Détention de moins de 10 grammes de cannabis : pas de confiscation du stupéfiant

La simple détention de moins de 10 grammes de cannabis pour sa propre consommation n’est pas punissable (art. 19b LStup). Par conséquent, aucune saisie ni confiscation du stupéfiant n’entre en ligne de compte. En effet, la confiscation d’un objet dangereux selon l’art. 69 CP suppose un lien direct avec un comportement pénalement interdit. Le fait que la détention de quantités minimes peut hypothétiquement précéder ou succéder la commission d’une infraction à la LStup (la culture ou la consommation notamment) ne suffit pas à prononcer la confiscation.

I. En fait

A est arrêté par les douaniers suisses à la gare de Sankt-Margrethen/SG avec en sa possession 2.7 grammes de marijuana et 0.6 gramme de haschich. Il est condamné pour ces faits par ordonnance pénale du 12 mars 2019. 

Saisi sur opposition, le Tribunal de première instance de Rheintal acquitte A de toute infraction à la LStup. Il confirme pour le surplus la légalité du prélèvement ADN opéré et la confiscation en vue de la destruction des stupéfiants saisis au moment de l’arrestation. 

Sur appel de A et du ministère public, le Tribunal cantonal saint-gallois confirme l’acquittement et la confiscation en vue de la destruction des produits cannabiques saisis. Il annule en revanche l’enregistrement des données ADN de A par le service d’identification judiciaire et accorde une indemnité de CHF 300.- à ce dernier, tout en laissant une partie des frais à sa charge.

A porte sa cause devant le Tribunal fédéral en concluant notamment à la restitution des stupéfiants confisqués et à ce que les frais de procédure soient laissés à la charge de l’Etat. Il requiert l’effet suspensif du recours, qui lui est accordé par décision du 21 septembre 2021. 

II. En droit

Le Tribunal débute par traiter le grief en lien avec l’application de l’art. 19b LStup et les conséquences qui s’y rattachent. Il relève d’emblée avoir précédemment laissé la question de la confiscation ouverte sur ce point (not. ATF 145 IV 320, c. 1.10). Se référant aux sources législatives et à la doctrine concernant cette disposition, il relève deux courants opposés : d’un côté, le Rapport de la commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 2 septembre 2011 précise que la confiscation ne devrait pas être prononcée lorsque l’art. 19b LStup est appliqué. Peter Albrecht partage cette analyse, en rappelant que l’art. 69 CP suppose un comportement pénalement punissable et donc contraire au droit pour trouver application. Or l’art. 19b LStup prévoit justement un comportement non punissable (se borner à préparer des stupéfiants en quantités minimes, soit moins de 10 grammes pour le cannabis, cf. art. 19b al. 2 LStup) ; d’un autre côté, certains auteurs estiment que, si certes les actes préparatoires à la consommation restent impunis selon cette disposition, il existe un risque que le détenteur consomme ensuite les quantités minimes en sa possession ou les transmette à des tiers. Selon cet avis, même si l’art. 19b LStup rend la détention de quantités minimes non-punissable, il n’en demeure pas moins que le cannabis reste catégorisé comme stupéfiant au sens de la OCStup et que la possession n’est pas administrativement autorisée. A cela s’ajoute que la quantité minime de cannabis reste le fruit d’une production ou culture qui, elle, est punissable (art. 19 al. 1 let. a LStup). Enfin, l’art. 69 CP s’applique précisément aussi lorsqu’aucun auteur n’est punissable ou reconnu coupable d’une infraction, mais qu’il est nécessaire d’écarter tout danger pour la population (c. 2.1).

Après le rappel de la teneur de l’art. 28b al. 1 aLStup jusqu’au 31 décembre 2019, le Tribunal fédéral expose les considérations ayant mené le législateur à ne prévoir qu’une amende d’ordre de CHF 100.- en cas de consommation de cannabis et la saisie de la substance au moment du prononcé de l’amende (art. 28b al. 4 aLStup). Cette sanction est désormais intégrée dans la LAO depuis le 1er janvier 2020. L’art. 8 LAO précise également que les objets et valeurs patrimoniales à confisquer sont saisis au moment de l’infliction de l’amende d’ordre. Les raisons ayant conduit à ne prévoir qu’une simple amende d’ordre pour la consommation de cannabis tenaient au fait que la lutte contre la consommation de ce stupéfiant impliquait l’engagement de moyens disproportionnés, tandis que de fortes différences étaient constatées entre les cantons en matière de poursuite et de répression. L’amende d’ordre de CHF 100.- a ainsi permis d’offrir aux forces de l’ordre un instrument simple et uniforme pour sanctionner ladite consommation en Suisse, ainsi que de réduire par la même les coûts (c. 2.3). 

