Accès au dossier d’une procédure d’entraide clôturée dont les pièces ont été transmises à une autorité fiscale suisse et protection des données personnelles

La personne concernée n’a pas de droit à accéder à l’intégralité du dossier d’une procédure d’entraide clôturée, pas même en application des règles de protection des données personnelles, même si les pièces issues de ladite procédure ont été transmises à une autorité (fiscale) suisse.

I. En fait

À la suite d’une demande d’entraide présentée par les autorités françaises en 2016, le Ministère public de la Confédération (ci-après : MPC) a rendu, en 2020, une décision de clôture par laquelle il a notamment ordonné la remise de la documentation bancaire relative à des comptes ouverts aux noms de A et B.

En parallèle, en 2019, le MPC a effectué une communication spontanée à l’attention de l’Administration fédérale des contributions (ci-après : AFC) qui a donné lieu à l’ouverture d’une procédure fiscale par l’Administration cantonale vaudoise des impôts pour rappel et soustraction d’impôts concernant A et B.

Entre 2022 et 2023, le MPC a rejeté la requête de A et B visant à obtenir un accès intégral au dossier de la procédure d’entraide, mais leur a remis une copie anonymisée de la communication spontanée adressée à l’AFC, ainsi qu’une table des matières caviardée du dossier de la procédure d’entraide. La décision de rejet a fait l’objet d’un arrêt rendu par la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (ci-après : TPF), qui s’est prononcée en défaveur des recourants. Le Tribunal fédéral (ci-après : TF) rejette le recours en tant qu’il est recevable.

II. En droit

Le TF laisse ouvertes tant la question de savoir s’il s’agit d’un recours en matière de droit public au sens de l’art. 82 let. a LTF, ayant pour objet une contestation relevant de la procédure administrative fédérale, ou au sens de l’art. 84 al. 1 LTF, traitant du domaine de l’entraide internationale en matière pénale, que celle de savoir si le recours est recevable (c. 1.2).

Sur le fond, les recourants se plaignent de la violation de leur droit d’être entendus. Il s’agit de déterminer si les recourants disposent d’un droit d’accès au dossier d’une procédure d’entraide clôturée. Partant, à ce stade, il ne s’agit plus de sauvegarder les droits de procédure, en particulier sous l’angle du droit d’être entendu, d’une partie, mais de « mettre en balance les intérêts du recourant avec l’intérêt de l’État et d’éventuelles autres personnes concernées au maintien du secret ». Ainsi, « la manière dont le droit d’être entendu des recourants a été respecté par le MPC dans le cadre de la procédure d’entraide n’est ni pertinente, ni d’actualité » (c. 2.2).

Par ailleurs, puisque l’intérêt des recourants à consulter le dossier intégral de la procédure d’entraide réside dans leur volonté de se prononcer sur la nature des preuves qui leur sont opposées dans la procédure fiscale vaudoise, le TF suit le TPF et décide que l’intérêt privé des recourants relève de la procédure fiscale en question et qu’un intérêt public prépondérant s’oppose au droit à la consultation du dossier de la procédure d’entraide close depuis 2020, l’entraide ayant déjà été accordée et les pièces utilisées par l’autorité requérante (c. 2.3).

Sous l’angle du droit de la protection des données, A et B soutiennent que les documents de la procédure d’entraide leur ayant été transmis par le MPC ne permettent pas de vérifier la finalité du traitement et d’établir le but dans lequel leurs données ont été traitées (c. 3). Le TF leur donne tort : il ressort desdits documents que les données traitées l’ont été dans le cadre d’une procédure d’entraide internationale en matière pénale, ouverte à la suite d’une demande émanant des autorités françaises, et portant sur les relations bancaires des recourants. Donner aux recourants plus de précisions sur le but du traitement « reviendrait à leur révéler le contenu de la demande d’entraide présentée par la France, ce qui irait à l’encontre des principes applicables en matière de procédure d’entraide pénale internationale dès lors que la décision de clôture n’a pas été contestée en temps utile par les recourants et est entrée en force » (c. 3.3).

