I. En fait
Entre 2009 et 2017, A (prévenu) s’est occupé, avec la régie C SA, de la gestion et de la location de deux immeubles résidentiels. Situés à Lausanne et à Morges, les deux immeubles appartiennent à la société que contrôlait A, ainsi qu’à la sœur de ce dernier. Durant cette période, A a communiqué à la régie C SA des montants fictifs d’anciens loyers et charges ainsi que de faux noms d’anciens locataires. Ces fausses informations étaient ensuite inscrites par la régie C SA dans la formule officielle destinée à informer les nouveaux locataires des éventuelles hausses de loyer. Ce procédé, effectué à dix reprises, a permis à A d’augmenter abusivement les loyers en lui évitant de potentielles contestations de loyer initial par les nouveaux locataires. En raison de ces agissements, A est condamné en mai 2020 pour faux dans les titres (art. 251 CP). Sa condamnation est confirmée par la Chambre d’appel et de révision du canton de Genève en septembre 2021. A forme alors recours au Tribunal fédéral.
II. En droit
En substance, A soulève trois griefs. Il estime ainsi n’avoir pas pu prendre connaissance du dossier pénal conformément à l’art. 100 CPP, que l’établissement des faits est arbitraire et que les formules officielles et contrats de bail ne constituent pas des titres au sens de l’art. 110 al. 4 CP.
Dans un premier temps, le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 100 CPP garantit le droit du prévenu de consulter un dossier complet contenant les procès-verbaux de procédures et d’auditions, ainsi que les pièces réunies par l’autorité pénale et les parties (c. 2.1). En l’espèce, il n’apparaît pas que A ait subi une entrave à son droit d’être entendu ou un quelconque préjudice. Au contraire, il appert que ce dernier a disposé d’un accès complet au dossier, que les pièces saisies avaient toujours figuré à l’inventaire de la procédure et qu’il avait été informé des pièces que l’autorité de première instance avait décidé d’extraire afin qu’il puisse se déterminer (c. 2.2 et 2.3). Partant, le Tribunal fédéral rejette le premier grief.
Dans un deuxième temps, notre Haute Cour s’intéresse à la critique relative à l’établissement arbitraire des faits. Elle précise tout d’abord que le juge peut mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une opinion. Cette possibilité vaut également lorsque d’autres preuves sont proposées au juge. En effet, dans la mesure où celles-ci, par appréciation anticipée du juge et sauf arbitraire de sa part, ne sont pas propres à modifier sa conviction, les preuves proposées peuvent être valablement refusées (ATF 144 II 427, c. 3.1.3) (c 3.2). Le Tribunal fédéral estime ensuite que l’autorité précédente pouvait légitimement considérer que les formules de notification du loyer initial contenaient de fausses informations ; quant au montant du loyer précédent d’une part et quant aux noms des locataires précédents d’autre part. Ces faux renseignements avaient permis d’éviter des contestations de loyer initial et d’optimiser le rendement des immeubles en masquant précisément les hausses de loyer. L’implication et la volonté délictuelle de A pouvaient se déduire de ses aveux initiaux, des échanges d’e-mails figurant au dossier, ainsi que des nombreuses déclarations des employés de la régie C SA qui tendaient à confirmer le procédé illicite souhaité par A. Ce dernier expliquait notamment vouloir « faire rentrer de l’argent » et « rentabiliser les immeubles après travaux », tout en ne comprenant « pas pourquoi on accorderait [aux locataires] un avantage » (c. 3.3). En outre, le Tribunal fédéral rejette le reproche de A s’agissant du refus de la cour cantonale d’entendre divers témoins proposés par le prévenu et d’ordonner une expertise. En substance, A n’a pas su démontrer en quoi les refus de la cour cantonale et son raisonnement versaient dans l’arbitraire. Au vu des autres preuves déjà administrées, la cour cantonale pouvait à bon droit refuser d’entendre de nouveaux témoins. Dans le même sens, l’expertise portant sur la hausse des loyers souhaitée par A pouvait également être refusée dans la mesure où elle n’apparaissait pas nécessaire. En effet, indépendamment du caractère abusif des loyers, au sens du droit civil, l’avantage illicite envisagé par A résidait dans le fait qu’il voulait augmenter le rendement des immeubles et s’éviter, au moyen d’un faux, une contestation du loyer initial (c. 3.5).
