Le prévenu ne peut pas retirer son opposition si le Ministère public rend une nouvelle ordonnance pénale ou s’il porte l’accusation devant le tribunal

En cas d’opposition du prévenu, celui-ci ne peut pas la retirer avant que le Ministère public ne décide de la nouvelle issue de la procédure. En outre, la possibilité pour le prévenu de retirer son opposition n’existe que si le Ministère public maintient l'ordonnance pénale initiale, mais pas s'il rend une nouvelle ordonnance pénale ou s’il porte l'accusation devant le tribunal compétent. Dans ces deux derniers cas, le Ministère public n'est pas lié par son ordonnance pénale initiale et l'interdiction de la reformatio in pejus ne s'applique pas.

I. En fait

Par ordonnance pénale, A est condamné à 180 jours-amende à 70 fr. avec sursis et 1’000 francs d’amende pour violation grave et intentionnelle des règles de la circulation routière (art. 90 al. 2 LCR). Il est reproché à A d’avoir commis un excès de vitesse de 49 km/h après déduction de la marge de tolérance, à proximité d’un chantier.

A forme opposition contre cette ordonnance pénale. Il met en doute la précision de la mesure du radar. Le Ministère public (MP) ordonne une expertise et constate non seulement que la mesure était valable mais en plus que l’excès de vitesse était en réalité d’au moins 50km/h. Le MP informe A qu’il entend poursuivre la procédure pour une infraction plus grave (art. 90 al. 3 et al. 4 LCR), à la suite de quoi A retire son opposition. Malgré le retrait de l’opposition de A, le MP transmet son acte d’accusation au Tribunal de Nidwald. 

Par jugement du tribunal de première instance, confirmé par l’autorité d’appel, A est condamné à une peine privative de liberté de 12 mois avec sursis pour infraction à la LCR au sens des art. 90 al. 3 et 4 let. b LCR.

A forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral (TF). A conclut au classement de la procédure. Il demande qu’il ne soit pas entré en matière sur l’accusation puisqu’il avait retiré son opposition et invoque la violation du principe ne bis in idem (let. A ci-dessous). A titre subsidiaire, A conclut à son acquittement, invoquant notamment la violation du principe in dubio pro reo (let. B ci-dessous).

II. En droit

A. La mise en accusation de A est conforme au droit de procédure

Les juges fédéraux commencent par rappeler un point important pour les praticiens : la possibilité pour le prévenu de retirer son opposition n’existe que si le MP maintient l’ordonnance pénale initiale après l’administration des preuves (art. 355 al. 3 let. a CPP en relation avec l’art. 356 al. 1 et 3 CPP. Elle n’est en revanche pas envisageable s’il rend une nouvelle ordonnance pénale ou s’il porte l’accusation devant le tribunal compétent (art. 355 al. 3 let. c et d CPP). Dans ces deux derniers cas, le MP n’est pas lié par son ordonnance pénale initiale et l’interdiction de la reformatio in pejus ne s’applique pas (TF 6B_703/2021 du 22.6.21, c 4.3.3). C’est d’ailleurs pour cette raison que si le prévenu forme opposition, celui-ci ne peut pas la retirer avant que le MP ne décide de la nouvelle issue de la procédure, contrairement à l’avis défendu par A.  

En l’espèce, le MP a porté l’accusation devant le tribunal compétent de sorte que A ne pouvait plus retirer son opposition. Il faut préciser également que le MP doit mettre en accusation s‘’il arrive à la conclusion que la procédure ne peut plus être menée selon la procédure de l’ordonnance pénale (cf. art. 352 CPP). Tel fut le cas en l’espèce au vu du dépassement constaté après expertise et de la requalification juridique opérée (art. 90 al. 3 et 4 LCR au lieu de art. 90 al. 2 LCR).

Selon le principe ne bis in idem (art. 11 al. 1 CPP, art. 4 Protocole n°7 CEDH), une personne condamnée ou acquittée par un jugement définitif en Suisse ne peut pas être poursuivie à nouveau pour la même infraction (ATF 137 I 363, c. 2.2) (c. 1.1.3). 

En l’espèce, le principe ne bis in idem n’a pas été violé et ne s’oppose pas à un nouveau jugement. Il existe ici une autre situation de fait et de droit que celle qui était à la base de l’ordonnance pénale initiale : d’une part, l’excès de vitesse constaté n’est plus de 49 km/h, mais d’au moins 50 km/h ; d’autre part, la qualification juridique des faits n’est pas la même puisque A a été condamné sur la base de l’art. 90 al. 3 et 4 LCR au lieu de l’art. 90 al. 2 LCR. Le fait qu’il s’agisse du même événement à la base de la procédure n’y change rien. 

C’est à juste titre que l’autorité de première instance est entrée en matière sur l’accusation, sans tenir compte du retrait de l’opposition par le recourant (c. 1.1.4).

B. La condamnation de A est conforme au principe in dubio pro reo 

Selon le principe in dubio pro reo, le tribunal ne peut pas retenir un état de fait défavorable au prévenu si, d’un point de vue objectif, il subsiste des doutes sérieux et irréductibles quant à la réalisation de cet état de fait (cf. art. 10 al. 3 CPP ; ATF 138 V 74, c. 7) (c. 2.1). 

