Le risque de fuite comme motif spécial de détention provisoire

Lors de l’examen du risque de fuite (art. 221 al. 1 let. a CPP), il faut non seulement tenir compte de la gravité de la peine encourue, mais aussi de l’ensemble des conditions de vie du prévenu. Si le risque de fuite n’est pas donné de manière évidente, les autorités cantonales doivent examiner les autres motifs de détention. Une durée de la procédure de contrôle de la détention de 25 jours au total n’est pas excessive dans la mesure où le cas ne peut être qualifié de simple.

I. En fait

Une instruction pénale est en cours contre A pour diverses infractions, dont tentative d’homicide et mise en danger de la vie d’autrui. Il est soupçonné de s’être soustrait à un contrôle routier de police en ville de Zürich le 9 novembre 2021. Il aurait pris la fuite à plus de 90 km/h, percutant gravement un cycliste avec son véhicule et aurait transporté environ 1,4 kg de marijuana et 504 grammes de haschisch. Il est également soupçonné d’avoir stocké dans les locaux d’une société plus de 15 kg de chanvre industriel et 1,69 gramme de haschich et d’avoir conservé un poing américain. A a été arrêté le 9 novembre 2021 et placé en détention provisoire par décision du tribunal des mesures de contrainte (TMC) du district de Zurich. Celle-ci a été prolongée à deux reprises. 

Le 2 juin 2022, A dépose une demande de mise en liberté, laquelle est admise par décision du TMC du 9 juin 2022. Le même jour, le ministère public dépose un recours contre cette décision auprès du Tribunal cantonal de Zurich et obtient gain de cause. La décision de mise en liberté du TMC est ainsi annulée par l’autorité de deuxième instance. 

A forme un recours auprès du Tribunal fédéral (TF) contre cette dernière décision.

II. En droit

Le recourant estime que c’est à tort que l’instance précédente a admis le risque de fuite. En outre, il invoque une violation de son droit d’être entendu, du principe de célérité en matière de détention et de l’art. 5 ch. 4 CEDH (c. 3.2).

Le TF nous rappelle d’abord brièvement sa jurisprudence en matière de détention provisoire. En substance, trois conditions doivent être réalisées (art. 221 al. 1 CPP) : l’existence de forts soupçons d’un crime ou d’un délit (motif général), l’existence d’un risque de fuite, de collusion ou de récidive (motif spécial, art. 221 al. 1 let. a, b ou c CPP) et le respect du principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 et art. 36 al. 3 Cst., art. 197 al. 1 let. c et dart. 212, al. 2 let. c et art. 237 al. 1 CPP) (c. 3.1).

Les juges fédéraux sont amenés ici à examiner le motif spécial de détention que constitue le risque de fuite (c. 4).

Ils saisissent l’occasion pour procéder à un résumé complet de la jurisprudence en la matière. Ainsi, pour admettre un risque de fuite, la gravité de la sanction encourue constitue certes un indice, mais ne suffit toutefois pas. Il faut également tenir compte des circonstances concrètes, à savoir de l’ensemble des conditions de vie du prévenu (ATF 145 IV 503, c. 2.2 ; 143 IV 160, c. 4.3). À cet égard, le TF cite par exemple les liens familiaux et sociaux du prévenu, sa situation professionnelle, ses dettes, ses contacts à l’étranger de même que ses caractéristiques personnelles spécifiques (aisance dans les voyages, tendance à des réactions concrètes de fuite, énergie criminelle marquée, etc.). Le risque de fuite vers un pays qui pourrait en principe extrader le prévenu vers la Suisse ou le poursuivre par procuration ne fait pas tomber le risque de fuite (ATF 145 IV 503, c. 2.2).

