I. En fait
En 2011, sur la base de plusieurs demandes d’entraide judiciaire adressées par la Belgique à la Suisse, le Ministère public zurichois (MP) ordonne le séquestre de tous les avoirs bancaires du ressortissant belge E auprès de la banque C. AG. Est alors notamment concerné un compte au nom de A. Inc, société sous le contrôle de E.
Par commission rogatoire du 8 février 2018 et lettre complémentaire du 12 novembre 2018, le parquet de la Cour d’appel d’Anvers a informé les autorités suisses de la condamnation définitive de E pour faux dans les titres, abus de confiance et blanchiment d’argent. Sur cette base, les autorités belges demandent la restitution des avoirs saisis sur les comptes de la société A. Inc., d’un montant de EUR 3’080’225.50 ainsi que d’un montant de EUR 1’492’896.80 à titre d’extinction d’une créance compensatrice en faveur de l’État belge.
En 2020, le MP rend une ordonnance de clôture, accorde l’entraide aux autorités belges et ordonne en application de l’art. 74a EIMP la remise à ces dernières des avoirs déposés sur le compte de A. Inc. d’un montant de EUR 3’080’225.50 en vue de leur confiscation et EUR 1’492’896.80 en vue de l’extinction de la créance compensatrice.
A. Inc. porte l’affaire devant le Tribunal pénal fédéral (TPF), sans succès. Elle forme alors recours en matière de droit public contre cet arrêt auprès du Tribunal fédéral (TF) et conteste notamment la remise à la Belgique de valeurs patrimoniales en vue de l’extinction de la créance compensatrice.
II. En droit
Après avoir admis la recevabilité du recours (c. 1), le TF rappelle sur quelles bases l’entraide judiciaire entre la Suisse et la Belgique est régie à savoir notamment la Convention du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et des infractions pénales (CBl). Cette dernière prévoit à l’art. 13 une obligation pour les États partis d’exécuter les décisions de confiscation émanant d’un tribunal de la Partie requérante (let. a) ou présenter cette demande à ses autorités compétentes (let. b). Le droit suisse met en œuvre dans son ordre juridique la let. a par l’entremise de l’art. 74a EIMP qui règle la remise par voie d’entraide judiciaire de produits d’origine criminelle en vue de leur confiscation, ainsi que les art. 94 ss EIMP qui portent sur l’exécution des décisions définitives et exécutoires d’un État étranger (c. 2.1 et 2.2).
Notre Haute Cour se penche par la suite sur le grief principal de la recourante, à savoir la contestation de l’application de l’art. 74a EIMP au cas d’espèce puisque l’on est en présence d’une décision étrangère prévoyant l’exécution d’une créance compensatrice. Par conséquent, le MP n’est pas compétent pour se saisir de l’affaire. En effet, selon la recourante, seuls les art. 94 ss EIMP sont applicables, et la demande de la Belgique devait donc être introduite auprès d’un tribunal (art. 32 CPP et 105 EIMP) (c. 6.1).
Le TF rappelle qu’aux termes de l’art. 74a EIMP et en particulier de l’al. 1 qui dispose que sur demande de l’autorité étrangère compétente, les objets ou valeurs saisis à titre conservatoire peuvent lui être remis au terme de la procédure d’entraide (art. 80d EIMP), en vue de confiscation ou de restitution à l’ayant droit. Il expose également que selon sa jurisprudence, l’application de l’art. 74a EIMP présuppose l’existence d’un lien suffisant entre l’infraction et les valeurs patrimoniales séquestrées. C’est le cas lorsque le sort du produit initial de l’infraction peut être retracé avec certitude (paper trail), un tel lien est toutefois absent en présence d’une créance compensatrice (ATF 129 II 453, c. 4.1, ATF 133 IV 215, ATF 136 IV 4, c. 6.6). Le TF avait ainsi exclu précédemment l’application de l’art. 74a EIMP en cas de créance compensatrice puisque cette situation aurait pour conséquence de conférer à l’État étranger un privilège injustifié du point de vue du droit des poursuites, dans la mesure où ce droit de préférence n’existe pas en droit interne (art. 71 al. 3 CP) (ATF 133 IV 215) (c. 6.3).
Cependant, le TPF soutient dans sa décision qu’il existe une lacune dans la loi s’agissant de savoir si l’art. 74a EIMP est applicable à un cas de remise de valeurs patrimoniales en vue de l’extinction d’une créance compensatrice et qu’il convient de la combler. Ainsi, selon le TPF, dans son message du 20 mars 1995 concernant la modification de l’EIMP (FF 1995 III 25, 241), le Conseil fédéral (CF) partait du principe que l’art. 74a al. 2 EIMP s’inspirait largement des définitions des art. 58 ss aCP. En particulier, il se basait sur l’art. 59 ch. 2 aCP qui se référait à la créance compensatrice et qui correspond pour l’essentiel à l’actuel art. 71 CP. En outre, la révision de l’EIMP visait avant tout à simplifier et accélérer les procédures d’entraide judiciaire (FF 1995 III 2). C’est d’ailleurs pour cette raison que le CF avait déclaré qu’une décision étrangère de confiscation ou de restitution ne devrait pas faire l’objet d’une décision d’exequatur selon les art. 94 ss EIMP (FF 1995 III 25). Selon le TPF, le CF avait donc la volonté de rendre applicable l’art. 74a EIMP aux procédures visant à exécuter une créance compensatrice. Dans le cas contraire, il l’aurait expressément mentionné dans son message. Le législateur a donc manifestement accepté en toute connaissance de cause de créer une inégalité de traitement par rapport au droit interne suisse, selon lequel l’exécution des créances compensatrices doit toujours avoir lieu dans le cadre d’une procédure de poursuite. Le fait que l’art. 74a EIMP ne mentionne pas la créance compensatrice ne constitue donc pas un silence qualifié du législateur, mais une véritable lacune qu’il convient de combler. L’Office fédéral de la justice (OFJ) et le MP partagent cet avis (c. 6.4).