En dernier lieu, le Tribunal fédéral examine si les formules officielles et les contrats de bail peuvent être considérés comme des titres au sens de l’art. 251 CP. Rappelant que la notion de « titre » d’un écrit est relatif, il évoque les différences entre les faux « matériels » et les faux « intellectuels ». S’agissant des seconds, il précise que, pour pouvoir être qualifiés de titres au sens de l’art. 110 al. 4 CP, les faux intellectuels doivent revêtir une crédibilité accrue et leur destinataire doit pouvoir s’y fier raisonnablement (c. 4.1.2). À titre d’exemple, le Tribunal fédéral mentionne la comptabilité commerciale et ses éléments (pièces justificatives, livres, extraits de compte, bilans ou comptes de résultat) (ATF 146 IV 258, c. 1.1.1 ; ATF 141 IV 369, c. 7.1). Revêtent également une crédibilité accrue les formulaires A dont le contenu est inexact s’agissant du véritable ayant droit économique (TF, 6B_261/2020 du 10.6.2020, c. 4.2), ainsi que les indications de provenance de viande importée (ATF 119 IV 289, c. 4c). Ces trois exemples de faux intellectuels bénéficient d’une valeur probante accrue dès lors que la législation fédérale prescrit leur existence et leur contenu (c. 4.1.3). En revanche, un contrat dont le contenu est faux ne peut d’emblée être considéré comme un titre au sens de l’art. 110 al. 4 CP dès lors qu’il ne revêt pas nécessairement une force probante accrue. Les contrats écrits n’ont valeur de titres que s’il existe des garanties spéciales de ce que les déclarations concordantes des parties correspondent effectivement à leur volonté réelle (ATF 146 IV 258, c. 1.1.1). En outre, puisque l’art. 251 CP est une infraction intentionnelle, l’auteur du faux doit être conscient que le document est un titre et doit, en plus, vouloir tromper autrui avec celui-ci (c. 4.1.4 et 4.1.5).
En l’espèce, les juges fédéraux constatent que l’usage de la formule officielle, consacrée à l’art. 269d CO, poursuit un objectif de protection du locataire, notamment contre les hausses abusives de loyer (c. 4.4.1). Ce faisant, et puisque le caractère obligatoire et le contenu de la formule officielle sont définis par la loi, il faut admettre que ce document revêt une valeur probante accrue. En effet, le locataire destinataire du document doit pouvoir raisonnablement s’y fier, sans avoir à vérifier la véracité des informations transmises par le bailleur s’agissant du montant du loyer précédent. Par conséquent, la cour cantonale n’a pas violé l’art. 251 CP en estimant que les formules officielles sont des titres au sens de la disposition (c. 4.4.3). En outre, le Tribunal fédéral confirme que A a bel et bien agi avec une intention délictuelle. Celle-ci correspond au fait qu’il cherchait, grâce à l’emploi de ces faux, à se procurer un avantage illicite en évitant des procédures en contestation de loyer initial pour augmenter le rendement des immeubles (c. 4.4.4).
En fin de compte, notre Haute Cour apporte une dernière précision sur l’emploi de noms fictifs concernant les anciens locataires et la création de faux contrats de bail. Le Tribunal fédéral relève à cet égard que la législation n’exige pas que l’identité de l’ancien locataire soit indiquée. Or, en l’absence d’une telle obligation, le bailleur ne peut être tenu de garantir la véracité des informations relatives à l’identité des anciens locataires (c. 4.5.1). Partant, s’agissant de cet aspect, on ne saurait considérer l’emploi de noms fictifs sur le contrat de bail comme la création d’un titre faux. Le recours de A est par conséquent partiellement admis sur ce dernier point (c. 4.5.2).