Pas de régime extra legem d’exécution des mesures thérapeutiques institutionnelles en milieu d’exécution des peines ouvert

Le placement exceptionnel en milieu fermé d’un auteur exécutant une mesure thérapeutique institutionnelle de traitement des troubles mentaux est subordonné à la condition d’un risque de récidive ou de fuite qualifié (art. 59 al. 3 CP). Il ne peut être effectué en milieu pénitentiaire ouvert.

I. En fait 

Le 13 mars 2018, le Tribunal de première instance de la République et canton du Jura condamne A à une peine privative de liberté de quatre mois ainsi qu’à une mesure thérapeutique institutionnelle de traitement des troubles mentaux pour diverses infractions. L’exécution de la peine est suspendue au profit de la mesure. Cette dernière est par la suite prolongée.  

En raison de son comportement inadéquat, notamment des menaces proférées à l’encontre du personnel, A est transféré d’un établissement médico-social à un foyer, puis à la prison de Porrentruy, où il continue à bénéficier d’un suivi régulier par un psychiatre et des infirmiers. Il est ensuite transféré à l’Établissement d’exécution des peines de Bellevue.

En mai 2024, un plan d’exécution de la sanction est élaboré. Celui-ci prévoit essentiellement la poursuite de l’exécution de la mesure thérapeutique institutionnelle dans un cadre fermé, puis un éventuel transfert en milieu carcéral ouvert. 

Par décision du 31 juillet 2024, confirmée sur opposition le 13 septembre 2024, le Service juridique, Exécution des peines et mesures, du canton du Jura ordonne le transfert du condamné à la Colonie ouverte des Établissements de la plaine de l’Orbe (ci-après : la Colonie ouverte). 

Le 24 février 2025, la Cour administrative du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura rejette le recours formé par A à l’encontre de la décision sur opposition. 

Le 27 mars 2025, A forme recours au Tribunal fédéral, concluant principalement à ce qu’il soit immédiatement placé dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures.  

II. En droit 

Le recourant soutient que l’établissement de la Colonie ouverte ne respecte pas les exigences légales en matière d’établissement approprié à l’exécution d’une mesure thérapeutique institutionnelle des troubles mentaux (c. 2.1). 

À titre liminaire, le TF rappelle que selon l’art. 59 al. 2 CP, un tel traitement doit être effectué dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures. Les lieux d’exécution des mesures thérapeutiques visés aux art. 59 à 61 CP doivent être séparés des lieux d’exécution des peines (art. 58 al. 2 CP) (c. 2.2.1).

Notre Haute Cour se réfère ensuite à l’art. 59 al. 3 CP, qualifié de norme spéciale vis-à-vis de l’art. 58 al. 2 CP, qui prévoit le traitement en établissement fermé en cas de risque de fuite ou de récidive. Ce risque doit être qualifié en ce sens qu’il doit être hautement probable que le condamné commette d’autres infractions contre des biens juridiques essentiels (not. TF 7B_883/2023 du 4.03.2024, c. 2.2.3 ; 6B_360/2023 du 15.05.2023, c. 2.1) (c. 2.2.2).

Le TF signale que dans plusieurs arrêts récents, il est fait mention de la possibilité qu’une mesure thérapeutique institutionnelle soit exécutée dans un établissement pénitentiaire si le traitement est assuré par du personnel qualifié (not. TF 7B_1284/2024 du 13.02.2025 c. 3.2.2 ; 7B_883/2023 du 4.03.2024 c. 3.4). Il précise que cette formulation se rapporte à un placement en milieu fermé au sens de l’art. 59 al. 3 CP. Sous réserve de cette disposition et de la détention pour motifs de sûreté en attente de place dans une institution adaptée (art. 440 CPP), l’art. 58 al. 2 CP impose la séparation des lieux d’exécution des mesures thérapeutiques et des lieux d’exécution des peines (voir not. ATF 148 I 116, c. 2.3) (c. 2.2.3). 

