Visites intimes en détention : un droit réservé aux personnes détenues pouvant justifier de relations stables et durables

Il est conforme au droit constitutionnel et au droit conventionnel, notamment au droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH), de refuser, sur la base d’un règlement cantonal, une visite intime à un détenu qui ne peut justifier d’une relation stable et durable avec sa partenaire libre. Cette double condition de stabilité et de durabilité répond à la logique voulant que les visites (comme moyen de conserver des relations avec le monde extérieur selon l’art. 84 CP) visent le maintien de liens affectifs étroits entre proches.

I. En fait

En détention provisoire dans une prison vaudoise, un homme demande à l’Office d’exécution des peines du canton de pouvoir rencontrer sa partenaire dans un parloir intime. Il réitère sa requête deux mois plus tard pour que des mesures soient prises dans la prison où il est incarcéré en vue de lui permettre d’avoir des relations sexuelles. La direction de la prison lui oppose un refus, faute de locaux permettant de telles rencontres.

Le détenu forme un recours contre la décision, lequel se voit rejeté par la direction du Service pénitentiaire du canton de Vaud (SPEN). La juridiction cantonale confirme cette décision négative sur la base de l’art. 82 al. 5 du Règlement sur le statut des personnes condamnées exécutant une peine privative de liberté ou une mesure (RSPC/VD). Cette disposition conditionne l’accès aux rencontres privées à la justification, par la personne détenue, d’une relation stable avec son ou sa partenaire, antérieure à son incarcération, ou ayant duré six mois au moment de la demande.

Le détenu porte l’affaire devant le TF, concluant à ce qu’il lui soit donné sans délai la possibilité d’avoir des relations sexuelles avec sa partenaire au sein de l’établissement, subsidiairement à ce qu’il soit transféré dans une prison le permettant.

II. En droit

Le TF est appelé à se prononcer sur la compatibilité de l’art. 82 al. 5 RSPC/VD – applicable aux personnes détenues condamnées, ainsi qu’en exécution anticipée de peine (art. 236 CPP), et fondant in casu le refus d’accorder des visites intimes au recourant – avec le droit supérieur, plus précisément les art. 8 CEDH, 13 Cst. et 84 CP, ainsi que la Recommandation Rec. (2006) 2 sur les Règles pénitentiaires européennes. Il est rappelé à cet égard que la constitutionnalité d’une norme de droit cantonal peut être examinée à l’occasion d’un contrôle concret de la disposition, étant admis qu’en cas d’inconstitutionnalité, les juges ne sauraient annuler ladite norme, mais pourraient uniquement modifier la décision l’appliquant (not. TF 2C_284/2019 du 16.9.2019, c. 5.1).

La liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.), ainsi que le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH et 13 Cst.) offrent la possibilité aux personnes détenues d’avoir des contacts avec leur famille, dans les limites de la mesure de contrainte dont elles font l’objet. Ces droits peuvent néanmoins être restreints aux conditions de l’art. 36 Cst., à savoir s’ils reposent sur une base légale et respectent le principe de proportionnalité. L’ensemble des circonstances du cas d’espèce doivent être considérées dans le cadre d’une pesée des intérêts, notamment les buts de la détention, les impératifs de sécurité de l’établissement pénitentiaire, la durée de la détention et la situation personnelle de la personne détenue (ATF 149 I 161, c. 2.1 et 2.2) (c. 3.2.1).