Aux termes de l’art. 90 al. 3 LCR, est punissable celui qui, par une violation intentionnelle des règles fondamentales de la circulation, accepte de courir un grand risque d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort, que ce soit en commettant des excès de vitesse particulièrement importants, en effectuant des dépassements téméraires ou en participant à des courses de vitesse illicites avec des véhicules automobiles est puni d’une peine privative de liberté d’un à quatre ans.

Cette disposition s’applique dans tous les cas où la vitesse maximale autorisée est dépassée de 50 km/h au moins, là où la vitesse maximale autorisée est de 50 km/h (art. 90 al. 4 let. b LCR ; ATF 121 IV 230, c. 2c) (c. 2.1.2).

Le TF rappelle sa jurisprudence constante relative à la réalisation de l’élément subjectif en lien avec ces dispositions (ATF 137 IV 1, c. 4.2.3 ; ATF 142 IV 137) : lorsque les seuils prévus à l’art. 90 al. 4 LCR sont atteints, le caractère intentionnel est en principe réalisé. Les seuls cas où une exception peut entrer en ligne de compte ont trait à des situations exceptionnelles telles qu’un défaut technique du véhicule (dysfonctionnement des freins ou du régulateur de vitesse), une situation de pression extérieure (prise d’otage, menace) ou un trajet d’urgence vers l’hôpital (c. 2.1.3). Le TF considère l’art. 90 al. 3 et al. 4 LCR comme un tout en ce qui concerne les éléments subjectifs de l’infraction et en tant que cas d’application de l’al. 3 (ATF 142 IV 137, c. 8 et c. 10.1).

A la lumière de ce qui précède, le TF examine s’il existait en l’espèce des doutes sérieux et irréductibles au point d’empêcher la condamnation de A. 

Premièrement, compte tenu des éléments au dossier – sur lesquels s’appuie la décision attaquée -, il n’est pas arbitraire de retenir qu’il existait au moment des faits une signalisation suffisante de la vitesse maximale de 40km/h., même en l’absence de preuve directe. En l’espèce, les éléments pertinents retenus par l’autorité inférieure étaient les suivants : la date antérieure de plusieurs mois de la publication officielle de la limitation de vitesse sur ce tronçon, une photographie du chantier de la police cantonale, le procès-verbal des premières déclarations du prévenu et le procès-verbal du pourcentage de véhicules ayant respecté la vitesse de 40km/h sur ce tronçon (80%) (c. 2.2.1). 

Secondement, le TF retient que l’autorité inférieure a motivé de manière concluante et sans arbitraire les raisons pour lesquelles elle a rejeté l’exposé selon lequel la cause de l’excès de vitesse serait la présence de défauts techniques du véhicule.

Il apparaît clairement aux juges fédéraux que cette version a été construite de toutes pièces, après-coup. Elle paraît déjà peu crédible car elle a été invoquée pour la première fois devant l’autorité de première instance, et ce malgré les nombreux échanges antérieurs avec le MP. A n’avait jamais prétendu que son véhicule présentait de graves défauts au niveau des freins devant la police ou le MP. Cette explication n’est apparue qu’après le dépôt de l’expertise concernant la précision du radar, c’est-à-dire dans le cadre de l’accusation pour une infraction plus grave et en contradiction avec les premières déclarations de A qui prétend désormais avoir oublié de mentionner le problème de freins plus tôt. Non seulement il est étonnant que A n’ait pas mentionné voire oublié un événement aussi marquant, mais en plus la description – postérieure – des faits par A selon laquelle le véhicule serait parti comme une fusée est douteuse, même pour le garagiste entendu dans la procédure. Ces doutes sont renforcés compte tenu de la faible puissance du véhicule en question (c. 2.3.1). 

Il découle de ce qui précède que les éléments constitutifs de l’infraction de l’art. 90 al. 4 let. b LCR sont réalisés. La chaussée était étroite dans la zone de chantier et la barrière de sécurité ne constituait pas, de par sa construction, un dispositif de protection mais servait uniquement à canaliser le trafic. Les éléments objectifs des art. 90 al. 3 et al. 4 let. b LCR sont dès lors réalisés. 

Sur le plan subjectif, au vu de sa longue expérience de la circulation, A aurait dû être conscient qu’une vitesse de 90km/h dans ces conditions de circulation – à proximité d’un chantier, sur une chaussée étroite et sans barrière de protection – présentait un grand risque d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort.

Dans ces conditions de circulation et en roulant deux fois plus vite que la vitesse autorisée, A a accepté le risque élevé d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort. Ce constat aurait d’ailleurs été le même si la vitesse autorisée avait été de 60 km/h au lieu de 40km/h, compte tenu des conditions de circulation et de la vitesse à laquelle A circulait (90 km/h). La seule différence est qu’en cas d’excès de vitesse de 50 km/h au moins, comme c’est le cas en l’espèce, la présomption de l’art. 90 al. 4 LCR s’applique.

Pour les juges fédéraux, aucune circonstance ne permet d’éluder le caractère intentionnel de l’infraction commise par A (c. 2.4.1). 

Le recours est rejeté (c. 3). 

Proposition de citation : Mona Rhouma, Le prévenu ne peut pas retirer son opposition si le Ministère public rend une nouvelle ordonnance pénale ou s’il porte l’accusation devant le tribunal, in : https://www.crimen.ch/181/ du 21 avril 2023