Le TF analyse ensuite la position de la doctrine au sujet de l’art. 74a EIMP. Il souligne que d’une part, certains auteurs estiment que l’absence de mention à l’art. 74a EIMP des créances compensatrices est une erreur du législateur, ce dernier n’ayant aucune raison d’empêcher le recouvrement des créances compensatrices, et ce d’autant plus que cette institution est connue du droit interne. Ainsi, une créance compensatrice doit pouvoir être exécutée sous l’angle des art. 94 ss EIMP, mais également sous l’angle de l’art. 74a EIMP. À l’inverse, une autre partie de la doctrine soutient qu’il faut partir du principe qu’il s’agit d’un silence qualifié de la part du législateur. En effet, lors de la révision de l’EIMP, l’institution du séquestre des créances compensatrices selon le CP était déjà présente dans la loi (art. 71 al. 3 CP) et ce afin d’assurer l’égalité de traitement des créanciers. En outre, il a déjà été prévu que les art. 94 ss EIMP soient applicables à de tels cas (c. 6.5).
Il revient donc au TF de déterminer si le fait que les créances compensatrices ne soient pas mentionnées à l’art. 74a EIMP constitue un silence qualifié ou une lacune proprement dite, auquel cas il s’agirait de la combler. A cette fin, il procède tout d’abord à une interprétation littérale de l’art. 74a EIMP. Il ressort que les créances compensatrices ne sont, de manière claire, pas couvertes par le libellé de l’art. 74a EIMP. D’un point de vue historique, l’art. 74a EIMP s’appuie certes largement, sur les définitions des art. 58 ss aCP pour décrire les objets et valeurs patrimoniales susceptibles d’être restitués. Cependant, il ressort du message du CF que les définitions ne se recoupent pas. En outre, et contrairement à ce qu’affirme le TPF, il ne ressort pas du message du CF que dans un objectif de simplification et d’accélération de la procédure, une décision étrangère de confiscation ou de restitution ne devrait pas faire l’objet d’une décision d’exequatur (art. 94 ss EIMP). Le CF a en revanche relevé qu’une décision étrangère de confiscation ou de restitution ne devrait pas faire l’objet d’une décision d’exequatur puisqu’une décision de confiscation ou de restitution n’est pas une sanction au sens de l’art. 11 EIMP (FF 1995 III 25). En outre, la jurisprudence constante du TF penche pour une application des art. 94 ss EIMP en cas d’exécution de créances compensatrices (TF 1C_146/2019 du 17.05.2019 c. 4 et références citées). Ainsi, le raisonnement du TPF ne saurait être suivi (c. 6.6 et 6.7).
Par ailleurs, sous l’angle téléologique, le TF relève qu’une procédure au sens des art. 94 ss EIMP est certes plus lourde, et comporte un risque de décisions contradictoires, cependant, cet argument ne justifie pas à lui seul de s’écarter du texte de la loi qui est suffisamment clair. De plus, une application de l’art. 74a EIMP serait en contradiction avec les principes du droit suisse de l’exécution forcée puisqu’elle accorderait de facto un droit de préférence à l’État étranger (art. 71 CP). Enfin, l’art. 13 CBl prévoit explicitement la possibilité pour l’État requis de mener une procédure de confiscation conformément à son droit national. La décision attaquée viole donc le droit fédéral sur ce point (c. 6.7).
Au vu de ce qui précède, le recours de A. Inc. est partiellement admis et la décision attaquée est annulée. La cause est transmise à l’OFJ en tant qu’autorité compétente en matière d’exécution des décisions étrangères (art. 103 s EIMP) (c. 9).
III. Commentaire
Le raisonnement du TF peut être salué à deux égards. Premièrement, la solution retenue est dans le prolongement de sa jurisprudence et permet de ce fait d’assurer une certaine stabilité. Deuxièmement, l’application de l’art. 74a EIMP reviendrait effectivement à accorder dans les faits un privilège à l’État belge, ce qui ne serait pas compatible avec l’ordre juridique suisse (art. 71 al. 3 CP). En outre, l’on conçoit mal l’existence d’une lacune de la loi puisque l’art 74a EIMP est clair sur ce point et que les art. 94 ss EIMP sont applicables. Cependant, il convient de relever que la complexité, la lourdeur et le but recherché par la procédure d’exequatur des art. 94 ss EIMP ne semblent pas adaptés à un cas de créance compensatrice. Le problème ne réside donc pas dans le choix de la disposition applicable, mais plutôt dans sa mise en pratique.