Qualité de partie plaignante de l’Asloca-Genève déniée

Le Tribunal fédéral nie la qualité de partie plaignante de l’Asloca-Genève qui avait déposé une plainte pénale pour faux dans les titres commis dans l’exercice de fonctions publiques (art. 317 CP) et obtention frauduleuse d’une constatation fausse (art. 253 CP). Selon le Tribunal fédéral, l’Asloca ne pouvait pas se voir reconnaître une telle qualité dès lors que ses intérêts individuels n’étaient pas directement atteints par le titre en question. En théorie, toutefois, il est concevable que la violation des art. 253 et 317 CP puisse porter directement atteinte aux intérêts individuels d’une personne lorsque le faux sert précisément à lui nuire.

En février 2019, une plainte pénale pour faux dans les titres commis dans l’exercice de fonctions publiques (art. 317 CP) et obtention frauduleuse d’une constatation fausse (art. 253 CP) a été déposée par l’Asloca-Genève. La plainte visait à dénoncer l’acte notarié par lequel un notaire genevois avait faussement constaté qu’un immeuble était, dès sa construction, soumis à un régime analogue à celui d’une PPE, ce qui n’était pas le cas. Cet acte avait permis, selon les règles genevoises en question, la revente de l’immeuble par la société (B. SA) qui en était propriétaire. À la suite de l’opposition de l’Asloca-Genève à l’encontre de certaines ventes, B. SA a introduit une action civile contre la première et exigé des indemnités pour le retard causé dans ces transactions. En outre, B. SA a également déposé plainte contre l’Asloca-Genève pour dénonciation calomnieuse, calomnie et diffamation. Finalement, le ministère public a refusé la qualité de partie plaignante à l’Asloca-Genève dans la procédure pénale qu’elle avait déclenchée au motif qu’elle n’avait aucun lien avec l’immeuble ou l’acte notarié. La cour cantonale rejeta ensuite le recours formé par l’association contre le refus de sa qualité de partie plaignante. Selon elle, l’Asloca-Genève n’avait pas été directement lésée par l’acte notarié et celui-ci n’avait pas non plus servi de fondement à l’ouverture de la procédure civile dirigée contre elle. 

Les griefs soulevés par l’association résident dans le fait que les prétentions civiles introduites par B. SA constituent une atteinte directe à son patrimoine et que l’utilisation du titre litigieux au sein des procédures administrative, civile et pénale la léserait directement compte tenu de la protection des intérêts tant individuels que collectifs qu’offre l’art. 253 CP

Dans son raisonnement, le Tribunal fédéral rappelle que la notion de lésé (art. 115 al. 1 CPP) concerne toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. Or, si une disposition pénale ne protège pas en premier lieu des intérêts individuels, la qualité de lésé – préalable à la reconnaissance de la qualité de partie plaignante – ne peut être accordée que s’il est démontré que la personne concernée a subi une atteinte directe provoquée par le comportement de l’auteur de l’infraction (c. 3.1). En ce sens, il suffit que la norme protège, au moins accessoirement, un bien juridique individuel. Par contre, si la personne concernée n’est atteinte qu’indirectement, par ricochet ou sans rapport de causalité directe avec l’infraction en question, il y a lieu de lui refuser le statut de lésé. 

Quoi qu’il en soit, si le Tribunal fédéral estime que le faux dans les titres de l’art. 317 CP peut également porter atteinte à des intérêts individuels, la création alléguée de l’acte notarié litigieux n’avait manifestement pas pour but de porter directement atteinte aux intérêts de l’Asloca-Genève. Le fait que son patrimoine ou son honneur aient pu être atteints par l’ouverture des procédures pénale et civile à son encontre n’y change rien. En effet, ces procédures ne représentent pas la conséquence directe de la création et de l’utilisation du faux litigieux. Ainsi, les préjudices que pourrait avoir subis l’association doivent être considérés comme indirects et ne lui permettent pas de se prévaloir de la qualité de lésé ni, par conséquent, de celle de partie plaignante (c. 3.3).

Dans un second temps, le Tribunal fédéral examine le caractère restreint qu’il convient d’accorder aux termes « autres autorités » de l’art. 104 al. 2 CPP. Selon lui, la disposition n’a pas pour objectif d’étendre la qualité de partie à des associations protégeant des intérêts généraux. En effet, cette tâche ressortit essentiellement au ministère public dans le cadre d’un procès pénal (c. 3.2). Les juges fédéraux précisent, à cet égard, que ce n’est qu’exceptionnellement que la qualité de lésé est accordée à des associations. Pour cela, une base légale est nécessaire et celle-ci doit permettre explicitement aux associations le droit de porter plainte, à l’image de l’art. 23 al. 2 cum 10 LCD. Au demeurant, il est toujours possible pour les associations œuvrant à la défense des intérêts généraux d’agir en qualité de dénonciateur au sens de l’art. 301 CPP

En l’espèce,  il n’est donc pas pertinent que l’Asloca-Genève bénéficie de la qualité pour recourir selon l’art. 45 al. 5 LDTR puisque cette disposition se rapporte exclusivement aux procédures administratives selon le droit cantonal genevois (c. 3.4). 

Au travers de cet arrêt, le Tribunal fédéral met en avant deux éléments. Premièrement, la qualité de lésé – dont dépend celle de partie plaignante – ne peut être accordée que pour autant que les personnes concernées puissent démontrer avoir été touchées directement dans leurs intérêts. Cela vaut quand bien même la disposition pénale en jeu ne protégerait leurs droits que de manière accessoire. Deuxièmement, le statut de partie plaignante d’associations de défense des intérêts collectifs ne saurait découler de leur qualité pour recourir fondée sur une loi qui ne prévoit pas expressément, en matière pénale, le droit de porter plainte. 

Proposition de citation : Hadrien Monod, Qualité de partie plaignante de l’Asloca-Genève déniée, in : https://www.crimen.ch/3/ du 1 juin 2021