I. En fait
Le 3 avril 2018, C commet une infraction aux règles de la circulation routière en Italie. Au mois de novembre suivant, une amende de CHF 120.40 (€ 102.94) lui est notifiée par la commune de Turin qu’il paie dans la foulée. Le 2 mars 2020, il reçoit un courrier de la société de recouvrement D SA qui l’informe avoir été été mandatée par « le créancier », soit « Comune di Torino – Polizia Municipale », pour recouvrer ladite amende. Il est accompagné d’un bulletin de versement indiquant un montant de CHF 542.35 qui correspond à l’amende en question plus les frais et intérêts éventuels.
Le 18 mars 2020, C dépose plainte pénale devant le Ministère public de la Confédération pour actes exécutés sans droit pour un État étranger (art. 271 CP). Après avoir obtenu l’autorisation nécessaire du Département fédéral de justice et police de poursuivre les faits dénoncés, le MPC condamne par ordonnance pénale B, directeur de D SA, et A, fondé de pouvoir et responsable du département « recouvrement de créances » au moment des faits. A et B forment opposition et le MPC transmet à la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral les ordonnances précitées pour tenir lieu d’acte d’accusation.
II. En droit
Après avoir examiné sa compétence (c. 1), puis l’autorisation du DFJP de poursuivre les faits dénoncés (c. 2), le TPF reprend le contenu de l’acte d’accusation (c. 3) pour procéder à l’appréciation des preuves (c. 4).
En substance, il apparaît que D SA obtient les informations nécessaires (nom, prénom, adresse, numéro de plaque, motif de la créance et montant) à l’établissement d’un courrier de rappel tel que celui en cause auprès de deux sociétés italiennes, soit G et H. Les données sont ensuite introduites dans un système informatique générant automatiquement ledit courrier, sans que D SA n’ait de liens ou encore de contacts avec des communes italiennes (c. 4.2). Au moment des faits, le site Internet de fedpol indiquait s’agissant des « amendes émises à l’étranger » qu’« à l’étranger les communes chargent également des entreprises privées de prélever des amendes de stationnement sur le domaine public. Ces amendes sont considérées comme des créances de droit privé et peuvent donc être encaissées par des agences suisses de recouvrement » (c. 4.8). Au cours des débats, A et B ont expliqué procéder à l’« encaissement » de créances et non pas à leur « recouvrement » en envoyant un « courrier d’information » sans qu’aucune mesure coercitive ne soit invoquée et de poursuite effectuée en cas de non-paiement (c. 4.9).
Le TPF présente ensuite les éléments constitutifs de l’art. 271 CP incriminant les actes exécutés sans droit pour un État étranger (c. 5 ss). À cet égard, la notification et l’exécution de décisions étrangères doivent en principe avoir lieu au moyen de l’entraide judiciaire, car elles touchent la souveraineté de la Suisse qui correspond au bien juridiquement protégé par cette disposition (c. 5.1.2). La question controversée de savoir si la notification doit être en mesure de déclencher des effets en Suisse est laissée ouverte, car la notification d’un document selon lequel des effets juridiques sont envisagés suffit (TPF SK.2018.28 du 18.12.2018, c. 5.3.1 et SK.2017.16 du 6.10.2017, c. 4.3). Il en va ainsi lorsque le document en cause laisse penser que des mesures de contrainte seront initiées en cas de violation des instructions qu’il contient (c. 5.1.6).
En l’espèce, est tout d’abord litigieuse la question de savoir si l’envoi du courrier par D SA « relève des pouvoirs publics » au sens de l’art. 271 CP. Le TPF constate que celui-ci se rapporte à une amende d’ordre dont la perception, en Suisse, est un acte de puissance publique qui ne peut être délégué à des particuliers (cf. art. 2 al. 1 LAO). Son recouvrement est soumis à une procédure d’exécution spéciale avec la procédure d’amende d’ordre et, si l’amende n’est pas payée, la procédure pénale ordinaire (art. 6 al. 4 LAO ; cf. art. 106 al. 5 cum art. 35, al. 1 et 2, et 36 al. 2 CP). Il s’ensuit que l’acte d’encaissement d’amendes est authentiquement souverain et relève de la compétence exclusive des autorités (c. 5.2 1er et 2e par.). S’agissant des amendes étrangères, elles doivent en principe être exécutées par la voie de l’entraide judiciaire (art. 94 al. 4 EIMP). S’il existe certes des facilités en la matière, aucun instrument ne prévoit ni une exécution d’une amende étrangère sur le territoire suisse par l’État étranger ni que les montants des amendes exécutées par procuration soient versés à ce dernier, car ils restent acquis à la Suisse (c. 5.2.1).
Dès lors qu’il est établi que le courrier de D SA relève des pouvoirs publics, encore faut-il déterminer s’il laisse entendre la possibilité d’une exécution forcée sur le territoire suisse (c. 5.2.2). Le courrier litigieux présenté comme découlant d’un « mandat de recouvrement » permet uniquement de payer la somme de CHF 542.35 alors même que l’amende s’élève à EUR 102.94. En outre, il comporte la mention « recouvrement », mot qui signifie recevoir le paiement d’une somme due aussi bien en français qu’en allemand. Sont en outre mentionnés : l’existence d’un créancier, un délai de paiement et les possibilités de paiement ou de contestation (c. 5.2.3).