Après un rappel de la jurisprudence de la CourEDH relative à l’art. 5 par. 1 CEDH (not. CourEDH, Rooman c. Belgique du 31.01.2019 § 208 s. ; CourEDH Mehenni (Adda) c. Suisse du 09.04.2024 § 28 ; CourEDH Papillo c. Suisse du 27.01.2015 § 43) (c. 2.2.4), notre Haute Cour se penche sur le Concordat sur l’exécution des peines privatives de liberté et des mesures concernant les adultes et les jeunes adultes dans les cantons latins (RS/JU 349.1), auquel le canton du Jura a adhéré. Selon son art. 4 let. k, l’organe supérieur du concordat arrête dans un règlement la liste des établissements destinés à l’exécution des peines et des mesures relevant du concordat. Selon l’annexe du règlement, l’établissement « la Colonie ouverte » a pour fonction l’exécution d’une sanction pénale dans la section ouverte d’un établissement fermé (basse sécurité), c’est-à-dire pénitentiaire. La Colonie ouverte n’est ni un établissement fermé ou une section fermée d’un établissement ouvert au sens de l’art. 76 al. 2 CP, ni un établissement dédié à l’exécution des mesures thérapeutiques institutionnelles au sens de l’art. 59 al. 2 CP (c. 2.4.1). 

La Colonie ouverte ne respecte pas l’exigence de séparation des lieux d’exécution des mesures thérapeutiques et des lieux d’exécution des peines (art. 58 al. 2 CP). Elle n’est pas un établissement fermé approprié, au sens de la norme spéciale de l’art. 59 al. 3 CP, en cas de risque qualifié de fuite ou de récidive. Notre Haute Cour conclut ainsi que le placement de A dans un établissement ouvert à des fins d’exécution d’une mesure thérapeutique de traitement des troubles mentaux n’a pas de base légale (c. 2.4.2). 

Par conséquent, c’est à tort que le TC s’est fondé sur l’arrêt TF 6B_481/2022 du 29.11.2022, pour retenir que la Colonie ouverte respectait les exigences de l’art. 59 al. 3 CP (c. 3.2.2). Notre Haute Cour précise que dans cet arrêt, le grief du recourant avait été déclaré irrecevable principalement pour défaut de motivation (not. c. 3.3.2) et que l’on ne saurait y voir « une quelconque intention de consacrer un régime extra legemd’exécution des mesures thérapeutiques institutionnelles en milieu d’exécution des peines ouvert » (c. 2.4.2).

Le TF ne parvient pas à déterminer si la cour cantonale considérait qu’il était toujours hautement probable que A commette d’autres infractions contre des biens juridiques essentiels, tel que requis par la jurisprudence. Selon lui : « même s’il avait été possible de fonder un placement en milieu pénitentiaire ouvert sur l’art. 59 al. 3 CP, la motivation de l’autorité précédente ne serait sur ce point pas suffisante » (c. 2.4.3 et 2.4.4). 

Partant, le TF admet le recours, annule l’arrêt du TC, et lui renvoie la cause afin qu’il examine si les conditions pour un placement exceptionnel en milieu fermé au sens de l’art. 59 al. 3 CP sont remplies. Il précise que si tel est le cas, seul un établissement fermé ou la section fermée d’un établissement ouvert entreraient en ligne de compte. Dans le cas où les conditions ne seraient pas remplies, il convient de placer A dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures (c. 3). 

III. Commentaire 

Nous ne pouvons que saluer la clarté du troisième considérant de cet arrêt qui met fin à tout doute relatif à l’éventualité d’exécuter une mesure en milieu ouvert. Cette possibilité est ainsi exclue. À condition qu’un risque de récidive ou de fuite qualifié soit démontré, seul un milieu fermé entre en ligne de compte.

L’arrêt souligne le caractère exceptionnel d’une mesure exécutée ailleurs qu’en établissement psychiatrique ou d’exécution des mesures. À l’heure où l’application de l’art. 59 al. 3 CP est fréquente plutôt que spéciale – pour reprendre la terminologie du TF (c. 2.2.2) – et que le principe de séparation des lieux de l’art. 58 al. 2 CP n’est que peu appliqué en pratique en raison du manque d’établissements de traitement adéquats (voir not. Quéloz, Les mesures thérapeutiques en droit pénal suisse – Un peu de soin, un contrôle de longue durée et une forte obsession sécuritaire, Santé mentale au Québec, 2022 n° 1 vol. 47, pp. 129 ss.), cet arrêt soulève une problématique importante : le caractère sécuritaire des mesures thérapeutiques institutionnelles. Le TF écarte toute critique relative à la pertinence et l’efficacité de l’art. 58 al. 2 CP, qui relève « d’un arbitrage de politique pénale générale, qui doit être effectué par le législateur » (c. 2.4.2).

Proposition de citation : Maya Bodenmann, Pas de régime extra legem d’exécution des mesures thérapeutiques institutionnelles en milieu d’exécution des peines ouvert, in : https://www.crimen.ch/351/ du 2 décembre 2025