I. En fait
Le 14 septembre 2020, A atterrit à l’aéroport de Zurich en provenance de Croatie. Dans l’avion, elle remplit une carte de contact de l’OFSP distribuée aux passagers. Elle ne prend pas d’autres dispositions visant à informer les autorités de son entrée en Suisse.
Le 3 mai 2021, le Tribunal d’arrondissement de Zofingue (AG) condamne A à une amende de CHF 500.-, prononcée sur la base des art. 83 al. 1 let. k et al. 2, en lien avec l’art. 41 al. 2 let. a de la loi fédérale sur les épidémies (LEp) ainsi que les art. 2 et 5 de l’ordonnance du 2 juillet 2020 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (Covid-19) dans le domaine du transport international de voyageurs (ci-après : ordonnance Covid-19 du 2 juillet 2020). Il lui est reproché de ne pas s’être annoncée auprès du médecin cantonal dans les deux jours suivant son retour en Suisse en provenance d’un Etat ou d’une zone présentant un risque élevé d’infection. Par jugement du 2 juin 2022 prononcé sur appel de A, le Tribunal cantonal argovien confirme sa condamnation. A forme recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral, concluant à l’annulation du jugement précité et à son acquittement.
II. En droit
Le Tribunal fédéral expose tout d’abord les mesures visant le transport international de personnes susceptibles de s’appliquer en cas de lutte contre une épidémie (c. 1.3.2). L’art. 41 al. 2 LEp prévoit que l’OFSP peut imposer certaines obligations aux personnes qui entrent ou sortent de Suisse, notamment qu’elles fassent connaitre leur identité, leurs coordonnées et leur itinéraire (let. a). Aux termes de l’art. 41 al. 3 LEp, l’OFSP peut également imposer aux personnes qui entrent en Suisse certaines mesures (1ère phrase), comme une surveillance ou un traitement médical (art. 34 et 37 LEp), une quarantaine et un isolement (art. 35 LEp). Le Conseil fédéral peut provisoirement étendre ces mesures à toutes les personnes en provenance d’une zone à risque (2ème phrase). Selon les dispositions d’exécution concrétisant l’art. 41 LEp, les coordonnées et l’itinéraire à faire connaître à l’entrée en Suisse doivent être indiqués sur une carte de contact (art. 49 OEp). L’art. 59 al. 2 OEp précise que l’OFSP peut imposer aux entreprises assurant le transport transfrontalier de personnes par train, car, bateau ou avion et aux exploitants d’aéroports l’obligation de distribuer des cartes de contact, de collecter ces documents remplis et de les transmettre au service qu’il a désigné. L’art. 83 al. 1 let. k en lien avec l’al. 2 LEp réprime d’une amende celui ou celle qui enfreint par négligence les dispositions sur l’entrée et la sortie du pays prévues à l’art. 41 LEp.
En ce qui concerne la lutte contre le Covid-19 spécifiquement, les art. 2 ss. de l’ordonnance Covid-19 du 2 juillet 2020 régissaient, du 6 juillet 2020 au 7 février 2021, l’obligation de quarantaine pour les personnes entrant en Suisse après avoir séjourné dans un Etat ou une zone présentant un risque élevé d’infection. Selon l’art. 5 de l’ordonnance, une personne tenue d’observer une quarantaine doit annoncer aux autorités cantonales compétentes dans un délai de deux jours son entrée en Suisse et suivre leurs instructions (c. 1.4.1).
En l’espèce, il est établi que la recourante a rempli dans l’avion une carte de contact de l’OFSP portant l’emblème de la Confédération suisse et sur laquelle les voyageurs devaient indiquer l’itinéraire de leur voyage (date et lieu de départ, escales, date et lieu d’arrivée), le numéro de vol et de siège, leurs coordonnées personnelles ainsi que leurs coordonnées de contact. Ils devaient confirmer par une signature que leurs déclarations étaient exactes et complètes. Une mention en petits caractères indiquait que les informations fournies servaient à contacter les voyageurs au cas où un passager était tombé malade ; une autre indication intitulée « Bases légales » précisait que les données personnelles pouvaient être collectées et exploitées sur la base de l’art. 41 LEp (c. 1.3.4).
Le Tribunal fédéral relève ensuite que la collecte de l’identité, des coordonnées et de l’itinéraire des voyageurs au moyen d’une carte de contact a été introduite dès le mois d’août 2020 par un accord de coopération entre l’OFSP et la direction de la sécurité du canton de Zurich (c. 1.4.3). Il habilitait la police aéroportuaire à récolter auprès des compagnies aériennes qui atterrissaient à l’aéroport de Zurich-Kloten les cartes de contact des voyageurs en provenance d’un Etat ou d’une région présentant un risque accru d’infection, et à les transmettre à l’OFSP ainsi qu’au centre de traçage du canton dans lequel chaque passager était domicilié. Toutefois, au 14 septembre 2020, jour où la recourante est entrée sur territoire suisse, la collecte de ces informations n’était pas prévue par l’ordonnance Covid-19 du 2 juillet 2020. Cette obligation figurait dans l’ordonnance Covid-19 du 23 janvier 2021 qui l’a remplacée dès le 8 février 2021 (RO 2021 61). De plus, l’art. 5 de l’ordonnance Covid-19 du 2 juillet 2020 obligeait uniquement les voyageurs à avertir les autorités cantonales compétentes de leur entrée en Suisse, sans préciser par quel moyen s’annoncer (téléphone, e-mail, plateforme internet ou courrier postal) ni quelles informations fournir auprès de quelle autorité cantonale. Les juges fédéraux relèvent également que l’ordonnance du 2 juillet 2020 était uniquement fondée sur l’art. 41 al. 3 LEp, et non sur l’art. 41 al. 2 LEp, sur la base duquel la recourante a été condamnée (c. 1.4.2 et 1.5.1).
