I. En fait
Après avoir déposé sans succès une demande d’asile en Suisse, A est condamné à une peine privative de liberté de 33 mois pour des infractions qualifiées à la Loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes. Il est en outre expulsé pour une durée de huit ans. Une fois sa peine purgée, A disparaît. Il est retrouvé en France, puis transféré en Suisse dans le cadre d’une procédure Dublin. Placé en détention administrative à la prison régionale de Moutier en vue de son renvoi, A sollicite, le 22 juillet 2022, sa mise en liberté. Cette dernière est refusée tant par les autorités cantonales que par le Tribunal administratif bernois. A porte alors sa cause devant le Tribunal fédéral.
II. En droit
Le recourant avance en premier lieu que son renvoi ne peut pas être exécuté dans un délai raisonnable et qu’il doit par conséquent être remis en liberté. Le TF rejette l’argument dès lors qu’il existe toujours une possibilité réelle et non purement théorique qu’A puisse être renvoyé dans son pays d’origine (c. 3.1 à 3.2.2).
Le recourant fait ensuite valoir que ses conditions de détention sont illégales. Il se plaint notamment de ne pas pouvoir accéder à Internet ainsi qu’à son téléphone portable. Il relève également que la durée de son enfermement, soit 18 heures par jour, est illégale dès lors que le but de la détention administrative n’est pas de punir, mais bien de garantir l’exécution du renvoi (c. 4).
Le TF commence par rappeler que la détention administrative doit être exécutée dans un établissement spécial affecté exclusivement à cet effet, une détention dans un établissement carcéral ordinaire n’étant admise que dans des cas très exceptionnels moyennant le respect de conditions spéciales (art. 81 al. 2 LEI et art. 16 al. 1 1ère phr. Directive 2008/115/CE [Directive retour] ; ATF 146 II 201, c. 4 ss) (c. 4.1.1). S’ils ne peuvent assurer une détention conforme aux conditions légales, les (petits) cantons ont la possibilité d’organiser – par le biais de la coopération cantonale – un transfert dans un établissement approprié se situant en dehors de leur territoire (TF 2C_280/2021 du 22.4.2021, c. 2.5.3 et réf. citées) (4.1.2).
Le Tribunal fédéral souligne ensuite que la détention administrative ne sert qu’à assurer l’exécution de la procédure de renvoi. Cela implique que le régime d’exécution soit allégé par rapport à celui de la détention provisoire ou de l’exécution des peines privatives de liberté. Des restrictions aux droits fondamentaux des détenus ne sont admissibles que pour des motifs liés à la sécurité ou au maintien du bon fonctionnement de l’établissement (ATF 146 II 201, c. 2.2). Afin de déterminer si elles sont conformes aux droits fondamentaux, les conditions de détention doivent être appréciées dans leur ensemble et de manière concrète (ATF 123 I 221, c. II.1c/cc) (c. 4.2.1 s.). La notion de « centres de rétention spécialisés » (art. 16 al. 1 1ère phr. Directive retour) a été précisée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de la manière suivante « […] les conditions de rétention applicables dans un tel centre doivent être telles qu’elles évitent, autant que possible, que la rétention de ce ressortissant s’apparente à un enfermement dans un environnement carcéral, propre à une détention à des fins punitives ». L’élément déterminant, selon elle, est de savoir « si, au vu de l’ensemble de ces éléments, la contrainte qui pèse sur les ressortissants de pays tiers concernés est limitée à ce qui est strictement nécessaire afin de garantir une procédure efficace de retour et évite, autant que possible, que ladite rétention s’apparente à un enfermement dans un environnement carcéral propre à une détention à des fins punitives » (CJUE K du 10.3.2022, C-519/20, § 45 et 54 et réf. citées) (c. 4.2.3).
Les détenus doivent pouvoir entretenir des contacts sociaux tant à l’intérieur de l’établissement qu’avec le monde extérieur (ATF 122 II 299, c. 5a). Ils peuvent également prétendre à des conversations téléphoniques (à leur frais) (ATF 122 II 299, c. 6b), à une correspondance exempte de tout contrôle (ATF 122 II 222, c. 6a) et à des visites non surveillées (ATF 122 II 222, c. 5b) en principe sans vitre de séparation (ATF 122 II 299, c. 6a). Seules des considérations concrètes en matière de sécurité permettent, dans un cas particulier, de déroger à ces règles. De plus, une promenade sans menotte à l’air libre d’au moins une heure doit également être garantie (ATF 122 I 222, c. 4b) (4.2.4).
