La notification de l’ordonnance pénale au prévenu résidant à l’étranger

Lorsqu’une ordonnance pénale est émise à l’encontre d’un prévenu résidant à l’étranger, elle doit lui être notifiée par voie d’entraide judiciaire, sous réserve que la communication directe des décisions pénales par voie postale repose sur une convention internationale avec l’État étranger concerné. Le fait que le prévenu ait déclaré dans un formulaire qu’il choisit l’adresse du ministère public comme domicile de notification en Suisse ne peut pas être interprété comme une renonciation de facto à une opposition valable à l’ordonnance pénale si le prévenu n’était pas conscient de la portée de sa déclaration. Par ailleurs, une renonciation effective à interjeter recours ne peut intervenir qu’après la communication de la décision attaquable (art. 386 al. 1 CPP), cela valant également, par analogie, pour la renonciation à l’opposition à une ordonnance pénale.

En janvier 2019, le ressortissant brésilien A entre en Suisse et dans le canton de Bâle-Ville par voie autoroutière. À la douane, il est contrôlé par un garde-frontière qui le dénonce pour être entré en Suisse sans document de voyage valable et sans visa. A reçoit ensuite le formulaire en anglais « Déclaration concernant le domicile de notification en Suisse » qui lui donne deux possibilités : indiquer une personne de contact ayant son domicile en Suisse ou désigner comme domicile de notification l’adresse d’une collaboratrice compétente du ministère public. A choisit la dernière option.

Par ordonnance pénale du 9 avril 2019, le MP condamne A pour entrée illégale au sens de la LEI. La collaboratrice compétente de cette autorité de poursuite reçoit l’ordonnance pénale le jour même et envoie une copie par courrier recommandé à l’adresse de résidence étrangère de A au Brésil, courrier qui arrive au point de contrôle frontalier brésilien le 17 avril 2019.

Le 30 juillet 2019, A s’oppose par courriel à l’ordonnance pénale et à sa notification. Le Tribunal pénal du canton de Bâle-Ville constate que l’ordonnance pénale est nulle et ordonne au MP de rendre une nouvelle ordonnance pénale et de la notifier à A par voie d’entraide judiciaire. La Cour d’appel du canton de Bâle-Ville rejette un recours formé par le MP contre cette décision qui dépose un recours au Tribunal fédéral.

Les juges de Mon Repos confirment l’avis de l’instance précédente selon lequel les décisions pénales, en tant qu’actes étatiques souverains, doivent en principe être formellement communiquées aux parties domiciliées à l’étranger par le biais de l’entraide internationale en matière pénale (cfart. 63 al. 2 let. a cum 68 et 77 EIMP) (c. 3.2). Or aucune exception n’a été convenue entre la Suisse et le Brésil permettant la communication directe des décisions pénales suisses à des adresses brésiliennes par voie postale (c. 3.3 2e par.).

Ensuite, le TF examine la question de savoir si, en l’espèce, la notification de l’ordonnance pénale au domicile de notification choisi en Suisse (au MP) constitue une notification valable déclenchant le délai d’opposition. Il constate que le MP, qui estimait que le délai d’opposition avait déjà commencé à courir le 9 avril 2019, a interprété les déclarations de A sur le formulaire en cause comme une renonciation de facto à une opposition valable à l’ordonnance pénale (c. 3.4 1e par.). Cependant, seul le prévenu informé peut valablement renoncer à la protection judiciaire (ATF 140 IV 82 = JdT 2014 IV 301, c. 2.6) (c. 3.1 2e par. in fine).

En l’espèce, il est douteux que le prévenu ait su qu’en remplissant ce formulaire de cette manière il renonçait de facto à son droit d’opposition. Le formulaire en question ne mentionnait notamment pas le court délai d’opposition de dix jours. En outre, il ne donnait pas au prévenu le choix de renoncer à un domicile de notification en Suisse au regard du choix restreint qu’il imposait. Le formulaire ne mentionnait pas non plus l’option évidente de la notification par l’entraide judiciaire au domicile étranger du prévenu. Enfin, le formulaire était en anglais et donc pas dans la langue maternelle de A (c. 3.4 4e par.).

Notre Haute Cour précise ensuite que la solution du formulaire standard privilégiée par le MP avec la fiction de la notification peut bien apparaître efficace du point de vue de cette autorité de poursuite. Or elle est en l’espèce contraire aux dispositions du droit fédéral sur la protection des droits du prévenu (art. 354 al. 1 let. a CPP cum art. 29a et 32 al. 2 et 3 Cst.) ainsi qu’aux obligations pertinentes de la Suisse émanant du droit international (art. 14 ch. 1 cum art. 1 ch. 1 à 3 Traité d’entraide judiciaire en matière pénale entre la Confédération Suisse et la République fédérative du Brésil et art. 1 al. 1 EIMP). Par ailleurs, le TF ne reconnaît pas l’argument du MP selon lequel celui-ci n’a pas agi en tant qu’« organe étatique chargé de la poursuite pénale » dans la phase concernée de la procédure d’ordonnance pénale, mais simplement en tant que « détenteur de domicile » mandaté par le prévenu (c. 3.5 1er par.)

Enfin, le TF rappelle une fois de plus que seuls des prévenus suffisamment informés peuvent valablement renoncer à la protection judiciaire contre les décisions pénales garantie par la Constitution. De plus, le TF retient qu’une renonciation effective à interjeter recours ne peut intervenir qu’après la communication de la décision attaquable (art. 386 al. 1 CPP). Il en va de même par analogie s’agissant de l’opposition contre l’ordonnance pénale (c. 3.5 2e par.).

Au vu de ce qui précède, le TF rejette le recours du MP (c. 4).

Cet arrêt va à l’encontre de la pratique notamment des MP de Bâle-Ville et de St-Gall (concernant ce dernier, voir Tribunal cantonal de St-Gall AK2014.261 du 8.10.2014) selon laquelle la notification de l’ordonnance pénale à une adresse du MP préalablement désignée par le prévenu résidant à l’étranger comme domicile de notification en Suisse sur un formulaire standard déclenche le délai d’opposition. Au vu du présent arrêt du TF, un tel déclenchement du délai est impossible, en tout cas lorsqu’il correspond à une perte de facto du droit d’opposition valable.

Il ne semble pas tout à fait clair comment le TF trancherait le cas dans lequel un tel déclenchement du délai raccourcirait de facto le délai d’opposition pour le prévenu, mais l’opposition resterait encore possible pour ce dernier (c’est-à-dire où une copie peut lui être notifiée dans le délai de dix jours, p. ex. parce qu’il vit dans un pays voisin). À notre sens, le délai d’opposition doit toujours être déclenché par la notification au prévenu. En effet, le délai prévu par la loi à cet égard est déjà très court, de sorte qu’il ne serait pas justifié d’octroyer au prévenu résidant à l’étranger moins de dix jours après avoir effectivement reçu l’ordonnance pénale pour faire opposition.

Proposition de citation : Andrés Payer, La notification de l’ordonnance pénale au prévenu résidant à l’étranger, in : https://www.crimen.ch/38/ du 28 septembre 2021