Au chapitre des motifs susceptibles de diminuer le risque de fuite, il faut tenir compte de la durée de la procédure, respectivement de la durée de la détention déjà exécutée, car celle-ci fait diminuer la peine restante concrètement encourue (imputation sur la peine, cf. art. 51 CP ; ATF 143 IV 160, c. 4.3). Lors de l’évaluation de cette dernière, il faut également tenir compte d’éventuelles décisions judiciaires déjà rendues sur la quotité de la peine ou sur d’autres sanctions (ATF 145 IV 503, c. 2.2 ; 143 IV 160, c. 4.1) (c. 4.1). 

Pour le TF, certaines circonstances concrètes de la situation du recourant ne permettent pas de conclure d’emblée à l’existence d’un risque de fuite. En effet, A est un ressortissant suisse dont l’environnement familial, professionnel et social se trouve en Suisse. Ni ses prétendus contacts professionnels à l’étranger ni son plurilinguisme présumé ne permettent de conclure à un risque de fuite. La situation professionnelle et financière du recourant n’est certes pas stable, mais il a démontré de manière convaincante qu’il disposait toujours de perspectives d’avenir en tant que gérant d’un snack-bar. En outre, le manque de moyens financiers de A peut rendre une disparition ou une fuite plus difficile. 

Malgré ce qui précède, il n’est pas contraire au droit fédéral de retenir que le recourant présente un risque de fuite, principalement au vu des deux circonstances suivantes :

  • Premièrement, le recourant est menacé d’une peine privative de liberté de plusieurs années et ce même si les accusations de tentative d’homicide intentionnel et de tentative de lésions corporelles graves, contestées par le recourant, n’étaient pas retenues.  
  • Secondement, la situation en matière de logement de A n’est pas claire. Aucun effet personnel n’a été trouvé dans l’appartement de sa sœur où il a déclaré habiter depuis plus d’un mois avant son arrestation. En outre, A s’est contredit dans ses déclarations : il a d’abord parlé d’une cohabitation avec sa sœur, puis d’un transfert d’appartement planifié mais non encore exécuté. S’ajoute à cela le fait que le recourant ne portait pas de clé de l’appartement sur lui lors de son arrestation (c. 4.4). 

En définitive, le TF confirme le résultat auquel est parvenue l’autorité inférieure, tout en soulignant que le risque de fuite que présente le recourant n’était en rien évident. Pour cette raison, les autorités inférieures auraient dû examiner les autres motifs de détention. Cette omission n’entraîne toutefois pas une violation de l’obligation de motiver la décision découlant du droit d’être entendu (arrêt TF 1B_24/2022 du 3.2.22, c. 5) (c. 4.5). 

Dans un second grief, le recourant se plaint d’une violation du principe de célérité (art. 31 al. 4 Cst., art. 5 ch. 4 CEDH, art. 5 CPP). L’instance inférieure aurait tardé à rendre sa décision.

Après quelques rappels jurisprudentiels relatifs à l’art. 5 al. 2 CPP (principe de célérité accru qui prévaut en matière de détention, cf. ATF 137 IV 118, c. 2.1 ; arrêt TF 1B_434/2021 du 14.9.21, c. 3.2 destiné à publication), le TF explique qu’il a considéré comme excessive une durée de procédure de 41 jours (ATF 114 Ia 88, c. 5c) ou de 30 jours (ATF 117 Ia 372, c. 3a) dans des affaires qui ne soulevaient aucune question particulièrement difficile sur le plan procédural ou matériel (c. 5.2).

En l’espèce, la durée de la procédure de contrôle de la détention (entre le dépôt du recours du MP et la notification de la décision) a été de 25 jours au total. Comme le recourant le fait lui-même valoir dans son mémoire de recours, le risque de fuite n’était en l’occurrence pas évident. Dans cette mesure, il ne s’agit pas d’un cas simple. La durée de la procédure devant l’instance inférieure est encore raisonnable, de sorte que le grief du recourant est infondé (c. 5.3).

Au vu de ce qui précède, le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité (c. 6).

Proposition de citation : Mona Rhouma, Le risque de fuite comme motif spécial de détention provisoire, in : https://www.crimen.ch/131/ du 23 août 2022