CPP portant sur le principe de publicité de la justice vise uniquement les ordonnances pénales entrées en force. Les ordonnances non entrées en force sont soumises aux règles applicables à la consultation du dossier pénal (not. art. 101 CPP) (c. 2.4.7). Il revient ainsi au tiers de démontrer son intérêt prépondérant à l’information en vue de la consultation d’une ordonnance pénale non entrée en force, et non pas au prévenu de démontrer son intérêt au secret (c. 2.5). 

Le recours est admis et l’arrêt entrepris réformé en ce sens qu’il est enjoint au Ministère public de ne pas donner accès aux tiers à toute ordonnance pénale non entrée en force dans la procédure en question, sauf sur la base d’une décision exécutoire rendue sur requête spécifique (c. 3). 

III. Commentaire 

Comme l’ont révélé Thommen, Kuhn et Berger-Kolopp (Kuhn et Berger-KoloppRegard criminologique sur l’ordonnance pénale, in : Bohnet, Dupont, Kuhn (éd.), Dix ans de Code de procédure pénale, Bâle 2020, pp. 193 ss ; Kuhn, L’économie du droit pénal, in : Jeanneret, Sträuli (éd.), Empreinte d’une pionnière sur le droit pénal : mélanges en l’honneur d’Ursula Cassani, 2021, pp. 183 ss ; Thommen, Der Staatsanwalt als Richter, Zurich 2025, p. 11 s.), environ 90% des condamnations prononcées en Suisse le sont par la voie de l’ordonnance pénale. Parmi ces procédures de condamnation par voie de « proposition de jugement », seules 10% des procédures ont inclus une audition du prévenu par le procureur. 

Ainsi, l’écrasante majorité des inscriptions au casier judiciaire en Suisse le sont sur la base d’une instruction pendant laquelle le condamné n’a été entendu ni par le procureur l’ayant condamné, ni par un juge. Pourtant, comme le dit le TF, une ordonnance pénale est rendue par une autorité de poursuite pénale et non par un juge (c. 2.4.6 et jurisprudence citée).

L’on ne peut que se rallier à la position du TF selon laquelle une ordonnance pénale valablement frappée d’opposition ne constitue qu’une pièce au dossier. En ce sens, et au vu de l’ampleur prise par cette procédure initialement pensée comme un mode de justice négociée (Piquerez, Macaluso, Procédure pénale suisse, 3ème éd., Genève 2011, N 1577), notamment dans les affaires complexes de criminalité économique (Message relatif à l’unification du droit de la procédure pénale du Conseil fédéral du 21 décembre 2005, FF 2006 1057, p. 1279), le fait de se soucier de la « fiabilité des informations » communiquées aux médias n’équivaut-il pas au fait de s’inquiéter de la fiabilité de cette procédure ? L’argument avancé par le TF concernant la fiabilité des informations contenues dans une ordonnance pénale interpelle à deux égards : premièrement, rappelons qu’un jugement de première instance à l’encontre duquel un appel a valablement été formé peut être entièrement réformé en deuxième instance, et selon la jurisprudence du TF, être consulté par des tiers en sa forme anonymisée. Deuxièmement, il semblerait que le TF s’inquiète de la fiabilité des ordonnances pénales, alors que statistiquement, c’est ainsi que l’écrasante majorité des condamnations sont prononcées en Suisse. 

Proposition de citation : Maya Bodenmann, Pas d’application du principe de publicité aux ordonnances pénales non entrées en force , in : https://www.crimen.ch/349/ du 14 novembre 2025