Société dissoute avec défaut d’actifs : pas de recours contre la transmission à l’étranger de la documentation bancaire

Lorsqu’une décision de clôture ordonne la transmission à l’étranger de la documentation bancaire d’un compte d’une société dissoute, l’ayant droit succédant à la société peut se voir exceptionnellement reconnaître la qualité pour recourir contre la décision. Pour cela, il doit apporter la preuve que la société a été dissoute, qu’il est le bénéficiaire de la liquidation et que la liquidation n’est pas abusive. Si la société a été radiée du registre du commerce sans liquidation parce qu’elle ne disposait plus d’actifs, la qualité pour recourir exceptionnelle de l’ayant droit est niée, celui-ci n’ayant pas pu apporter la preuve qu’il est le bénéficiaire de la liquidation.

À la suite d’une demande d’entraide du Parquet National Financier de la Cour d’appel de Paris, le Ministère public genevois rend une décision de clôture par laquelle il ordonne la transmission de la documentation bancaire relative à un compte ouvert au nom de la société C Ltd (BVI). La société A Ltd et B recourent devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral qui les invite à produire les documents permettant de déterminer qu’ils sont habilités à représenter C Ltd. Les recourants répondent que C Ltd a été dissoute sans laisser d’actifs à distribuer, tout en précisant que A Ltd était son actionnaire et B son ayant droit. Ils joignent à leur réponse une attestation de radiation du registre et des certificats d’actionnaires de A Ltd. La Cour des plaintes, constatant que les recourants n’ont produit aucun document attestant qu’ils sont les bénéficiaires des avoirs de la société radiée, déclare le recours irrecevable (TPF RR.2021.279-280 du 13.1.2022). A Ltd et B recourent au Tribunal fédéral (TF).

Les recourants, invoquant le cas particulièrement important qui permettrait l’entrée en matière sur le recours (art. 84 al. 2 LTF), allèguent que la Cour des plaintes se serait écartée de la jurisprudence suivie jusqu’alors en leur déniant la qualité pour recourir. Par ailleurs, l’exigence relative à la liquidation en faveur de l’ayant droit relèverait du formalisme excessif dès lors que la société C Ltd a été radiée sans liquidation puisqu’elle ne disposait plus d’actifs (c. 2.1).

Le TF rappelle alors qu’en matière d’entraide judiciaire la qualité pour s’opposer à la transmission de la documentation relative à un compte bancaire n’est reconnue qu’au seul titulaire du compte en vertu de l’art. 80h let. b EIMP cum art. 9a let. a OEIMP. De manière exceptionnelle, la qualité pour agir est reconnue à l’ayant droit de la société titulaire du compte lorsqu’elle a été dissoute et liquidée, sous réserve de l’abus de droit. L’ayant droit doit alors amener la preuve de trois éléments (c. 2.2) :        

  1. La société a été dissoute ;
  2. Il est le bénéficiaire de la liquidation ;      
  3. La liquidation n’est pas abusive.

En l’espèce, les recourants n’ont pas été en mesure de produire les documents qui les désignent comme bénéficiaires de la liquidation de la société. L’inexistence de tels documents ne change rien au fait que les conditions développées par la jurisprudence ne sont pas remplies. Les recourants ne peuvent donc pas se prévaloir de la qualité pour recourir exceptionnelle de l’ayant droit économique qui succède à la société liquidée. Partant, le recours est irrecevable (c. 2.3).

Bien qu’elle soit cohérente avec la jurisprudence constante en la matière (notamment TPF RR.2007.52 du 13.6.2007, c. 3.2), la solution retenue interpelle. En effet, la loi confère la qualité pour recourir à « quiconque est personnellement et directement touché par une mesure d’entraide et a un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée » (art. 80h let. b EIMP). L’Ordonnance ajoute qu’est « notamment réputé personnellement et directement touché […], en cas d’informations sur un compte, le titulaire du compte » (art. 9a let. a OEIMP). Cet ajout est en soi déjà critiquable à certains égards (voir Maria Ludwiczak Glassey/Francesca Bonzanigo, Qualité pour recourir de certaines entités particulières en entraide pénale internationale : hoirie, société dissoute et liquidée et trust, PJA 2022, 146 ss, 151). La jurisprudence fait toutefois un pas supplémentaire (voir notamment ATF 123 II 153, c. 2c) : lorsque le titulaire est une société qui a été dissoute, seule la personne au profit de laquelle la liquidation a eu lieu peut recourir. De facto, cela fait dépendre la qualité pour recourir de la présence ou non d’actifs au moment de la dissolution de la société titulaire du compte.

De plus, nous ne voyons pas pourquoi, lorsqu’il s’agit de personnes différentes, celui qui bénéficie d’un virement des actifs de la société serait davantage « personnellement et directement touché » par la transmission à l’étranger de documents bancaires (et non, par hypothèse, par la saisie voire la remise des fonds) relatifs à l’ancien compte de la société dissoute que l’actionnaire unique de ladite société ou encore l’ayant droit économique dudit compte. A fortiori, il ne dispose vraisemblablement pas d’un intérêt digne de protection, contrairement à ces deux derniers.

Proposition de citation : Maria Ludwiczak Glassey/Francesca Bonzanigo, Société dissoute avec défaut d’actifs : pas de recours contre la transmission à l’étranger de la documentation bancaire, in : https://www.crimen.ch/88/ du 15 mars 2022