Le Tribunal fédéral ajoute que même si l’on considérait que l’obligation d’annoncer l’entrée en Suisse aux autorités cantonales conformément à l’art. 5 de l’ordonnance Covid-19 du 2 juillet 2020 équivalait à l’obligation de faire connaître son identité, ses coordonnées et son itinéraire au sens de l’art. 41 al. 2 let. a LEp, une condamnation n’entrerait pas en ligne de compte. En effet, la recourante a rempli dans l’avion une carte de contact de l’OFSP au sens de l’art. 49 OEp, qui se référait explicitement à l’art. 41 LEp. Il ressort du dossier que la carte de contact a effectivement été transmise aux autorités cantonales compétentes du canton d’Argovie. Partant, on ne saurait suivre l’avis des juges cantonaux selon lequel la recourante devait non seulement remplir une carte de contact, mais également s’annoncer auprès du service du médecin cantonal. On ne voit pas en quoi une double communication de l’identité, des coordonnées et de l’itinéraire de la voyageuse aurait été «nécessaire pour empêcher la propagation d’une maladie infectieuse » au sens de l’art. 41 al. 2 LEp. Le Tribunal fédéral relève également que, selon un communiqué de presse du Conseil fédéral du 18 août 2020, la collecte de données mise en place grâce à l’accord de coopération entre la Direction de la sécurité du canton de Zurich et l’OFSP en août 2020 poursuivait le même objectif que l’art. 5 de l’ordonnance Covid-19 du 2 juillet 2020, à savoir un contrôle efficace du respect de la quarantaine imposée à chaque voyageur domicilié sur le territoire de l’autorité sanitaire cantonale compétente. Dit accord se fonde sur l’art. 59 al. 2 LEp, lequel autorise une collecte de données au sens des art. 41 al. 2 let. a LEp et 49 OEp grâce à la collaboration des entreprises de transport aérien. Par conséquent, l’instance cantonale ne pouvait reprocher à la recourante, qui a communiqué son identité, son itinéraire et ses coordonnées sur la carte de contact de l’OFSP distribuée durant son vol de retour en Suisse, d’avoir enfreint l’art. 41 al. 2 let. a LEp (c. 1.5.2).
La condamnation de la recourante sur la base de l’art. 83 al. 1 let. k et al. 2 LEp est donc contraire au droit fédéral, de sorte que son recours est admis et le jugement attaqué annulé (c. 1.6 et 2).
III. Commentaire
Cet arrêt illustre une application de l’exigence de précision (nulla poena sine lege certa) découlant du principe de la légalité (art. 1 CP). Ce principe est violé lorsque l’application du droit pénal à un acte déterminé procède d’une interprétation de la norme pénale excédant ce qui est admissible au regard des principes généraux du droit pénal, revenant ainsi à introduire de nouvelles infractions ou à élargir le champ d’une infraction existante à tel point que le sens de la loi n‘est plus couvert (ATF 148 IV 329 c. 5.1). L’exigence de précision impose que le comportement réprimé soit suffisamment circonscrit par la loi. Elle doit être formulée de manière telle qu’elle permette au citoyen d’y conformer son comportement et de prévoir les conséquences d’un comportement déterminé avec un certain degré de certitude, lequel ne peut être fixé abstraitement, mais doit au contraire tenir compte des circonstances (ATF 145 IV 329 c. 2.2) (c. 1.3.1).
La doctrine déplore que les informations destinées aux personnes entrant en Suisse exprimaient l’obligation de s’annoncer aux autorités bien moins clairement que l’obligation d’observer une quarantaine (Wohlers/Heneghan/Peters, Strafrecht in Zeiten der Pandemie, 2021, p. 71) (c. 1.4.2). En outre, la recourante a indiqué dès son premier interrogatoire à la police qu’en remplissant la carte de contact de l’OFSP, elle pensait que toutes les autorités concernées avaient été prévenues ; elle n’aurait d’ailleurs pas su auprès de qui elle aurait dû s’annoncer (c. 1.5.2) . Aussi le Tribunal fédéral a-t-il considéré que l’obligation de communiquer son entrée en Suisse prévue dans l’ordonnance Covid-19 du 2 juillet 2020 n’était pas formulée de manière suffisamment précise pour réprimer pénalement le comportement d’une voyageuse ayant rempli une carte de contact de l’OFSP, tous deux poursuivant le même but d’annonce aux autorités sanitaires cantonales.