Dans le système régional européen, premièrement, la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) estime que la favorisation, par l’institution pénitentiaire, du maintien des contacts entre une personne détenue et sa famille proche est un élément essentiel au respect de la vie familiale (CourEDH Aliev c. Ukraine du 29.4.2003, § 187). La notion de famille ne vise ici pas uniquement les liens du mariage mais aussi, plus largement, les liens familiaux démontrés par des liens personnels étroits (CourEDH Paradiso et Campanelli c. Italie du 24.1.2017, § 140), eux-mêmes attestés par une relation stable entre des personnes de sexe différent ou de même sexe, indépendamment de leur cohabitation (CourEDH Vallianatos et autres c. Grèce du 7.11.2013, § 73). Sans négliger l’importance de la garantie des visites intimes et relationnelles dans les États parties à la CEDH, la CourEDH réfute que la Convention fonderait une obligation d’aménagement de telles visites à charge des États, qui disposent donc d’une marge d’appréciation certaine à cet égard (not. CourEDH Epners-Gefners c. Lettonie du 29.05.2012, § 62). Les restrictions à l’octroi de visites intimes sont certes examinées par la CourEDH sous l’angle de la garantie à la vie privée et familiale, mais en se limitant à un contrôle de l’arbitraire (CourEDH Leslaw Wójcik c. Pologne du 1.7.2021, §§ 125-135) (c. 3.2.2).

En outre, la Règle 24.1 de la Recommandation Rec. (2006) 2, qui a valeur de directive mais dont le TF tient compte, prévoit que les personnes détenues doivent avoir la possibilité de communiquer, fréquemment et par divers moyens, avec leur famille ou des tiers, tout comme de recevoir des visites. En cela, cette règle trace les contours des responsabilités des administrations pénitentiaires en vue de la mise en œuvre de l’art. 8 CEDH (ATF 149 I 161, c. 2.2) (c. 3.2.3)

En droit suisse, deuxièmement, l’art. 84 al. 1 CP dispose qu’une personne détenue a le droit de recevoir des visites et d’entretenir des relations avec le monde extérieur, notamment avec ses proches. Cette disposition ne réglemente toutefois pas les modalités d’exécution des visites conjugales ou intimes. À cet égard, elle n’offre pas de protection plus large que la CEDH et la Cst. (TF 6B_80/2014 du 20.3.2014, c. 1.3) et n’élargit pas le cercle de personnes concernées par des visites intimes. La jurisprudence fédérale ne prévoit donc pas de droit au bénéfice des personnes détenues à entretenir des relations avec d’autres personnes que leurs proches. Le TF a jusqu’ici interprété la notion de proches comme désignant les époux·ses, concubin·es, parents, frères et sœurs, et enfants (ATF 118 Ia 64, c. 3o ; 102 Ia 299, c. 3). Le cercle des personnes concernées par les visites ordinaires étant restreint, celui des visites intimes doit a fortiori être limité, étant admis que ces dernières sont moins fréquentes, présentent des difficultés supplémentaires d’un point de vue organisationnel, ce d’autant plus qu’elles ne sont pas soumises à surveillance comme le sont les visites ordinaires (art. 84 al. 2 CP) (c. 3.2.5).

Les personnes concernées par la notion de proches, susceptibles de bénéficier de visites intimes, peuvent être précisées par les institutions carcérales cantonales dans une loi matérielle. Dans le canton de Vaud, l’exécution des sanctions est régie par la Loi sur l’exécution des condamnations pénales, précisée par le Règlement sur le statut des personnes détenues placées en établissement de détention avant jugement. Lorsqu’une personne est soumise au régime de l’exécution anticipée des peines, les modalités de cette dernière sont réglées par le RSPC/VD, dont l’art. 82 traite des « rencontres privées ». Celles-ci doivent être organisées, dans la mesure du possible, afin de permettre « le maintien des liens de couple ». L’art. 82 al. 5 RSPC/VD prévoit que, « [p]our pouvoir bénéficier d’une rencontre privée, les personnes condamnées doivent justifier d’une relation stable, antérieure à leur incarcération, avec leur partenaire », ajoutant que « [s]i la relation n’est pas antérieure à leur incarcération, elle doit, au moment où la rencontre privée est sollicitée, durer depuis 6 mois au moins ». La Directive SPEN précise la norme réglementaire : les personnes détenues adultes peuvent solliciter une rencontre privée avec leur partenaire régulier·ère, à compter que la relation soit stable et permette de maintenir des liens affectifs (c. 3.2.6).

