I. En fait
A, directeur des ressources humaines de la société C, est condamné le 30 juillet 2019 par ordonnance pénale pour emploi d’étrangers, en l’occurrence B, sans autorisation (art. 118 al. 1 LEI). Parallèlement, B est aussi condamné par voie d’ordonnance pénale pour plusieurs infractions, notamment celle d’avoir séjourné et travaillé en Suisse sans les autorisations requises (art. 115 al. 1 let. b et c LEI). Seul B s’oppose à l’ordonnance pénale. En août 2020, le ministère public classe partiellement la procédure pénale à l’égard de ce dernier s’agissant du séjour illégal et de l’exercice sans autorisation d’activité lucrative en Suisse (art. 115 al. 1 let. b et c LEI). Au fait de ce classement partiel, A saisit le ministère public, en octobre 2020, et requiert l’annulation de l’ordonnance pénale du 30 juillet 2019 rendue à son encontre, faisant référence aux art. 356 al. 7 et 392 CPP. A forme ensuite un recours au Tribunal fédéral après que la Cour de justice genevoise a rejeté son recours contre le refus du ministère public d’annuler l’ordonnance pénale le visant.
II. En droit
En substance, A estime que les conditions de l’art. 392 CPP étaient réalisées de sorte qu’il aurait dû bénéficier du classement partiel rendu par le ministère public à la suite de l’opposition de B. Selon A, le renvoi de l’art. 356 al. 7 CPP, l’art. 392 CPP s’appliquerait également devant le ministère public. Ainsi, comme il le souligne, le Tribunal fédéral est amené à trancher une controverse doctrinale sur la portée de l’art. 356 al. 7 CPP (c. 1.2 et 1.3). Premièrement, il s’agit de savoir si la disposition englobe tous les prononcés rendus à la suite d’ordonnances pénales visant plusieurs prévenus. Secondement, il faut déterminer si la possibilité de faire bénéficier les « autres » prévenus du jugement plus favorable échoit uniquement au tribunal de première instance, à l’exclusion du ministère public. Une majorité de la doctrine soutient que les art. 356 al. 7 et 392 CPP s’appliquent par analogie devant le ministère public si l’un des prévenus a formé opposition et que, ensuite, le ministère public classe la procédure (art. 355 al. 3 let. b CPP) ou rend une nouvelle ordonnance pénale (art. 355 al. 3 let. c CPP). Alors qu’une autre partie de la doctrine ne se prononce pas sur la question, un auteur doute, cependant, de l’opportunité du renvoi général opéré par l’art. 356 al. 7 CPP à l’art. 392 CPP (Oberholzer, Grundzüge des Strafprozessrechts, 4e éd., Berne 2020, p. 603). En effet, un tel renvoi semble peu adéquat puisque le principe de l’unité de la procédure ne prévaut généralement pas dans la procédure de l’ordonnance pénale et que le tribunal de première instance n’a bien souvent pas connaissance des autres ordonnances pénales rendues sur les mêmes faits. Par conséquent, il n’est pas évident que le tribunal de première instance puisse faire bénéficier les autres prévenus de sa décision sur l’ordonnance pénale maintenue (c. 1.3).
Afin de résoudre la question qui lui est soumise, le Tribunal fédéral emploie les diverses méthodes d’interprétation de la loi (c. 1.4). Il ressort de l’interprétation littérale et systématique de l’art. 356 al. 1 CPP que le renvoi opéré par l’art. 356 al. 7 CPP n’intervient que si le ministère public décide effectivement de maintenir son ordonnance pénale à la suite d’une opposition (cf. art. 355 al. 3 let. a CPP), ce qui exclut les trois autres possibilités prévues à l’art. 355 al. 3 let. b à d CPP. En outre, de façon systématique, l’art. 392 CPP fait référence à l’ « autorité de recours ». Cette notion suppose qu’il s’agit d’une autorité distincte de celle qui a prononcé la première condamnation – ici, l’ordonnance pénale – et donc que le législateur souhaitait conférer cette compétence à une autorité « supérieure ». Cette prérogative serait ainsi réservée au tribunal de première instance chargé de contrôler l’ordonnance pénale que le ministère public a décidé de maintenir. En effet, l’application analogique des art. 356 al. 7 CPP et art. 392 CPP, en cas de classement (art. 355 al. 3 let. b) ou de nouvelle ordonnance pénale (art. 355 al. 3 let. c CPP) « reviendrait à reconnaître, d’une manière inédite dans le CPP, la possibilité pour une autorité d’annuler une condamnation entrée en force qu’elle a elle-même prononcée […] » (c. 1.4.1).
