Transmission spontanée d’informations bancaires à l’étranger et qualité pour recourir

En cas de transmission spontanée fondée sur l’art. 67a EIMP portant sur des informations de nature bancaire, suivie de la présentation d’une demande d’entraide, les personnes mentionnées dans la transmission spontanée, qui n’ont pas la qualité pour recourir contre la décision de clôture en vertu de l’art. 80h EIMP cum 9a OEIMP, ne sont pas légitimées à contester ladite transmission.

I. En fait

En connaissance de l’existence d’une procédure pénale en cours en Italie, le Ministère public du canton du Tessin a transmis spontanément, en octobre 2019, des informations au Ministère public de Milan en invitant celui-ci à requérir l’entraide en cas d’intérêt. La transmission spontanée portait en particulier sur un compte ouvert au nom de Aa AG, dont H et C sont les ayants droit économiques.

Une demande d’entraide a été adressée à la Suisse quelques jours plus tard, dans le cadre d’une procédure menée contre H pour escroquerie et blanchiment d’argent. Au terme de la procédure d’entraide, une décision de clôture a été rendue en mai 2022, ordonnant la remise à l’Italie des documents bancaires relatifs à un compte ouvert au nom de E SA en liquidation. Contre ladite décision et, conjointement, contre la transmission spontanée, Aa AG, H et C recourent devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF).

II. En droit

Les recourants ne prétendent pas être les bénéficiaires de la liquidation de E SA et ne fondent pas sur cette base leur qualité pour recourir contre la décision de clôture ordonnant la transmission de la documentation relative au compte de celle-ci (c. 2.2). L’arrêt porte ainsi uniquement sur la qualité pour recourir des tiers mentionnés dans la transmission spontanée fondée sur l’art. 67a EIMP.

D’après les recourants, la qualité pour recourir doit leur être accordée pour trois raisons, à savoir qu’une telle légitimation a été établie par le Tribunal fédéral (TF) dans l’ATF 125 II 356 (1), que leurs données personnelles ont été transmises (2) et qu’ils doivent être légitimés à s’opposer à la transmission de la documentation bancaire relative au compte ouvert au nom de E AG en liquidation, sans quoi il existerait une lacune dans la protection juridique (3). Le TPF déclare le recours irrecevable, à défaut de qualité pour recourir.

Sur le premier point, le TPF rappelle la teneur de l’ATF 125 II 356 (c. 3a, rendu sous l’empire de l’ancien droit mais transposable au nouveau droit), d’après lequel « [l]a voie du recours de droit administratif, empruntée en l’occurrence, est ouverte contre la décision confirmant la transmission de la documentation bancaire à l’État requérant et la saisie de comptes bancaires (art. 80f al. 1 EIMP). Elle est aussi ouverte, simultanément avec le recours dirigé contre la décision confirmant la clôture de la procédure d’entraide, contre la transmission spontanée d’informations effectuée le 27 mars 1998 en application de l’art. 67a EIMP (ATF 125 II 247 c. 6a) ». Il ne résulte pas de cet arrêt que, en cas de transmission spontanée, des personnes autres que celles visées par l’art. 80h EIMP sont légitimées à recourir contre des décisions de clôture concernant des tiers (soit E SA) (c. 2.4-2.5).

Sur le deuxième point, le TPF décide que les dispositions relatives à la protection des données (art. 11b ss EIMP), introduites dans l’EIMP en mars 2019, ne créent pas de voie de recours nouvelle, respectivement de qualité pour recourir distincte de celle prévue à l’art. 80h EIMP (c. 2.6).

Sur le troisième point, le TPF rappelle que le but poursuivi par le droit de l’entraide est d’octroyer la qualité pour recourir à une seule personne uniquement. La jurisprudence établit ainsi les règles les plus claires afin de permettre à l’autorité d’exécution de satisfaire aux exigences de célérité. Puisque la décision de clôture pouvait être contestée par les bénéficiaires de la liquidation de E AG, le TPF constate qu’il n’y a pas de vide juridique devant être comblé (c. 2.7).

L’arrêt n’est pas définitif, un recours ayant été déposé au TF.

III. Commentaire

La transmission spontanée prévue à l’art. 67a EIMP est une des formes d’entraide par lesquelles des informations relatives au domaine secret (à ce propos, voir M. Ludwiczak Glassey/F. Bonzanigo, L’artificielle distinction entre « informations » et « moyens de preuve » en entraide pénale internationale, in : RPS 4/2022, à paraître) peuvent être transmises à un État étranger avant que le processus ordinaire prévu par le droit de l’entraide ne soit achevé, i.e. avant qu’une décision de clôture ne soit rendue. Elle a pour but d’inviter l’autorité étrangère à présenter une demande d’entraide afin d’obtenir les pièces bancaires. Il est de jurisprudence constante que la transmission spontanée ne peut faire l’objet d’un recours immédiat (qui serait d’ailleurs impossible puisque les personnes concernées n’en sont pas informées, ATF 125 II 238, c. 6e). Les tribunaux ont établi que si la transmission spontanée n’est pas suivie de la présentation d’une demande d’entraide, il n’y a pas d’intérêt à ce qu’un recours soit ouvert. En revanche, si une demande d’entraide est présentée, la transmission spontanée pourra être attaquée simultanément à la décision de clôture (ATF 125 II 356, c. 3a).

Se pose toutefois la question de savoir qui est légitimé à recourir. Le présent arrêt précise que les règles ordinaires en la matière trouvent application : la qualité pour recourir revient au titulaire du compte bancaire (art. 80h let. b EIMP cum art. 9a let. a OEIMP), voire au bénéficiaire de la liquidation si le titulaire est une personne morale dissoute (TPF 2009 183 du  3.12.2009, c. 2.2.2 ; ATF 123 II 153, JdT 1999 IV 122, c. 2c). L’existence de la transmission spontanée n’a pas d’influence sur la qualité pour recourir. Ainsi, le fait que des personnes soient mentionnées dans la transmission spontanée ne leur octroie pas la qualité pour recourir, ni sur la base de la règle générale (art. 80h EIMP), ni sous l’angle du droit de la protection des données (art. 11b ss EIMP). Le TPF privilégie ainsi incontestablement la simplification de la tâche de l’autorité d’exécution, qui ne doit notifier sa décision de clôture qu’au titulaire du compte bancaire.

Toutefois, ce faisant, il sacrifie le texte de la loi, selon lequel dispose de la qualité pour recourir « quiconque est personnellement et directement touché par une mesure d’entraide et a un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée ». Or, celui dont les informations bancaires sont transmises spontanément à l’État étranger remplit à notre avis les deux conditions cumulatives de cette disposition. Tel est également le cas de toutes les personnes mentionnées dans la documentation bancaire transmise au terme de la procédure d’entraide, auxquelles la qualité pour recourir est, de jurisprudence constante, niée (ATF 130 II 162, c. 1.3).

Proposition de citation : Maria Ludwiczak Glassey, Transmission spontanée d’informations bancaires à l’étranger et qualité pour recourir, in : https://www.crimen.ch/137/ du 16 septembre 2022