Notre Haute Cour poursuit en exposant les principes généraux applicables en matière de confiscation dans la perspective d’une détention licite de cannabis : si le comportement n’est pas punissable, la confiscation constitue une atteinte à la garantie de la propriété protégée par l’art. 26 Cst, de sorte que celle-ci doit être prononcée dans le respect du principe de proportionnalité (art. 36 al. 2 Cst ; ATF 137 IV 249, c. 4.5 ; TF 6B_217/2021 du 26.5.2021, c. 7.1) (c. 2.4.1 et 2.4.2). 

Dans le prolongement des conclusions du rapport de commission précité, seul le produit cannabique consommé doit être saisi puis confisqué. Celui-ci précise effectivement que « lorsque la contrevenante ou le contrevenant ne détient qu’une quantité minime de cannabis, le produit peut ne pas être confisqué, car selon l’art. 19b al. 1 nLStup, la détention d’une quantité minime n’est pas punissable » (Rapport, p. 16). Selon le Tribunal fédéral, cet avis doit être suivi pour les raisons exposées ci-après (c. 2.5).

Si certes la confiscation de sécurité est prévue à l’art. 69 CP sans qu’une personne soit déclarée punissable ou condamnée, elle requiert dans tous les cas une cause illégale, à titre de point de rattachement (ATF 132 II 178, c. 4 ; ATF 117 IV 233, c. 3). L’infraction en cause doit ainsi être réalisée dans tous ses éléments constitutifs, sauf si la possession de la chose concernée est interdite en soi et qu’une disposition spécifique dérogeant à l’art. 69 CP est applicable (TF 6B_1277/2018 du 21.2.2019, c. 3.2). Ce n’est toutefois précisément pas le cas lorsque l’art. 19b LStup est applicable (c. 2.6).

Le Tribunal fédéral ajoute que. contrairement à l’art. 19a al. 2 LStup par exemple, qui prévoit la renonciation à toute poursuite à l’encontre du dealer toxicomane, l’art. 19b LStup vise un acte préparatoire non punissable, de sorte qu’aucune infraction n’est jamais réalisée (TF 6B_1273/2016 du 6.9.2016, c. 1.6.2 et 1.7.1). En pareil cas, aucune infraction n’est réalisée et l’art. 69 CP ne peut par conséquent pas trouver application (2.6.1). 

Le fait que l’acte d’un tiers pourrait subséquemment entrer en ligne de compte n’y change rien et ne saurait servir de prétexte à la confiscation. En effet, l’autorité pénale ne peut retenir une potentielle infraction subséquente sans en apporter la preuve pour fonder une confiscation (ATF 147 IV 479, c. 6.5.2.2 ; TF 6B_217/2021 du 26.5.2021, c. 4). Si un doute subsiste, aucune infraction ne peut être retenue. Dans le cas d’espèce, la preuve de la commission d’une infraction préalable ou subséquente sans autres mesures d’instruction n’est pas rapportée. S’il est vrai que la détention licite visée par l’art. 19b LStup est souvent précédée d’autres actes illicites de tiers (not. la production du stupéfiant), il n’est pas certain qu’ils puissent être liés directement à la confiscation de quantités minimes. D’ailleurs, le Tribunal fédéral a déjà jugé que la remise gratuite d’une quantité minime d’un stupéfiant à une personne en vue de consommation simultanée est aussi couverte par l’art. 19b LStup, tandis que la complicité d’une infraction de consommation (punie seulement de l’amende : art. 19a LStup) n’est pas punissable (art. 26 LStup cum art. 105 al. 2 CP). Le cannabis n’est au demeurant pas en soi toujours interdit : l’OFSP ou les cantons peuvent autoriser certains actes le concernant (art. 3e al. 1 et 8 al. 5 let. b LStup). La tierce personne ne commet par conséquent pas nécessairement une infraction en amont (c. 2.6.2). 

