Utilisation frauduleuse d’un ordinateur par métier et unité naturelle d’actions

Selon le Tribunal fédéral, l’auteur qui se saisit d’une carte bancaire et l’utilise plusieurs fois pour obtenir de l’argent ou des marchandises réalise l’acte à plusieurs reprises, même si l’auteur a eu l’intention d’obtenir le plus d’argent possible dès qu’il s’est emparé de la carte. Chaque retrait ou paiement effectué avec la carte suppose une nouvelle prise de décision. De plus, le fait que l’auteur utilise les sommes provenant de son activité délictueuse à des fins inutiles n’exclut pas la perpétration par métier. Admettre l’inverse reviendrait à mieux traiter l’auteur qui souhaite vivre dans le luxe que celui qui utilise les montants provenant de l’activité délictueuse pour subvenir à ses besoins urgents, ce qui n’est pas en accord avec le but de l’art. 147 al. 2 CP : prendre en compte la dangerosité sociale inhérente à la perpétration par métier.

A a trouvé la carte bancaire de sa bailleresse dans la cage d’escalier de la maison familiale. Du 1er au 10 octobre 2016, il a utilisé cette carte pour effectuer quatre achats d’une valeur totale de CHF 74,35.- et onze retraits d’argent liquide d’une valeur totale de CHF 14’820.-. Le 7 décembre 2018, A est condamné à une peine privative de liberté de neuf mois avec sursis notamment pour utilisation frauduleuse d’un ordinateur par métier par le Tribunal du district de Kulm. En parallèle, A est expulsé du pays pour cinq ans. Le 27 février 2020, la Cour d’appel du canton d’Argovie confirme le jugement de première instance et condamne A à une peine privative de liberté de treize mois avec sursis. 

A porte l’affaire devant le Tribunal fédéral, concluant à son acquittement pour infraction perpétrée par métier. En outre, A argue qu’il ne devrait être condamné qu’à une peine privative de liberté de six mois avec sursis et conteste son expulsion, points dont nous ne traiterons pas dans la présente contribution. 

Le recourant se fonde sur plusieurs éléments pour exclure la perpétration par métier : 

  • bien que les montants obtenus grâce à la commission de l’infraction ont servi à couvrir certaines de ses charges courantes, les retraits d’argent duraient à chaque fois moins d’une minute et se sont étendus sur deux semaines seulement ;
  • il ne comptait pas percevoir des revenus de manière régulière grâce aux retraits, car il connaissait le montant disponible sur le compte, soit CHF 13’600.-, et savait que son activité s’achèverait au moment où il atteindrait le montant limite. 
  • le recourant souligne le fait qu’il bénéficiait de l’aide sociale depuis son établissement sur le territoire suisse et qu’il n’avait donc pas besoin des sommes retirées sur le compte, sommes dépensées « inutilement » en chaussures, alcool et sorties diverses. 
  • la condition de la multiple commission de l’infraction n’est pas réalisée, car il n’a effectué plusieurs retraits qu’afin d’éviter de retirer la totalité de la somme disponible sur le compte et ainsi attirer l’attention sur ses actes. Ses actes provenaient d’une seule décision, contrairement à ce que soutient l’instance inférieure ;
  • les retraits ont eu lieu sur une période très brève de moins de dix jours et il avait l’intention d’obtenir le plus d’argent possible en prenant la carte bancaire (c. 1.1). 

À titre liminaire, le Tribunal fédéral rappelle la teneur de l’art. 147 al. 1 CP réprimant l’utilisation frauduleuse d’un ordinateur, et de l’art. 147 al. 2 CP prévoyant une peine aggravée pour celui qui agit par métier. L’auteur d’une infraction est réputé agir par métier quand il ressort du temps et des moyens consacrés à l’activité délictueuse, de la fréquence des actes réalisés dans un laps de temps déterminé, ainsi que des revenus obtenus que son activité délictueuse revêt un caractère professionnel. Une activité accessoire suffit. L’auteur doit s’organiser pour obtenir, par des actes délictueux, des revenus relativement réguliers constituant un apport notable aux coûts de son mode de vie, de sorte à ce que la dangerosité sociale exigée soit réalisée. En outre, il doit avoir commis l’infraction plusieurs fois et il faut qu’on puisse admettre, au vu des circonstances,qu’il soit prêt à adopter un grand nombre de fois le comportement constitutif de l’infraction correspondante (c. 1.3.2 ; voir not. ATF 147 IV 176, c. 2.2.1).

Le Tribunal fédéral procède à un bref exposé de la casuistique en matière de perpétration par métier. La circonstance aggravante du métier a notamment été retenue dans les cas suivants : 

  • pour six vols réalisés en deux jours, notamment à cause de l’importante quantité d’objets volés et des sommes élevées obtenues par l’infraction en comparaison avec le revenu mensuel du prévenu (TF 6B_259/2017 du 21.12.2017, c. 5.2) ; 
  • pour sept vols commis sur une période de deux semaines pour un montant de CHF 2250.- (TF 6B_253/2016 du 29.03.2017, c. 3.3.3) ; 
  • pour trois vols réalisés en trois mois pour un montant total de CHF 7600.- avec un revenu légal mensuel de CHF 600.- (TF 6B_550/2016 du 10.08.2016, c. 2.4) ; 
  • et pour deux vols espacés de trois mois pour un montant total de CHF 1300.- avec un revenu légal de CHF 360.- par mois (TF 6B_1077/2014 du 21.04.2015, c. 3). 