De telles indications laissent penser au destinataire du courrier qu’à défaut de paiement dans le délai imparti D SA entreprendra de nouvelles démarches et entraînera donc des conséquences. Le site internet de D SA précise par ailleurs que «[l]es débiteurs récalcitrants ne réagissent que lorsque de véritables conséquences les menacent. Le traitement du dossier par D SA générera une inscription dans la base de données, ce qui ne manquera pas de les faire réagir ». Ainsi, le TPF retient que la personne lisant ce texte après avoir reçu un tel courrier peut légitimement penser qu’elle fera l’objet d’une procédure d’exécution forcée. Le fait que D SA n’engage jamais de poursuites dans une telle situation ne saurait rien y changer, car cela ne ressort pas du courrier litigieux, d’autant plus que le « recouvrement de créances » est l’un des buts de D SA inscrit au Registre du commerce (c. 5.2.4).
Il s’ensuit que des conséquences dommageables ou des mesures d’exécution forcées ressortent implicitement du courrier litigieux (c. 5.2.6). Dès lors qu’il suffit que l’auteur agisse en faveur de l’intérêt d’un État étranger ou d’une procédure étrangère, le fait pour les prévenus de ne pas avoir agi directement sur mandat de l’autorité étrangère n’y change rien non plus (c. 5.2.7). Partant, les éléments constitutifs objectifs de l’infraction sont réalisés (c. 5.2.8).
Sur le plan subjectif, le dol éventuel suffit (c. 5.3). À cet égard, l’expérience des prévenus auraient dû les conduire à avoir des doutes quant à la licéité de l’activité qui leur est reprochée. Le TPF précise par ailleurs « que le site Internet [de fedpol] a pour vocation de donner des renseignements d’ordre général aux résidents suisses qui reçoivent une amende à l’étranger, et pas de fournir des renseignements d’ordre juridique à des professionnels du recouvrement de créances tels D SA » (c. 5.3.3). De plus, le contrat signé par D SA avec G précise que D SA est en possession des autorisations nécessaires à son activité, de sorte que les prévenus devaient à tout le moins se douter que l’activité en cause était susceptible d’impliquer une autorisation, mais aussi qu’elle soulève un certain nombre de questions en droit suisse (c. 5.4.1). Enfin, les prévenus savent qu’en Suisse les amendes concernant les violations de la LCR sont recouvrées par les autorités, ce qui aurait dû renforcer leurs doutes quant à la légalité de leur activité (c. 5.4.3). A et B ont donc à tout le moins agi par dol éventuel (c. 5.4.4).
Pour les mêmes raisons, le TPF écarte toute erreur sur l’illicéité (c. 6.1) et, partant, reconnaît A et B coupables d’actes exécutés sans droit pour un État étranger (c. 6.3).
III. Commentaire
Ce jugement n’est pas définitif. Selon des informations parues dans la presse, A et B ont déposé un appel devant la Cour d’appel du TPF et il est même probable que cette affaire se termine devant le Tribunal fédéral.
Selon nous, le constat de culpabilité du TPF doit être approuvé. D’une part, le courrier envoyé par une société de recouvrement telle que D SA est objectivement de nature à laisser penser à son destinataire qu’il fera l’objet d’une procédure d’exécution forcée et aucun élément du courrier litigieux ne permet de laisser penser le contraire. D’autre part, la connaissance pour A et B de l’impossibilité d’une activité semblable pour une amende suisse ne fait que renforcer l’idée qu’ils auraient dû entreprendre des démarches auprès des autorités pour s’assurer de la conformité au droit national de leur activité. À cet égard, les indications qui figuraient sur le site de fedpol ne leur sont d’aucun secours en étant relativement claires par rapport aux amendes que D SA tentait de recouvrer puisqu’elles ne portaient pas sur le même genre d’amendes.
Cela étant dit et quel que soit le résultat final, il apparaît qu’il suffit pour les sociétés de recouvrement de préciser dans une telle constellation qu’elles n’entreprendront pas de démarche en cas de non-paiement pour éviter l’application de l’art. 271 CP.
Ce jugement illustre enfin la très grande portée de l’art. 271 CP, ce que le TPF explique en indiquant qu’« il est malaisé de déterminer ce qu’est un cas typique de faits punissables en vertu de l’art. 271 CP, tant les violations de cette disposition peuvent revêtir des formes diverses » (c. 7.6). L’ATF 148 IV 66 (commenté sur crimen.ch/87) a d’ailleurs récemment confirmé l’étendue de cette disposition dans un contexte singulièrement différent et concernant la collecte en Suisse et la remise à l’étranger de données bancaires à une autorité étrangère. Au centre de l’interprétation de l’infraction se trouve « la protection de la souveraineté du pays » comme l’a relevé Geissbühler et la jurisprudence de notre Haute Cour démontre qu’elle y est particulièrement attachée.