Pour le TF, l’art. 82 RSPC/VD, tel que concrétisé par la Directive SPEN, excède les garanties de la CEDH, dès lors qu’il permet aux personnes détenues d’entretenir des relations intimes aux fins de maintenir des liens de couple, et ce, alors même que la CourEDH n’impose pas d’obligation étatique d’aménagement de telles visites. Le droit vaudois ne saurait donc être considéré comme contraire à la CEDH et à la Cst., puisqu’il permet des visites intimes, fût-ce exclusivement pour des relations d’une certaine nature et durée. L’art. 82 RSPC/VD ne limite pas le cercle de personnes pouvant bénéficier des visites intimes aux conjoint·es, concubin·es, mais y inclut les personnes entretenant un lien affectif suffisamment étroit avec la personne détenue sans pour autant habiter avec elle. Ainsi la compréhension de la notion de proches découlant de l’art. 82 RSPC/VD est à tout le moins aussi large que l’interprétation qu’en fait la CourEDH, laquelle se réfère à des liens personnels étroits et effectifs indépendants d’une cohabitation (c. 3.2.8).

Les exigences de stabilité et de durée du couple prévues par l’art. 82 RSPC/VD et la Directive SPEN garantissent que la relation ait suffisamment de constance pour répondre à la notion de proches. Le critère de la stabilité doit ici être compris comme excluant une relation qui serait certes durable mais néanmoins fluctuante. Par ailleurs, la durée minimale de six mois ne s’applique que dans l’hypothèse d’une relation survenue postérieurement à l’incarcération, compte tenu des plus grandes difficultés à nouer une relation étroite et durable lorsque l’un·e des partenaires est incarcéré·e. Cette exigence est d’autant moins critiquable qu’il s’agit de la durée minimale pour prétendre à des visites privées, quelle que soit la nature de la relation. Pour toutes ces raisons, le refus, fondé sur l’art. 82 RSPC/VD, d’accorder des visites intimes à des personnes détenues ne pouvant se prévaloir d’une relation de couple stable et durable est conforme au droit supérieur (c. 3.2.8-3.2.9).

Au demeurant, le recourant fait valoir que l’appréciation des preuves par la juridiction cantonale est entachée d’arbitraire, en ce qu’elle nie le caractère stable et durable de son couple. Sur ce point, le TF relève que le recourant ne semble pas avoir vécu avec son amie, qui résidait à l’étranger pendant qu’il menait ses activités criminelles en Suisse ; leurs contacts avant et après la demande de parloir intime étaient peu fréquents, incluant tout au plus un appel via Skype dans le même mois que la requête, et des échanges entre l’amie et l’avocat du détenu. Le recourant n’avait pas déposé de demande de rencontre ordinaire avec son amie, ce qui en soi n’exclut pas une visite intime mais tend ici à faire douter de la stabilité et de la durabilité de leur relation. Nul autre élément ne plaide en faveur de la reconnaissance d’un lien suffisamment étroit entre les intéressé·es pour leur octroyer des rencontres intimes. Ainsi la juridiction cantonale n’a point fait preuve d’arbitraire en estimant que le détenu et sa partenaire ne formaient pas un couple selon l’art. 82 RSPC/VD (c. 3.3).

III. Commentaire

Le présent arrêt fait l’objet d’un commentaire dans Camille Montavon, Visites intimes en détention : un droit réservé aux personnes détenues pouvant justifier de relations stables et durables, analyse de l’arrêt du Tribunal fédéral 7B_471/2023, Newsletter DroitMatrimonial.ch mars 2024.

Proposition de citation : Camille Montavon, Visites intimes en détention : un droit réservé aux personnes détenues pouvant justifier de relations stables et durables, in : https://www.crimen.ch/259/ du 3 avril 2024