I. En fait
Mandaté pour un conflit en droit du travail par un banquier licencié par son employeur, l’avocat A produit en justice un document intitulé « US-Exit-Report » visant à démontrer ses allégations dans le cadre d’une procédure judiciaire. Ce document lui a été remis par son mandant. L’avocat part du principe que le client a d’ores et déjà procédé au caviardage des éventuelles données couvertes par le secret bancaire, car celui-ci se montre très attentif au secret bancaire et caviarde toujours les points sensibles. C’est pourquoi A produit le document sans le lire ni l’étudier dans son intégralité. Or il s’avère que certaines données couvertes par le secret bancaire n’ont pas été caviardées.
En première instance, le Bezirksgericht de Zurich constate que A s’est rendu coupable de violation de l’art. 47 al. 1 let. a cum let. c de la Loi sur les banques (LB ; RS 952.0). L’Obergericht zurichois admet l’appel de A et prononce son acquittement en retenant qu’il existe un motif justificatif au sens de l’art. 14 CP (OG ZH SB180336 du 12.12.2018). Saisi d’un recours du Ministère public zurichois, le Tribunal fédéral exclut la présence d’un motif justificatif et renvoie la cause à l’autorité d’appel (TF 6B_247/2019 du 22.6.2020). Pour donner suite à cet arrêt de renvoi, la juridiction d’appel cantonale retient que l’avocat a agi par négligence, raison pour laquelle il l’acquitte une nouvelle fois du fait de la prescription de cette contravention punissable au titre de l’art. 47 al. 2 LB (OG ZH SB200301 du 8.6.2021).
Le Tribunal fédéral est à nouveau saisi par l’autorité de poursuite et doit désormais déterminer si l’élément constitutif subjectif de l’art. 47 LB est réalisé.
II. En droit
Après avoir examiné des points de procédure, le Tribunal fédéral revient longuement sur la notion d’intention en droit pénal. Il rappelle que celle-ci exige de l’auteur d’un crime ou d’un délit qu’il agisse avec conscience et volonté. Tel est le cas lorsqu’il tient pour possible la réalisation de l’infraction et l’accepte au cas où celle-ci se produirait (art. 12 al. 2 CP). La jurisprudence retient ainsi le dol éventuel lorsque l’auteur s’attend à ce que l’infraction se réalise, mais agit néanmoins, même s’il ne le souhaite pas le résultat dommageable, en acceptant ce dernier et s’accommodant de sa survenance (c. 3.5.1).
Selon les cas, distinguer le dol éventuel de la négligence consciente peut s’avérer difficile d’après les juges fédéraux. Pour ces deux formes de l’élément constitutif subjectif, l’auteur connaît en effet la possibilité de la survenance du résultat et du risque de la réalisation de l’infraction, de sorte qu’elles se rejoignent sous l’angle de la conscience (Wissen). Elles se différencient toutefois du point de vue de la volonté (Willen) et ainsi par l’élément volitif. Agit par négligence consciente celui qui, par une imprévoyance coupable, se fie au fait que le résultat qu’il envisage comme possible ne se produira pas et donc que l’infraction ne se réalisera pas, tandis qu’agit par dol éventuel l’auteur qui s’accommode de la survenance du résultat en plus de le tenir pour possible et de s’attendre à sa survenance. Ainsi, celui qui tient pour possible le résultat et l’accepte dans ce contexte le « veut » (« will ») au sens de l’art. 12 al. 2 CP, sans qu’il ne soit nécessaire qu’il ne l’« approuve » (« billigt ») (c. 3.5.2).