L’approche historique effectuée par le Tribunal fédéral semble étayer ce premier constat. En effet, les travaux préparatoires exposent que le tribunal peut modifier les ordonnances pénales qui n’ont pas été contestées si les (autres) prévenus ayant formé opposition obtiennent un jugement plus clément que l’ordonnance pénale initiale. En d’autres termes, rien n’indique que cette prérogative reviendrait également au ministère public (c. 1.4.2).
Sur un plan téléologique, le Tribunal fédéral rappelle ensuite que l’art. 392 CPP cherche avant tout à éviter des demandes de révision ultérieures. En ce sens, l’extension du champ d’application de l’art. 392 CPP ne serait pas illogique. Pourtant, le Tribunal fédéral rejette cette possibilité, considérant qu’elle « ne trouve pas d’assise suffisante dans la loi » à la suite des interprétations littérale, historique et systématique de la norme. Notre Haute Cour estime par ailleurs qu’il faut relativiser l’argument selon lequel, à défaut d’une telle possibilité, les cours d’appel seraient débordées face à de nombreuses demandes de révision ultérieures. En outre, elle considère que la demande de révision d’une ordonnance pénale non frappée d’opposition auprès de l’autorité de révision ne paraît pas plus compliquée qu’une requête adressée au ministère public en vue d’annuler l’ordonnance pénale en question (c. 1.4.3).
En fin de compte, le Tribunal fédéral profite de l’occasion pour apporter une nouvelle précision, sous la forme d’un obiter dictum, s’agissant de la relation entre les art. 356 al. 7 CPP et art. 392 CPP. Il semble indiquer que l’usage du singulier à l’art. 392 al. 1 CPP (« dans une même procédure ») restreint son application aux seuls cas où plusieurs prévenus sont concernés par « le même prononcé ». Il laisse entendre que pour faire bénéficier les autres prévenus condamnés, soit ceux qui n’ont jamais formé opposition, du verdict plus favorable rendu par le tribunal de première instance, il est nécessaire que ce dernier puisse connaître leur identité. D’après le Tribunal fédéral, le législateur entendait exclure ces « autres » condamnés de la possibilité offerte par les art. 356 al. 7 cum 392 CPP lorsque l’autorité de première instance ignore leur implication dans l’affaire soumise devant elle, et que celle-ci ne ressort pas clairement du dossier. À l’inverse, ceux-là doivent pouvoir bénéficier de la révision « simplifiée » si l’autorité appelée à statuer a connaissance des ordonnances pénales potentiellement visées, ce qui peut être le cas « lorsque l’ordonnance pénale objet de l’opposition concerne plusieurs co-prévenus ou que l’existence d’autres ordonnances pénales peut être déduite de l’ordonnance pénale attaquée, voire du dossier pénal soumis au juge ». Lorsque tel n’est pas le cas, demeure encore ouverte la voie de la révision (art. 410 CPP) en faveur des condamnés non appelants, ou qui n’ont pas formé opposition (c. 1.4.4).
En tout état de cause, le Tribunal fédéral rappelle que, en l’espèce, il ne revenait pas au ministère public de se prononcer sur la demande de A tendant à faire annuler l’ordonnance pénale rendue à son encontre (c. 1.5). Il appartiendra donc à la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise de statuer sur la demande de révision, formée par A parallèlement à sa demande d’annulation adressée au ministère public (c. 1.6).