Le stealthing est constitutif de désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel (art. 198 al. 2 CP)

Le stealthing, soit le fait de retirer son préservatif à l’insu de son ou sa partenaire durant un rapport sexuel consenti, est constitutif de désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel (art. 198 al. 2 CP), en l’état actuel du droit pénal en matière sexuelle. En effet, cette disposition a fonction d’infraction subsidiaire, lorsque, comme dans le cas d’espèce, la contrainte ou l’abus fait défaut. En retirant son préservatif à l’insu de sa partenaire, délibérément, tout en étant conscient que celle-ci pensait qu’il en portait un et ne souhaitait pas qu’il le retire, l’auteur commet un acte d’ordre sexuel sans son consentement et se rend ainsi coupable d’infraction à l’art. 198 al. 2 CP.

I. En fait

A est poursuivi pour acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de résistance (art. 191 CP), pour avoir retiré, lors d’un rapport sexuel consenti, son préservatif sans que sa partenaire B ne puisse s’en rendre compte – alors même qu’elle avait exigé le port de celui-ci – puis poursuivi l’acte sexuel (stealthing).

Le Tribunal d’arrondissement de Bülach acquitte A des faits qui lui sont reprochés, verdict confirmé en appel par le Tribunal cantonal de Zurich. Par arrêt du 11 mai 2022 (ATF 148 IV 329, JdT 2023 IV 200, arrêt résumé dans Alexandre Guisan, Le stealthing n’est pas punissable en tant qu’acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de résistance (art. 191 CP) , in : https://www.crimen.ch/121/ du 12 juillet 2022), le Tribunal fédéral admet partiellement le recours du Ministère public, estimant que le comportement de A n’est pas constitutif d’infraction à l’art. 191 CP, mais renvoie la cause à l’instance précédente pour qu’elle se prononce sur son éventuelle qualification en tant que désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel (art. 198 CP).

II. En droit

Après avoir rappelé qu’il ne peut que se prononcer sur les points qui ont été cassés par l’arrêt du Tribunal fédéral (c. II.), le Tribunal cantonal de Zurich examine si une plainte pénale valable a bien été déposée, condition à la poursuite de l’art. 198 CP. Il estime que cette exigence est respectée : B s’est présentée au poste de police, a dénoncé les faits en démontrant souhaiter engager une poursuite pénale contre A, tout en respectant le délai de trente jours fixé par l’art. 31 CP (c. III. 2.2). 

Le tribunal de céans rappelle que notre Haute Cour a précisé que l’art. 198 CP a fonction d’infraction subsidiaire, lorsque, comme dans le cas d’espèce, la contrainte ou l’abus fait défaut (Arrêt TF 6B_265/2020 du 11.5.2022, c. 6.1, non publié à l’ATF 148 IV 329, JdT 2023 IV 200). A ayant retiré le préservatif au cours du rapport sexuel à l’insu de B, les juges cantonaux estiment qu’il a commis un acte d’ordre sexuel sans le consentement de cette dernière. Par ce comportement, il a rempli les éléments constitutifs objectifs de l’art. 198 al. 2 CP. En outre, l’élément constitutif subjectif est également établi, A ayant agi délibérément, conscient que sa partenaire pensait qu’il portait un préservatif et ne souhaitait pas qu’il le retire. Le tribunal cantonal déclare ainsi A coupable de désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel au sens de l’art. 198 al. 2 CP (c. III. 2.4).

Se penchant sur la faute de l’auteur afin de fixer le montant de l’amende (conformément à l’art. 106 CP), le tribunal de céans souligne la gravité des faits qui lui sont reprochés. Bien qu’ils ne soient pas constitutifs d’une autre infraction contre l’intégrité sexuelle en l’état actuel du droit, ils figurent parmi les variantes les plus graves de l’infraction de harcèlement sexuel (art. 198 al. 2 CP). En effet, l’intégrité sexuelle de la plaignante est atteinte de manière plus intense que dans des cas d’attouchements par-dessus les vêtements ou de paroles grossières : celle-ci a notamment été exposée au risque de maladies sexuellement transmissibles et a dû se soumettre à des tests de dépistage. De plus, A a agi pour des motifs purement égoïstes, à savoir son plaisir sexuel, faisant fi du respect de l’exigence du port de préservatif posée par sa partenaire. Le Tribunal cantonal zurichois qualifie ainsi la faute de A de grave, tant d’un point de vue subjectif qu’objectif, et fixe l’amende à CHF 2’500.- pour tenir compte de sa situation financière (c. IV). 