Ensuite, la Haute Cour rappelle les règles relatives à l’unité d’actions. Une pluralité d’actes indépendants constitue juridiquement une unité quand il existe une unité naturelle d’actions ou de fait. Il est question d’unité d’actions lorsque l’acte constitutif de l’infraction, à l’instar du brigandage (art. 140 CP), suppose de facto ou typiquement une pluralité d’actes individuels (voir not. ATF 132 IV 49, c. 3.1.1.3). Pour retenir une unité naturelle d’actions entre plusieurs actes, ces actes doivent reposer sur une décision unique et doivent apparaître, en raison de leur rapport étroit dans le temps et dans l’espace, comme un événement unique d’un point de vue objectif. Il y a unité d’actions lors de la réalisation itérative des éléments constitutifs d’une infraction (par exemple une « fessée ») ou de la commission successive d’une infraction (par exemple le fait de taguer un mur plusieurs nuits d’affilée). Une telle unité naturelle d’actions est exclue lorsqu’une certaine durée sépare les différents actes, même s’il existe un lien entre eux (c. 1.3.4 ; voir not. ATF 133 IV 256, c. 4.5.3). 

Selon le Tribunal fédéral, c’est à raison que l’instance inférieure a retenu que le recourant a agi à réitérées reprises, même s’il ne s’est saisi qu’une fois de la carte bancaire. Il a utilisé plusieurs fois un système de traitement de données et a obtenu de l’argent ou des marchandises achetées à des fins personnelles et a donc réalisé l’acte à plusieurs reprises. Même si le recourant a eu l’intention d’obtenir le plus d’argent possible, cette intention générale supposait une nouvelle prise de décision pour chaque retrait ou paiement effectué avec la carte bancaire. Le fait qu’il connaissait le montant disponible sur le compte n’y change rien. En ce sens, de nouvelles rentrées d’argent pouvaient avoir lieu et le montant disponible pouvait augmenter, ce qui s’est produit en l’espèce vu que la somme disponible sur le compte s’élevait à CHF 13’600.- et qu’il a prélevé CHF 14’894,35.-. Les juges fédéraux nient ainsi l’existence d’une décision unique (c. 1.4.1). 

En outre, la Haute Cour ajoute que c’est à raison que l’instance inférieure a considéré que le rapport dans le temps et dans l’espace entre les actes individuels n’était pas suffisamment étroit pour retenir une unité naturelle d’actions. En effet, l’activité délictueuse du recourant a eu lieu sur une période de dix jours et s’est matérialisée tant par des retraits de liquide que par des achats de marchandises à Reinach, Aarau et Zurich. Ainsi, ces actions constituent plusieurs actes indépendants (c. 1.4.1). 

Le Tribunal fédéral relève également que les CHF 14’894,35.- provenant de l’activité délictueuse en dix jours contribuent notablement aux coûts de son mode de vie, par rapport à un revenu mensuel de CHF 1500 à 1600.-. L’utilisation des sommes à des fins « inutiles » n’est pas pertinente : en effet, la circonstance aggravante du métier doit être retenue à l’encontre de l’auteur qui ne dépense pas cet argent dans des biens de nécessité, mais qui les utilise pour financer un niveau de vie plus élevé que le sien. Admettre l’inverse reviendrait à mieux traiter l’auteur qui souhaite vivre dans le luxe que celui qui utilise les sommes provenant de l’activité délictueuse pour subvenir à ses besoins urgents, ce qui n’est pas en accord avec le but de l’art. 147 al. 2 CP : prendre en compte la dangerosité sociale inhérente à la perpétration par métier (c. 1.4.2). 

En outre, le fait que les retraits aient duré moins d’une minute est sans pertinence. Le Tribunal fédéral se fonde sur la fréquence à laquelle l’intéressé a utilisé la carte bancaire, soit quinze fois en dix jours, fréquence plaidant dans le sens d’une activité à caractère professionnel. Il comptait percevoir un revenu supplémentaire de manière régulière, même s’il ne pouvait être certain de la durée du solde de son compte bancaire. De plus, l’utilisation répétée de la carte pour obtenir indûment des sommes d’argent dénote de la dangerosité sociale inhérente à la perpétration par métier. Partant, le recours est rejeté sur ce point (c. 1.4.2). 

Le recours est néanmoins admis au regard de la fixation de la peine, car le recourant a collaboré et ainsi simplifié la procédure pénale (c. 2.3.3-2.3.4). 

Proposition de citation : Alexia Blanchet, Utilisation frauduleuse d’un ordinateur par métier et unité naturelle d’actions, in : https://www.crimen.ch/60/ du 16 décembre 2021