Transmission spontanée : comment distinguer une information d’un moyen de preuve ?

La transmission spontanée par la Suisse à un État étranger de renseignements sur des comptes bancaires ne peut intervenir que lorsqu’il s’agit d’informations et non de moyens de preuve. Le Tribunal pénal fédéral s’en tient à la jurisprudence – critiquable – constante et n’analyse pas la valeur, probante ou non, des éléments transmis selon le droit étranger.

En février 2018, le Ministère public de la Confédération a transmis spontanément au Brésil un tableau contenant un certain nombre de renseignements bancaires concernant A. En mai 2018, pour les besoins d’une procédure pénale ouverte pour corruption active et passive, blanchiment d’argent et organisation criminelle, le Brésil a présenté à la Suisse une demande d’entraide. Le MPC a rendu une décision de clôture accordant l’entraide le 12 avril 2021, contre laquelle A recourt au Tribunal pénal fédéral. Si la cause est devenue sans objet suite à l’annulation de la décision de clôture par le MPC le 20 avril 2021 pour désintéressement de l’autorité requérante, la question de l’attribution des frais procéduraux conduit le TPF à se prononcer sur les griefs soulevés par A. Ce dernier estime, entre autres, que la transmission spontanée a dépassé ce qui est autorisé par l’art. 67a EIMP.

Le TPF commence par rappeler que d’après l’art. 67a al. 4 EIMP (auquel renvoie l’art. 29 par. 1 Traité d’entraide judiciaire en matière pénale entre la Confédération suisse et la République fédérative du Brésil), les autorités suisses ne peuvent, par le biais d’une transmission spontanée, transmettre à l’autorité étrangère des moyens de preuve qui touchent au domaine secret. Peuvent en revanche être transmises de simples informations touchant au domaine secret, si elles permettent à l’État étranger de présenter une demande d’entraide à la Suisse (art. 67a al. 5 EIMP).

Se pose alors la question de savoir si le tableau synoptique fourni spontanément par le MPC aux autorités brésiliennes constitue une simple information ou un moyen de preuve. Ce tableau contenait les éléments suivants :

  • nom du titulaire du compte bancaire et, cas échéant, de l’ayant-droit économique et des personnes au bénéfice d’un droit de signature sur le compte ;
  • solde du compte ;
  • renseignements concernant les personnes sous enquête au Brésil (date de naissance, activité professionnelle) ;
  • résumé de diverses transactions impliquant les relations bancaires, les personnes et les sociétés sous enquête et considérées par le MPC comme pertinentes pour les autorités brésiliennes.

Reprenant la jurisprudence en la matière (en particulier : ATF 139 IV 137, c. 4.6), le TPF souligne que la documentation bancaire constitue un moyen de preuve protégé par l’art. 47 LB. À ce titre, elle ne peut être transmise spontanément. En revanche, il est possible de communiquer à l’autorité étrangère l’existence d’un compte bancaire tout en lui transmettant des informations pouvant servir à la présentation d’une demande d’entraide à la Suisse, comme le nom du titulaire du compte et de l’ayant droit économique. Le TPF constate que le tableau fourni en l’espèce est un document non officiel qui ne peut donc être considéré comme un moyen de preuve. Ainsi, il s’agit bien de simples informations pouvant servir à la présentation d’une demande d’entraide à la Suisse au sens de l’art. 67a al. 5 EIMP (c. 6.2). 

En suivant la jurisprudence constante, le TPF fonde la distinction entre une information et un moyen de preuve sur la forme du document transmis et non sur son contenu. L’on regrette cette appréciation dès lors que, comme le relevait le Tribunal fédéral (ATF 139 IV 137, c. 4.6.2), de nombreux États, tout comme la Suisse, connaissent le principe de la libre appréciation des preuves (problématique également soulevée par François Roger Micheli, L’entraide spontanée (art. 67a EIMP), PJA 2002 156 ss, 157. Voir aussi Maurice Harari/Corinne Corminboeuf Harari, Entraide internationale en matière pénale et transmission anticipée à l’État requérant, in : Antoine Eigenmann/Charles Poncet/Bernard Ziegler [éds], Mélanges en l’honneur de Claude Rouiller, Bâle 2016, 77 ss, 85 s. ; Maria Ludwiczak, Dans la jungle de l’entraide internationale en matière pénale, in : Sévane Garibian/Yvan Jeanneret [éds], Dodécaphonie pénale, Genève/Zurich/Bâle 2017, 117 ss, 120 ss).

Pour déterminer si les renseignements fournis pourront être utilisés comme moyens de preuve dans l’État requérant ou non, une analyse approfondie du droit de cet État, et non du droit suisse, est indispensable. En particulier, il faudrait se demander, dans chaque cas, quelle est la valeur – probante ou non, selon ce droit – non seulement d’un tableau/résumé préparé par les autorités de poursuite pénale suisses, donc émanant d’une autorité officielle, mais aussi des éléments contenus dans ce tableau, à savoir des renseignements relatifs à des comptes bancaires et un descriptif de transactions financières. L’obtention d’une prise de position de la part des autorités étrangères à ce propos pourrait être envisageable avant toute transmission.

Proposition de citation : Maria Ludwiczak Glassey/Francesca Bonzanigo, Transmission spontanée : comment distinguer une information d’un moyen de preuve ?, in : https://www.crimen.ch/24/ du 5 août 2021