Après avoir examiné les modalités de détention à la prison régionale de Moutier (c. 4.3.1 à 4.3.3), le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que le régime de détention de l’établissement se distingue suffisamment clairement des autres types de détention. Cela ressort également du rapport adressé au Conseil d’Etat du canton de Berne concernant la visite de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) à la prison régionale de Moutier le 28 juin 2019 (Rapport CNPT, 28.6.2019,N 12). Le Tribunal fédéral rappelle toutefois qu’au vu du but de la détention administrative, l’enfermement en cellule doit être réduit à son minimum et n’avoir lieu, dans la mesure du possible, que la nuit (v. ég. Rapport CNPT, 28.6.2019,N 11). Notre Haute Cour relève dès lors qu’un enfermement en cellule d’environ 18 heures par jour – comme c’est en l’espèce le cas à la prison régionale de Moutier pour les détenus ne travaillant pas – est inutile au regard du sens et du but de la détention administrative et n’est pas compatible avec le droit des détenus d’entretenir des contacts sociaux (c. 5.1).
Le recourant critique ensuite – à juste titre selon le TF – le fait qu’il n’ait pas accès à Internet durant sa détention. Sur ce point, notre Haute Cour relève que l’accès au web permet aux personnes détenues administrativement de s’informer de ce qu’il se passe hors de l’établissement carcéral et de maintenir le contact avec le monde extérieur ainsi qu’avec leur pays d’origine. La CNPT, dans son rapport susmentionné, a également recommandé aux autorités bernoises d’examiner dans quelle mesure elles pourraient permettre aux détenus d’accéder – au moins temporairement – à Internet (Rapport CNPT, 28.6.2019,N 41). Cette position rejoint la pratique et les recommandations formulées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) (c. 5.2.1). Les autorités bernoises se sont prononcées contre lesdites recommandations dès lors qu’elles ne seraient appliquées en Suisse que dans quelques cas isolés (« nur in wenigen Einzelfällen angewandt »). Les juges de Mon-Repos soulignent toutefois qu’au vu de la situation spécifique des personnes placées en détention administrative, il n’est pas justifié d’interdire de manière générale l’accès à Internet, d’autant plus que cette possibilité existe déjà dans d’autres établissements de détention administrative (5.2.2). Ils ajoutent qu’il n’existe aucun impératif sécuritaire ou en lien avec le bon fonctionnement de l’établissement qui justifierait une restriction à Internet. Un refus général d’accéder à Internet est par conséquent contraire aux recommandations internationales et constitue une restriction disproportionnée aux libertés d’opinion et d’information (art. 16 Cst. et 10 CEDH) (c. 5.2.3).
Le recourant critique enfin l’interdiction faite aux détenus administratifs d’accéder à leur téléphone portable privé. Une telle interdiction constituerait, selon lui, une restriction injustifiée des libertés d’opinion et d’information (art. 16 Cst. et 10 CEDH) (c. 5.3.1). Le TF rappelle que selon les recommandations du CPT, les migrants en situation irrégulière retenus doivent disposer de toutes facilités pour rester effectivement en contact avec le monde extérieur et avoir régulièrement accès à un téléphone ou à leur téléphone portable. En l’espèce, la prison régionale de Moutier dispose de quatre postes téléphoniques et les détenus démunis sont, chaque semaine, crédités d’un montant de CHF 5.- destiné à cet usage. Notre Haute Cour précise cependant que les téléphones portables permettent, en général, d’enregistrer des sons et des images, ce qui peut porter atteinte au fonctionnement de l’établissement ainsi qu’à la sphère privée des codétenus. Dans cette perspective, le règlement des prisons régionales du canton de Berne prévoit que « la direction de l’établissement peut autoriser l’utilisation d’appareils électroniques, dans la mesure où ces derniers ne permettent pas de procéder à des enregistrements de son ou d’image ». Le Tribunal fédéral arrive ainsi à la conclusion que la restriction concernant les téléphones portables privés ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire au but de l’incarcération et n’est dès lors pas disproportionnée (c. 5.3.2).
Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours dès lors que l’enfermement du recourant en cellule pendant 18 heures par jour viole son droit à la liberté personnelle et le principe de la proportionnalité. Il en va de même pour l’absence d’accès à Internet, sous l’angle de la liberté d’opinion et d’information (c. 5.4).
L’admission d’un recours concernant des conditions de détention illicite conduit en principe à la mise en liberté du recourant à moins que les autorités cantonales ne soient en mesure de corriger le vice à bref délai, soit en adaptant les conditions de détention, soit en transférant le détenu (ATF 122 II 299, c. 8a ; TF 2C_662/2022 du 8.9.2022, c. 3.3) (c. 6.1). En l’espèce, le TF admet partiellement le recours et accorde à l’Office de la population du canton de Berne un délai de 5 jours pour adapter les conditions de détention du recourant dans le sens de ses considérants ou de procéder à son transfert dans un établissement qui répond à ces exigences. S’il ne s’exécute pas dans ce délai, A doit être remis en liberté (c. 6.2).