Procédure pénale suisse ouverte à la suite d’une demande d’entraide étrangère : quel droit d’accès du prévenu ?

Le prévenu dans une procédure pénale suisse ouverte à la suite de la réception d’une demande d’entraide étrangère ne peut avoir accès au dossier de la procédure d’entraide, même s’il soupçonne que les informations ayant donné lieu à sa mise en prévention ont été obtenues en violation des règles de l’entraide.

La France mène une procédure pénale à l’encontre de B et C pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime commis en bande organisée. Apprenant que B et C projettent de se rendre en Suisse, les autorités françaises adressent aux autorités helvétiques, le 5 décembre 2016, une demande d’entraide internationale et sollicitent notamment la mise sur écoute de plusieurs raccordements téléphoniques ainsi que des mesures de surveillance physique de B et C.

Le 13 janvier 2017, les autorités françaises identifient un véhicule immatriculé dans le canton de Vaud et transmettent cette information à la Suisse. Dans le cadre de la surveillance ordonnée en exécution de la demande d’entraide française, les autorités suisses identifient A, fils du propriétaire du véhicule vaudois, comme comparse de B et C.

A est condamné en août 2020 en Suisse pour actes préparatoires délictueux à brigandage (art. 260bis al. 1 let. d CP) et diverses infractions (LStup, LCR, LArm, LPTh et LTC). Par recours en matière pénale interjeté contre l’arrêt de la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud, A conclut notamment à l’annulation du jugement et au renvoi du dossier pour complément d’instruction et sollicite, en particulier, que la demande d’entraide française voire tous les échanges entre les autorités suisse et française soient versés au dossier.

A soutient qu’il a été identifié grâce aux résultats des écoutes téléphoniques ordonnées à la suite de la demande d’entraide française, résultats qui auraient été transmis prématurément, et donc en violation des règles de l’entraide, à l’autorité française requérante. Ainsi, il s’agirait de moyens de preuve illicites et, partant, inexploitables dans la procédure pénale suisse. La production du dossier de la procédure d’entraide permettrait de faire la lumière sur ces procédés.

Le TF retient que A n’a pas été identifié sur la base des écoutes téléphoniques mais des mesures de surveillance physique (c. 1.4 et 2.4). En effet, la transmission par les autorités françaises de l’information relative au véhicule immatriculé dans le canton de Vaud relève de la communication spontanée (art. 11 de l’Accord entre la Suisse et la France du 28 octobre 1996 en vue de compléter la CEEJ, RS 0.351.934.92) et les autorités suisses ont ensuite identifié A comme conducteur du véhicule en question. Compte tenu du fait que A n’était pas visé par les mesures d’entraide, le fait pour les autorités d’apprendre son implication constitue une découverte fortuite. En tant qu’elle remplit les conditions fixées par l’art. 278 CPP, elle peut être exploitée (c. 2.5). La production des échanges d’entraide n’apporterait, quant à elle, aucun élément utile au traitement de la cause, en tant qu’elle n’est pas susceptible d’invalider les preuves recueillies. Partant, le recours est rejeté sur ce point, dans la mesure où il est recevable (c. 2.5).

Trois remarques s’imposent. Tout d’abord, la question qui se pose devant le TF mêle des aspects de procédure pénale et d’entraide internationale. S’agissant de cette dernière, l’accès au dossier est limité aux parties à la procédure d’entraide (art. 80b EIMP), soit les personnes disposant de la qualité pour recourir (art. 80h EIMP), i.e. celles à l’encontre desquelles la mesure d’exécution est ordonnée, à l’exclusion de tout tiers, par exemple des personnes mentionnées dans les pièces à transmettre à l’État requérant (sur ces aspects, problématiques selon nous, voir Maria Ludwiczak Glassey/Francesca Bonzanigo, Protection des données et coopération internationale. Une cohabitation malaisée, PJA 8/2021, 998 ss). Ainsi, A aurait pu avoir accès à la demande d’entraide s’il avait été le titulaire du raccordement mis sur écoute ou la personne surveillée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, les mesures ayant été (sollicitées et) ordonnées uniquement à l’encontre de B et C. Cette approche nous semble toutefois critiquable, en tant qu’elle s’éloigne de la lettre de la loi qui octroie la qualité pour recourir à « quiconque est personnellement et directement touché par une mesure d’entraide et a un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée » (art. 80h let. b EIMP). Tel pouvait être le cas de A dans la présente configuration, si des informations le concernant étaient transmises à l’autorité requérante. L’accès au dossier de la procédure d’entraide aurait toutefois dû être requis conformément aux règles de l’entraide, donc auprès de l’autorité suisse d’exécution et ce dès que A a appris l’existence de la procédure d’entraide. La décision, par hypothèse négative, de l’autorité suisse d’exécution aurait pu être contestée devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (art. 80e EIMP).

Ensuite, la question ne réside pas tant dans le fait de savoir si l’identification de A a été possible sur la base des écoutes téléphoniques ou des mesures de surveillance physique. Certes, l’arrêt entérinant l’interdiction de transmettre des éléments à l’État étranger en temps réel, avant la fin de la procédure d’entraide, concernait les résultats des écoutes téléphoniques (ATF 143 IV 186, c. 2). Toutefois, le même raisonnement s’applique aux éléments issus de toutes formes de mesures, y compris de la surveillance physique. Le critère déterminant est celui de savoir si les éléments sont transmis conformément aux règles fixées par l’EIMP, soit au terme de la procédure (classique) d’entraide (art. 78 à 80d EIMP) ou, depuis récemment, dans le cadre d’une transmission anticipée (art. 80dbis EIMP) – dont la portée est cependant très restreinte (voir Kastriot Lubishtani/Hadrien Monod/Ryan Gauderon, De l’exception à la règle avec l’art. 80dbis EIMP, Revue de l’avocat 1/2021, 27 ss ; Maria Ludwiczak Glassey, La transmission anticipée : l’avenir de l’entraide en matière pénale ?, Jusletter 20 avril 2020 ; Maria Ludwiczak Glassey, L’entraide pénale internationale « dynamique » en bref. Le projet, les débats, le compromis, PJA 1/2021, 71).

Finalement, la question que le TF n’aborde pas dans cet arrêt, mais qui aurait mérité selon nous d’être discutée de manière approfondie, est celle de savoir si, dans toute procédure pénale ouverte à la suite de la réception d’une demande d’entraide étrangère voire d’une information provenant de l’étranger, le prévenu ne devrait pas avoir la possibilité d’accéder à ladite demande ou information afin de pouvoir personnellement vérifier la régularité de la procédure d’entraide et, cas échéant, contester la validité des moyens de preuve recueillis en Suisse sur cette base. Tel n’est pas le cas en l’état actuel de la pratique.

Proposition de citation : Maria Ludwiczak Glassey, Procédure pénale suisse ouverte à la suite d’une demande d’entraide étrangère : quel droit d’accès du prévenu ?, in : https://www.crimen.ch/67/ du 10 janvier 2022