I. En fait
Les autorités italiennes mènent une procédure pénale à l’encontre de B et d’autres personnes notamment pour blanchiment d’argent et recel en lien avec un trafic illicite d’or. À la suite d’une première demande d’entraide à la Suisse en 2013, les autorités italiennes requièrent en 2019 la remise en vue de confiscation des valeurs patrimoniales déposées sur un compte sis en Suisse dont A – fils de B – est titulaire et sur lequel B disposait d’une procuration jusqu’en octobre 2019. La demande se base sur une décision définitive et exécutoire du tribunal d’Arezzo rendue dans la procédure menée à l’encontre de B ordonnant notamment la confiscation de tous les avoirs dont il dispose à concurrence de EUR 198’924’000.-. L’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (OFDF), auquel l’Office fédéral de la justice (OFJ) a délégué l’exécution de la demande, entre en matière et ordonne la remise en vue de confiscation des avoirs déposés sur le compte dont A est titulaire. A recourt contre cette décision auprès de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral en concluant à son annulation.
II. En droit
La Cour des plaintes commence par relever qu’à teneur de l’art. 74a al. 2 EIMP, les objets ou valeurs qui peuvent être remis à l’autorité étrangère en vue de confiscation ou de restitution à l’ayant droit sont : les instruments ayant servi à commettre l’infraction (let. a), le produit ou le résultat de l’infraction, la valeur de remplacement ou l’avantage illicite (let. b), ou encore les dons et autres avantages ayant servi ou qui devaient servir à récompenser l’auteur de l’infraction, ainsi que la valeur de remplacement (let. c) (c. 2.1).
La remise en vue de confiscation de l’art. 74a EIMP requiert un lien suffisant entre l’infraction commise et les avoirs saisis. L’obtention des avoirs concernés doit apparaître comme la conséquence directe et immédiate de l’infraction. Tel est le cas lorsque le produit originaire de l’infraction peut être identifié de manière concrète et certaine ou lorsqu’il est possible de reconstruire le paper trail, de sorte que le lien entre l’infraction et les avoirs puisse être établi. En revanche, l’art. 74a EIMP ne saurait être applicable si la décision prononcée par l’État requérant s’apparente au prononcé d’une créance compensatrice (ATF 133 IV 215, c. 2.2.1) (c. 4.1).
Se pose alors la question de savoir si l’État requérant a prononcé, au sens du droit suisse, une confiscation sur les avoirs litigieux. Après avoir présenté les conditions de la confiscation de l’art. 70 CP (c. 4.2), du prononcé d’une créance compensatrice de l’art. 71 CP (c. 4.3) et de la confiscation des valeurs patrimoniales appartenant à une organisation criminelle de l’art. 72 CP (c. 4.4 ss), la Cour des plaintes retient qu’au regard de la demande présentée par les autorités italiennes, seule une remise à titre de confiscation des valeurs patrimoniales appartenant à une organisation criminelle pourrait être envisagée. En effet, les autorités italiennes ont prononcé la confiscation des avoirs déposés sur le compte dont A est titulaire en considérant que B exerce un pouvoir de disposition sur ceux-ci du fait qu’il a bénéficié d’une procuration sur ce compte (c. 5).
La décision rendue par le tribunal d’Arezzo et présentée par les autorités italiennes ne permet pas de conclure que B aurait participé à une organisation criminelle au sens de l’art. 260ter CP. B a été condamné en Italie, entre autres, pour « associazione per delinquere » (art. 416 Code pénal italien) ce qui, en Suisse, peut être assimilé à une infraction commise en bande. Le groupe avec lequel B a commis les infractions qui lui sont reprochées ne présente pas les caractéristiques d’une organisation criminelle selon l’art. 260ter CP. Une confiscation en vertu de l’art. 72 CP est ainsi exclue en l’espèce. Or l’art. 72 CP est la seule disposition qui aurait permis une confiscation au sens du droit suisse des valeurs déposées sur le compte litigieux sur lequel B avait une procuration. En effet, en prononçant la confiscation « par équivalence » sur les avoirs sur lesquels B exerce un pouvoir de disposition, l’autorité requérante a implicitement admis que ces avoirs ne sont pas d’origine criminelle. Il s’ensuit que la décision de confiscation présentée par les autorités italiennes ne présente pas non plus les caractéristiques de la confiscation de l’art. 70 CP. La remise en vue de l’exécution d’une créance compensatrice au sens de l’art. 71 CP étant exclue, la demande étrangère doit être rejetée (c. 5).
Partant, le recours est admis et la décision de l’OFDF annulée (c. 6).
III. Commentaire
L’admissibilité d’une demande tendant à la remise en vue de confiscation (art. 74a EIMP) d’avoirs sis en Suisse dépend du fait de savoir si la mesure prononcée à l’étranger correspond à une confiscation d’après le droit suisse. Si la décision prononcée à l’étranger ne s’apparente pas à une confiscation au sens des art. 70 ou 72 CP, mais à une créance compensatrice selon l’art. 71 CP, seule la voie de l’exécution des décisions étrangères (art. 94 ss EIMP) est envisageable (ATF 133 IV 215, c. 2.2.1).
Si la décision italienne ne pouvait en l’espèce pas être assimilée à une confiscation au sens du droit suisse, la Cour des plaintes ne semble pas exclure qu’il puisse s’agir d’une créance compensatrice. Ce nonobstant, elle retient que la demande étrangère doit être rejetée « [c]onstatata […] l’inapplicabilità degli art. 70 et 72 CP e ricordata in ogni caso l’impossibilità di concedere l’assistenza giudiziaria per la confisca di un credito compensatorio giusta l’art. 71 CP (v. supra consid. 4.1 in fine) » (c. 5). Or cette affirmation n’est que partielle : l’entraide judiciaire par la voie de l’art. 74a EIMP est certes exclue pour l’exécution d’une créance compensatrice, mais le prononcé étranger pourrait faire l’objet d’une procédure d’exequatur en Suisse (ATF 116 Ib 452, c. 5b ; ATF 115 Ib 517, c. 8). L’art. 13 par. 1 de la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (CBl) oblige d’ailleurs la Suisse, lorsqu’elle reçoit une demande de confiscation d’une Partie à la Convention, soit d’exécuter la décision de confiscation émanant de la Partie requérante (let. a), soit de présenter cette demande à ses autorités compétentes pour obtenir une décision de confiscation et, si elle l’obtient, de l’exécuter (let. b). Ainsi, à défaut de remplir les conditions de la remise en vue de confiscation de l’art. 74a EIMP, la requête italienne aurait pu être considérée comme une demande tendant à l’exécution d’une décision étrangère (art. 94 ss EIMP), sans être rejetée purement et simplement. En effet, l’exécution d’une telle demande ne paraissait pas d’emblée exclue, les infractions poursuivies à l’étranger n’étant pas de nature fiscale (art. 3 al. 3 EIMP ; voir à cet égard ATF 133 IV 215, c. 2.2.2).