Changement de composition de la Cour dans le cadre de débats d’appel scindés 

Lorsque les débats d’appel sont scindés en deux parties et qu’un changement dans la composition de la Cour intervient dans l’intervalle, les débats doivent par principe être répétés dans leur intégralité.

I. En fait 

    Par jugement du 24 février 2022, le Tribunal de district de Münchwilen acquitte A de plusieurs infractions et en classe d’autres. Le Ministère public, A et la victime interjettent appel contre ce jugement. A demande également l’octroi d’une indemnité pour tort moral.  

    Le 6 janvier 2023, A demande à ce que l’audience d’appel soit scindée en deux parties, en ce sens que seules les questions des faits ainsi que de la culpabilité ou de l’acquittement soient d’abord débattues et tranchées. Par décision du 31 janvier 2023, la Cour suprême du Canton de Thurgovie accepte la demande d’A.

    Le 13 février 2023, la première partie de l’audience d’appel a lieu conformément à la décision de la Cour. A l’issue de cette audience, la Cour suprême déclare A coupable de viol. 

    Plus d’un an plus tard, soit le 20 mars 2024, se tient la deuxième partie de l’audience d’appel qui porte cette fois sur la fixation de la peine. A la suite de cette audience, la Cour suprême du canton de Thurgovie fixe la peine d’A. Lors de cette seconde audience, l’un des juges qui avait siégé lors de la première audience a été remplacé en raison de sa nomination au Tribunal fédéral.

    A interjette recours en matière pénale contre ce jugement auprès du Tribunal fédéral.  

    II. En droit 

      Le recourant invoque notamment une violation de l’art. 335 CPP qui garantie le principe de l’intime conviction des juges, estimant que les débats d’appel auraient dû être répétés dans leur intégralité en raison d’un changement dans la composition des juges ayant siégé. Or, la violation de ce principe entraîne de facto l’admission du recours et l’annulation de la décision attaquée, indépendamment du bien fondé matériel du recours (c. 2 et 3.1). 

      L’art. 30 al. 1 Cst. prévoit que toute personne a le droit à ce que sa cause soit jugée par un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial. Sur la base de l’art. 335 al. 1 CPP, le tribunal doit, pendant toute la durée de débats, c’est-à-dire depuis l’ouverture des débats (art. 339 al. 1 CPP) jusqu’au prononcé du jugement (art. 351 CPP), siéger dans sa composition légale en présence d’une greffière ou d’un greffier (TF 6B_904/2015 du 27.5.2016, c. 2.3.1 ; 6B_596/2012 du 25.4.2013, c. 1.3). Si un juge fait défaut pendant les débats principaux, l’art. 335 al. 2 CPP prévoit que l’ensemble de ceux-ci doivent être répétés, à moins que les parties n’y renoncent. La direction de la procédure peut ordonner qu’un membre suppléant du tribunal participe dès le début aux débats afin de remplacer, si nécessaire, un membre du tribunal (art. 335 al. 3 CPP). La modification de la composition des juges en cours de procédure ne constitue pas en soi une violation de l’art. 30 al. 1 Cst., tant qu’elle repose sur une raison objective. Elle peut notamment être nécessaire en raison de l’élection d’un juge dans une autre juridiction (c. 3.3.1). 

      Par ailleurs, le tribunal dispose de la possibilité, à la demande du prévenu, du ministère public ou d’office, de diviser les débats en deux parties. Par exemple, il peut limiter une première partie de la procédure à la question des faits et de la culpabilité, et réserver une seconde partie aux conséquences d’un verdict de culpabilité ou d’acquittement (art. 342 al. 1 let. a CPP) (c. 3.3.2).

      En l’espèce, l’instance précédente a, à la demande du recourant, scindé les débats d’appel en deux parties : une première partie, tenue le 13 février 2023, et une deuxième partie, le 20 mars 2024. Dans l’intervalle, le Président de la Cour a été remplacé en raison de son élection au Tribunal fédéral. Or, dans le cadre d’une division des débats en deux parties selon l’art. 342 al. 1 CPP, la seconde phase de la procédure est considérée, selon le texte clair de la loi, comme une continuation des débats principaux et non comme une procédure distincte. Par conséquent, l’absence du juge dans la seconde partie des débats et son remplacement entrent dans le champ d’application de l’art. 335 al. 2 CPP (c. 3.4).

      Bien qu’un changement dans la composition du tribunal puisse être admissible dans des cas exceptionnels (TF 6B_434/2020 du 14.9.2021, c. 3), l’art. 335 CPP impose aux juges de fonder leur intime conviction sur le contenu des débats principaux, notamment sur les preuves présentées et les arguments avancés par les parties (TF 6B_14/2012 du 15.9.2021, c. 3.4). Les débats, les délibérations et le vote doivent se dérouler dans une composition identique tout au long de la procédure (c. 3.3.5).

      Ainsi, dans le cas d’espèce, les débats auraient dû être repris dans leur intégralité au sens de l’art. 335 al. 2 CPP, en raison de l’absence d’un juge lors de la seconde phase des débats. L’instance inférieure aurait donc dû signaler la défection du juge et attirer l’attention des parties sur le principe de répétition, ainsi que sur leur droit de renonciation (art. 335 al. 2 CPP) (c. 3.6 et 3.7).

      Par conséquent, le grief d’A est fondé et le recours admis. La décision attaquée doit être annulée et l’affaire renvoyée à l’instance précédente pour répétition de l’ensemble des débats principaux et nouvelle décision (c. 3.8 et 4.1).

      Proposition de citation : Hélène Rodriguez-Vigouroux, Changement de composition de la Cour dans le cadre de débats d’appel scindés , in : https://www.crimen.ch/304/ du 21 novembre 2024