En l’absence d’aveux de l’auteur, le tribunal doit déterminer s’il a accepté la réalisation de l’infraction en fonction des circonstances, parmi lesquelles la probabilité, connue de l’auteur, de la réalisation de l’infraction, l’importance de la violation du devoir de diligence, les mobiles de l’auteur et la nature de l’acte. Ainsi, plus la probabilité de voir l’infraction se réaliser est grande et plus la violation du devoir de diligence est grave, plus il est aisé de conclure que l’auteur a accepté la réalisation de l’infraction et a ainsi agi par dol éventuel. À cet égard, le tribunal peut déduire la volonté de l’auteur à partir de sa conscience si la survenance du résultat s’imposait à lui avec une telle probabilité que sa disposition à l’accepter comme conséquence ne peut être interprétée raisonnablement que comme une acceptation de ce résultat (c. 3.5.2).
Ce qu’un auteur sait, veut et accepte relève d’un fait interne et a donc trait à une question de fait, que le Tribunal fédéral n’examine que sous l’angle de l’arbitraire. La question de savoir si, sur la base des faits établis, il y a négligence, dol éventuel ou dol direct, relève en revanche du droit (c. 3.5.3).
En l’espèce, s’agissant de la conscience, A n’a pas lu le document dans son intégralité avant de le produire en justice. Il ne connaissait donc pas et ne pouvait pas connaître le contenu des pages qu’il n’a pas lues, ce qu’il a décidé de façon délibérée. Or l’auteur qui choisit avec conscience de ne pas savoir ne peut prétendre ne pas avoir tenu pour possible la réalisation de l’infraction au sens de l’art. 12 al. 2 CP. Le fait de produire « délibérément à l’aveugle » (« bewusst blind ») le document en question, tout en sachant qu’il contenait peut-être des données bancaires, démontre que l’auteur tenait à tout le moins « pour possible » au sens de l’art. 12 al. 2 CP la réalisation de l’infraction (c. 3.6.1).
Concernant la volonté, les juges fédéraux rappellent que, dans leur arrêt de renvoi, ils avaient retenu que le fait que l’avocat n’ait pas lu l’intégralité du document avant de le produire en justice au titre de moyen de preuve était incompatible avec le soin et la diligence concrètement requis de lui, violant ainsi l’art. 12 let. a LLCA et portant gravement atteinte aux intérêts de tiers, à savoir les clients de la banque concernée. Dès lors que le document en question ne comportait que 6 pages et que A aurait pu le vérifier dans son entièreté sans difficulté, la violation du devoir de diligence est particulièrement grave et constitue un indice important de l’acceptation par A du résultat (c. 3.6.2 2e et 3e par.). Il découle en effet de l’art. 12 let. a LLCA qu’un avocat doit examiner dans leur intégralité les documents qu’il reçoit de son mandant qu’il entend produire dans le cadre d’une procédure civile au titre de moyen de preuve. Dans ce cadre, il doit s’assurer, d’une part, que rien dans le document en question ne puisse diminuer sa force probante et, d’autre part, qu’il ne contient pas d’informations soumises à une obligation légale de garder le secret (c. 3.6.3 2e par).
Enfin, la violation du secret bancaire apparaît fort probable en l’espèce dès lors que A n’a pas procédé à un examen complet du document produit alors qu’il savait qu’il contenait peut-être – à l’origine – des données couvertes par le secret bancaire. A ne pouvait sérieusement partir de l’idée que l’infraction ne se réaliserait pas, faute d’avoir pris des mesures sérieuses qui seraient un indice en ce sens. En effet, il n’a pas demandé à son client s’il avait caviardé toutes les données couvertes par le secret. En se fiant « aveuglément » à son mandant et en produisant ce document en justice, A a donc créé un risque particulièrement important de violation du secret bancaire au sens de l’art. 47 al. 1 let. c LB. L’acceptation d’un tel risque va au-delà d’une négligence consciente (c. 3.6.3 2e par). Il s’ensuit que l’autorité inférieure a violé le droit fédéral en ne retenant pas que A avait agi par dol éventuel (c. 3.6.3 3e par).
Partant, le recours doit être admis, l’arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l’autorité inférieure pour nouvelle décision dans le sens des considérants (c. 4).