III. Commentaire

Les recourants avaient initialement interjeté recours contre la décision du MPC devant le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF). Dans le cadre d’un échange de vues impliquant, notamment, le TPF, le TAF a indiqué s’estimer incompétent « pour connaître des recours contre des prononcés en matière d’accès au dossier d’une procédure pendante ou close rendus par le MPC, ce d’autant que celui-ci n’est subordonné ou rattaché administrativement à aucun département » (arrêt TPF, RR.2023.63 + RR.2023.64 du 12.12.2023, c. 1.1.1). La Cour des plaintes du TPF a, quant à elle, décidé de sa compétence « pour connaître du recours s’agissant du traitement des données personnelles », en raison du « lien immédiat avec la procédure d’entraide internationale en matière pénale, par économie de procédure et afin d’éviter d’éventuelles décisions contradictoires » (arrêt TPF, RR.2023.63 + RR.2023.64 du 12.12.2023, c. 1.1.3).

En ne se prononçant pas sur la nature du recours interjeté par devant lui, le TF évite d’aborder, indirectement, cette attribution de compétence. Par ailleurs, la question de la recevabilité aurait mérité d’être tranchée au regard des conditions restrictives, et éventuellement non satisfaites en l’état, posées par l’art. 84 al. 1 LTF.

Sur le fond, bien qu’un accès au dossier d’une procédure d’entraide close ne puisse être déduit de la loi, en particulier des règles posées par la loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale (ci-après : EIMP), cet état des choses a une conséquence sur les parties aux procédures subséquentes menées en Suisse. En effet, l’origine des pièces, potentiellement recueillies et/ou traitées de manière incompatible avec l’EIMP, ne peut être vérifiée. En l’espèce, les recourants auraient pu accéder à ces pièces dans le cadre de la procédure d’entraide, puisqu’en leur qualité de titulaires des comptes bancaires, ils avaient la qualité de parties (art. 80h let. b EIMP cum 9a OEIMP). Toutefois, tel n’aurait pas été le cas de personnes qui ne disposeraient pas de ladite qualité. J’avais déjà relevé cette problématique concernant l’arrêt TF, 6B_405/2021 du 24.11.2021 (https://www.crimen.ch/67/, dans lequel une personne voulait s’assurer du respect desdites règles s’agissant de pièces qui avaient conduit à sa mise en prévention dans une procédure pénale suisse subséquente.

Le TF décide encore qu’accorder aux recourants un accès au dossier complet de la procédure d’entraide clôturée « reviendrait à leur révéler le contenu de la demande d’entraide présentée par la France, ce qui irait à l’encontre des principes applicables en matière de procédure d’entraide pénale internationale dès lors que la décision de clôture n’a pas été contestée en temps utile par les recourants et est entrée en force » (c. 3.3). La formulation me semble trop générale et pourrait prêter à confusion : l’accès à la demande d’entraide étrangère ne dépend en principe pas de la contestation de la décision de clôture (ni, a fortiori, de son entrée en force). Un tel accès à la demande d’entraide et ses annexes est accordé, sous réserve de l’art. 80b al. 2 et 3 EIMP, aux personnes concernées déjà avant que la décision de clôture ne soit rendue, afin de leur permettre d’exercer leur droit d’être entendues et prendre position sur l’éventuelle transmission des pièces à l’étranger. Toutefois, le cas d’espèce constitue l’exception à la règle, due au fait que les titulaires des comptes bancaires n’avaient pas élu de domicile en Suisse. Dans cette situation, la notification se fait à la banque, l’autorité n’ayant pas à interpeller celle-ci avant que la décision de clôture ne soit rendue. Ainsi, dans ce cas de figure particulier, le seul moyen pour les personnes concernées d’accéder à la demande d’entraide était effectivement de contester la décision de clôture.

Proposition de citation : Maria Ludwiczak Glassey, Accès au dossier d’une procédure d’entraide clôturée dont les pièces ont été transmises à une autorité fiscale suisse et protection des données personnelles, in : https://www.crimen.ch/309/ du 8 janvier 2025