III. Commentaire

A titre liminaire, soulignons que la qualification du comportement de stealthing comme étant constitutif de désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel au sens de l’art. 198 al. 2 CP était prévisible, le Tribunal fédéral ayant qualifié ce comportement d’acte d’ordre sexuel dans son arrêt de renvoi (ATF 148 IV 329, c. 4, JdT 2023 IV 200). Cette question était en effet débattue en doctrine jusqu’alors, certains auteurs estimant que le retrait du préservatif n’est pas constitutif à lui seul d’un acte d’ordre sexuel, le consentement ayant été donné sur les faits pénalement pertinents (le rapport sexuel en lui-même), celui-ci ne porterait alors pas atteinte au bien juridiquement protégé (Markus Meier/Jasmin J. Hashemi, Stealthing – Muss strafbar sein, was vewerflich ist ?, Forumpoenale 2/2020, p. 120 ; Carola Göhlich, Stealthing als Eingriff in die sexuelle Integrität?, PJA 2019, p. 522 ss, 527). Nous ne souscrivons pas à cette approche et rejoignons le Tribunal fédéral dans son raisonnement (Camille Perrier Depeursinge/Mathilde Boyer, Stealthing : Quelle protection pénale ? in C. Perrier Depeursinge et al. (éds), Cimes et Châtiments, Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Moreillon, Berne 2022, p. 524 s ; dans le même sens : Mohamad El-Ghazi, Die strafrechtliche Bewertung des sogenannten Stealthings, SJZ 115/2019, p. 675 ss, 681).

Bien que la solution de l’incrimination du stealthing en tant que désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel (art. 198 al. 2 CP) permette de condamner ce comportement, elle n’est pas satisfaisante pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cette infraction est une contravention, passible d’une simple amende, ce qui ne semble pas refléter la gravité du comportement de l’auteur (v. not. Perrier Depeursinge/Boyer, op. cit., spéc. 525 s  ; El-Ghazi, op. cit., spéc. N 632). Ensuite, elle exige le dépôt d’une plainte, alors même que les victimes d’infractions à caractère sexuel portent souvent les faits à la connaissance des autorités pénales après le délai de trois mois de l’art. 31 CP, voire ne le font pas (élément souligné par le Tribunal fédéral dans l’arrêt TF 6B_257/2020, 6B_298/2020 du 24.6.21, c. 5.4.1). Enfin, comme le Tribunal cantonal de Zurich le relève ici, l’atteinte subie par la victime est plus importante que dans les cas d’attouchements ou de paroles grossières, de sorte que le comportement de l’auteur est plus grave que les cas visés initialement par l’art. 198 CP (dans ce sens : Perrier Depeursinge/Boyer, op. cit., p. 526).

La loi fédérale portant révision du droit pénal en matière sexuelle (FF 2023 1521), adoptée par le Parlement le 16 juin 2023, qui retient la solution dite du « Non, c’est non », modifiera la qualification juridique du stealthing, comme l’avait déjà relevé le Tribunal fédéral. En effet, selon cette variante, le refus n’a pas besoin d’intervenir au moment de l’atteinte à l’intégrité sexuelle, mais peut être déduit d’une manifestation de volonté préalable ou des circonstances. Ainsi, le Tribunal fédéral considère que l’auteur agit également contre la volonté de la victime lorsque cette dernière n’a pas eu le temps de réagir avant l’atteinte en raison de sa surprise, ou  lorsque – comme dans le cas du stealthing – elle n’identifie pas dans la situation les éléments constitutifs de l’infraction au moment de l’agression (ATF 148 IV 329, c. 5.4.2, JdT 2023 IV 200). Cependant, notre Haute Cour ne tranche pas la question de savoir quelle infraction, entre l’atteinte sexuelle (art. 189 al. 1 nCP) et le viol sans contrainte (art. 190 al. 1 nCP) s’appliquera (ATF 148 IV 329, c. 5.4.2, JdT 2023 IV 200 ; Camille Perrier Depeursinge, Comment sanctionner une atteinte à la libre détermination sexuelle commise par surprise ou avec tromperie ? Note sur l’ATF 148 IV 329, in JdT 2023 IV 200, p. 214). Il devra ainsi sans doute se pencher à nouveau sur cette question après l’entrée en vigueur de la révision du Code pénal et déterminer si l’acte contraire à la volonté de la victime dans le cas du stealthing se limite au fait de poursuivre le rapport sans préservatif (auquel cas l’art. 189 al. 1 nCP s’appliquerait) ou si l’acte constitutif de l’infraction inclut la pénétration (et dans ce cas il s’agirait d’un viol au sens de l’art. 190 al. 1 nCP) (v. ég. Perrier Depeursinge, op. cit., p. 214). 

Proposition de citation : Mathilde Boyer, Le stealthing est constitutif de désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel (art. 198 al. 2 CP), in : https://www.crimen.ch/225/ du 31 octobre 2023