Prise de connaissance d’un extrait actualisé du casier judiciaire comme dies a quo du délai d’opposition à l’ordonnance pénale ?

Une élection de domicile auprès d’un ministère public par un prévenu domicilié à l’étranger n’est pas valable en tant qu’elle suppose des efforts démesurés pour prendre connaissance du prononcé d’une ordonnance pénale et y faire opposition en temps utile. Seule la transmission de celle-ci fait courir le délai d’opposition de dix jours (art. 354 al. 1 let. a CPP), mais pas la prise de connaissance d’un dossier où figure un extrait actualisé du casier judiciaire dont le contenu n’est pas suffisant même s’il mentionne l’ordonnance pénale en cause.

I. En fait

En date du 15 juillet 2020, A, entendu par la police en qualité de prévenu, signe une déclaration selon laquelle il élit domicile à l’adresse du Ministère public jurassien. Ce dernier rend, le 15 octobre suivant, une ordonnance pénale condamnant A à une peine de 40 jours de privation de liberté. Celle-ci est envoyée à son adresse au Kosovo, mais il n’existe aucun suivi de l’envoi.

Le 29 septembre 2022, la secrétaire du mandataire de A consulte et lève copie d’un dossier du Tribunal d’arrondissement de l’Est vaudois dans lequel figure un extrait actualisé du casier judiciaire de A.

En date du 13 octobre 2022, A forme opposition à l’ordonnance précitée en indiquant ne l’avoir jamais reçue. Le lendemain, le Ministère public envoie une copie de l’ordonnance pénale au mandataire de A. Le 17 octobre, le mandataire confirme et motive l’opposition à l’ordonnance pénale.

Par ordonnance du 27 novembre 2023, la Juge pénale du Tribunal de première instance déclare l’opposition irrecevable en raison de sa tardiveté. Saisie sur recours de A, la Chambre pénale des recours du Tribunal cantonal le rejette par un arrêt du 23 janvier 2024.

A forme un recours devant le Tribunal fédéral.

II. En droit

Présentant les griefs de A (c. 1), le Tribunal fédéral rappelle notamment la teneur de l’art. 87 CPP relatif à la notification de l’ordonnance pénale, l’al. 1 prévoyant que « toute communication doit être notifiée au domicile, au lieu de résidence habituelle ou au siège du destinataire » et l’al. 2 que « les parties […] qui ont leur domicile » à « l’étranger sont tenus de désigner un domicile de notification en Suisse ; les instruments internationaux prévoyant la possibilité de notification directe sont réservés » (c. 1.1). Le délai d’opposition à l’ordonnance pénale de dix jours (art. 354 al. 1 let. a CPP) commence à courir le jour suivant celui de la notification (art. 90 al. 1 CPP), étant rappelé que, de jurisprudence constante, le fardeau de la preuve de la notification et de la date y relative incombe à l’autorité (c. 1.2).

En l’espèce, le recourant était domicilié au Kosovo lors de son audition par la police et la notification de l’ordonnance pénale le condamnant n’a pas pu être prouvée, la question litigieuse étant celle de savoir si son élection de domicile auprès du Ministère public est valide (c. 1.3).

En premier lieu, notre Haute Cour rappelle que la Constitution fédérale et le droit international prévoient le droit de toute personne condamnée d’être jugée par une autorité judiciaire et de faire examiner son jugement par une juridiction supérieure (art. 29a et 32 al. 3 Cst. ; art. 6 par. 1 CEDH) (c. 1.4.1). C’est en particulier le cas dans le contexte de l’ordonnance pénale, conçue comme une proposition de jugement simplifiée, dont l’opposition vise précisément à permettre au condamné de soumettre la cause à l’examen d’un tribunal (c. 1.4.2). Se référant à sa jurisprudence publiée à l’ATF 147 IV 518 (rés. in crimen.ch/230/), les Juges de Mon Repos rappellent que la pratique consistant à faire désigner par des personnes domiciliées à l’étranger un domicile de notification auprès du ministère public n’est pas admissible, dès lors que celles-ci ne peuvent de facto prendre connaissance d’une ordonnance pénale pour s’y opposer en temps utile (c. 1.5). 

En l’occurrence, le formulaire de police remis à A et signé par lui indique que les « significations ultérieures seront faites valablement au domicile élu » et qu’en cas d’élection de domicile auprès du Parquet « la personne est rendue expressément attentive au fait qu’elle doit se renseigner auprès du Ministère public », mais aussi qu’« un éventuel délai commence à courir dès la notification/signification de l’acte auprès de […] [l’]autorité désignée par elle » (c. 1.6).

C’est à raison que le recourant conteste la validité d’une notification au siège de l’autorité (c. 1.7) en assimilant l’invitation à se renseigner auprès du ministère public à une obligation de contact nettement trop contraignante pour le prévenu (c. 1.8 1er par.). Sans reprendre les termes de A, le Tribunal fédéral considère que la prise de contact exigée par l’élection de domicile requiert des efforts démesurés pour permettre au prévenu de prendre connaissance de l’ordonnance pénale et d’exercer son droit procédural d’opposition dans le bref délai légal, ce à plus forte raison que le domicile de A est au Kosovo. C’est pourquoi une élection de domicile dans ces circonstances est assimilable à une renonciation à former opposition qui a d’ores et déjà été jugée contraire aux droit constitutionnel et international par la jurisprudence, aucun motif ne justifiant de s’en écarter (c. 1.8 2e par.). C’est à l’autorité pénale qu’il revient de faire en sorte que ses décisions atteignent de manière effective les parties pour qu’elles puissent exercer leurs droits, l’élection de domicile auprès du ministère public faisant reporter le fardeau de la notification sur le prévenu de façon inadmissible (c. 1.8 3e par.).

Dans un second temps, le Tribunal fédéral examine la motivation subsidiaire de l’autorité inférieure selon laquelle la notification a atteint son but lors de la consultation du dossier et sa copie par la secrétaire du mandataire de A en date du 29 septembre 2022 puisqu’un casier judiciaire mentionnant l’ordonnance pénale en cause y figurait (c. 2.2). 

Notre Haute Cour juge seule déterminante la réception par le mandataire de A de la copie de l’ordonnance pénale transmise à lui par le ministère public le 14 octobre 2022 pour déterminer si le délai d’opposition a été respecté. À cet instant en effet, le recourant pouvait prendre connaissance de l’ordonnance, c’est-à-dire de son dispositif et ses motifs. Il ne saurait en être dit autant de l’inscription au casier judiciaire qui, en raison de son contenu (art. 20 LCJ et 10 al. 1 et Annexe 1 Ordonnance VOSTRA), n’est pas suffisante (c. 2.4 1er par.).

Le recourant ayant confirmé le 17 octobre 2022 son opposition à l’ordonnance pénale formée le 13 octobre précédant, son opposition a été formée en temps utile et aucun retard ne peut lui être reproché (c. 2.4 2e par.).

En définitive, le recours est admis (c. 2.5).

Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, Prise de connaissance d’un extrait actualisé du casier judiciaire comme dies a quo du délai d’opposition à l’ordonnance pénale ?, in : https://www.crimen.ch/292/ du 1 octobre 2024