Enfin, lorsque l’art. 19b LStup trouve application, la confiscation ne pourrait être prononcée qu’à l’issue d’une procédure indépendante de confiscation (art. 376 ss CPP) ou dans le cadre d’une ordonnance de non-entrée en matière (art. 310 al. 2 cum art. 320 al. 1 CPP). Ainsi, vu les considérations ayant mené à l’adoption des modifications de la LStup, il ne serait pas conforme à la volonté du législateur d’exiger de la police des enquêtes supplémentaires et l’établissement de rapports à l’attention de l’autorité compétente pour ordonner une procédure de confiscation indépendante. Un tel résultat serait disproportionné par rapport à la faible portée de la confiscation en question (c. 2.6.3). L’avis du Conseil fédéral dans sa réponse du 16 mai 2018 à l’interpellation no 18.3200 concernant l’art. 19b LStup, qui retient la confiscation comme possible en lien avec une situation de persistance du danger selon l’art. 69 CP, ne permet pas de la justifier (c. 2.7). 

Enfin, pour toutes les raisons exposées, la confiscation de quantités minimes de cannabis destinée à la consommation personnelle fondée sur l’art. 69 CP n’entre pas en ligne de compte (c. 2.8), dès lors qu’aucune autre disposition spécifique de l’ordre juridique ne permet de la justifier, pas même l’art. 5 par. 1 let. b de la Convention des Nation Unies contre le trafic illicite de stupéfiants, qui ne constitue qu’un mandat aux Etats signataires, ni l’art. 22 ch. 3 de la Convention des Nations Unies sur les substances psychotropes du 21 février 1971, inapplicable directement (non self-executing) (art. 2.9.1). De même, dans la mesure où l’art. 24 al. 2 LStup ne prévoit qu’une conservation temporaire des stupéfiants par les autorités, et non pas leur confiscation, elle n’est pas une base légale suffisamment claire pour fonder une confiscation (2.9.2).

Le recours est ainsi fondé sur ce point (c. 2.10). Les 2.7 grammes de cannabis et 0.6 gramme de haschich doivent par conséquent être restitués au recourant à première réquisition (c. 5.1).

III. Commentaire

Rendu à cinq juges, cet arrêt destiné à publication répond finalement à la question de la confiscation des quantités minimes de stupéfiants, largement débattue en doctrine. Vu le type de comportement concerné par l’art. 19b LStup, il n’était pas certain que notre Haute Cour ait un jour l’opportunité de se saisir de cette problématique. 

L’analyse particulièrement fouillée et la conclusion du Tribunal fédéral ne prêtent à notre sens pas le flanc à la critique et s’inscrivent en cohérence avec les buts visés par l’entrée en vigueur des art. 19a al. 2 et 19b LStup. Toutefois, dans la mesure où l’art. 24 al. 2 LStup prévoit que les autorités compétentes « mettent en sûreté les stupéfiants qui leur sont confiés en exécution de la présente loi et pourvoient à leur valorisation ou à leur destruction », cette disposition pourrait être suffisante pour admettre que la destruction du produit stupéfiant resterait possible en dehors de l’art. 69 CP

Il convient au surplus de rappeler que si la présente affaire traite de cannabis, l’art. 19b LStup s’applique a priori à tous les genres de stupéfiants, pour autant qu’il s’agisse de quantités minimes et en vue d’une consommation personnelle ou gratuite en commun et simultanée avec des tiers de plus de 18 ans. Cela étant, pour ces autres types de drogue, la loi ne précise pas ce qui doit être entendu par « quantité minime ». La jurisprudence fédérale n’a pas non plus fixé de seuils, en laissant aux autorités cantonales un large pouvoir d’appréciation (TF 6B_630/2016 du 25.1.2017, c. 2.3 ; ATF 124 IV 184, c. 2a ss). A notre avis, si l’art. 19b LStup est retenu pour de la cocaïne par exemple, le comportement n’est pas non plus punissable, de sorte que la confiscation devrait également être exclue, à la lumière de l’arrêt ici commenté. Le Tribunal fédéral n’a en tous les cas pas expressément limité ses considérations à la seule détention de quantités minimes de cannabis. 

Il subsiste toutefois la question de l’application de ces principes lorsqu’un mineur est concerné, que le Tribunal fédéral ne traite pas dans cet arrêt. Vu la jurisprudence rendue sur ce point (ATF 145 IV 320, c. 1), le régime pour les mineurs devrait s’aligner sur la présente jurisprudence, sous réserve peut-être de motifs éducationnels propres au droit pénal des mineurs, qui pourraient conduire à ce que la substance saisie ne soit pas restituée à l’intéressé. 

Proposition de citation : Ryan Gauderon, Détention de moins de 10 grammes de cannabis : pas de confiscation du stupéfiant, in : https://www.crimen.ch/207/ du 16 août 2023