Diffamation et défaut d’opposition à une publication au sens de l’art. 322bis CP 

Celui qui publie un article diffamatoire en tant que rédacteur responsable d’un média se rend coupable de défaut d’opposition à une publication au sens de l’art. 322bis CP si l’auteur initial ne peut être identifié.

I. En fait

Le 31 mai 2021, A. a été accusé de diffamation (art. 173 ch. 1 CP) pour avoir publié, en tant que responsable rédactionnel, un article sur le site internet « C.ch », dans lequel il affirmait que B. avait été condamné pour soustraction fiscale par une décision du Tribunal fédéral (TF). Or, l’arrêt en question concernait un différend comptable sans caractère pénal. 

Par jugement du 11 octobre 2021, A. a été reconnu coupable de diffamation. Le Juge I du district de Sierre a toutefois rejeté la demande de B. visant à étendre l’acte d’accusation aux articles 174 CP et 322bis CP, cumulés avec l’art. 28 al. 2 CP.

Statuant en appel, le Tribunal cantonal du Valais a partiellement admis l’appel de B. et a examiné les faits sous l’angle de l’art. 322bis CP. La cour cantonale a reconnu A. coupable de défaut d’opposition à une publication (art. 322bis CP) en lieu et place de diffamation et a condamné A. à une peine pécuniaire avec sursis.

A. a déposé un recours au TF, demandant son acquittement, subsidiairement à ce qu’il soit dispensé de toute peine.

II. En droit

Le recourant conteste s’être rendu coupable de défaut d’opposition à une publication (art. 322bis cum 28 al. 2 CP) (c. 6). Le TF constate en premier lieu que l’art. 322bis CP a fait l’objet d’une modification entrée en vigueur le 1er juillet 2023 (RO 2023 259). Conformément à l’art. 2 al. 2 CP et en tenant compte de la date du jugement attaqué (27 juin 2023), le TF souligne que l’article applicable en l’espèce est celui dans sa teneur au 1er mars 2019 (c. 6.1.1).

Selon l’art. 28 al. 1 CP, lorsqu’une infraction a été commise sous la forme de publication par un média, l’auteur est seul punissable. Toutefois, si l’auteur ne peut être découvert ou s’il ne peut être traduit devant la justice suisse, le rédacteur responsable est punissable en vertu de l’art. 322bis CP (art. 28 al. 2 CP)(c. 6.1.3). Il s’agit ainsi d’examiner les conditions préalables à l’applicabilité de l’art. 322bis CP, puis d’examiner si les éléments constitutifs objectifs et subjectifs de cette infraction sont réalisés (c. 6.1.4).

L’art. 322bis CP L’présuppose qu’une infraction primaire a été commise, en l’occurrence la diffamation (c. 6.2) – et que cette dernière fait l’objet d’une publication, ce qui est précisément le cas en l’espèce (c. 6.3). Il est également nécessaire que la publication soit faite dans un média. En l’occurrence, le site « C.ch », qualifié de blog par le recourant, a été considéré par la cour cantonale comme un média en raison des nombreuses références journalistiques. Cette appréciation est confirmée, car le site s’apparente à un journal en ligne destiné à informer le public, ce que le recourant ne conteste pas (c. 6.4).

En outre, l’infraction doit être « consommée » (art. 28 al. 1 CP). En d’autres termes, l’infraction est réalisée par le seul fait qu’un tiers prenne connaissance de la pensée exprimée par écrit, de l’image ou du son. Les propos tenus dans l’article litigieux constituent une diffamation, soit une infraction contre l’honneur, généralement considérée comme un délit de presse au sens de l’art. 28 CP. L’infraction est réalisée par la simple publication dans un média (ATF 125 IV 206 c. 3b ; ATF 122 IV 311 ; ATF 118 IV 153 c. 4 ; ATF 117 IV 27 c. 2c ; ATF 106 IV 161 c. 3). Le cas d’espèce présente cependant une particularité selon le TF. L’infraction de diffamation doit être considérée comme consommée dès qu’un tiers prend effectivement connaissance de l’allégation attentatoire à l’honneur. Dans le présent cas, celle-ci a été consommée une première fois lorsque l’auteur inconnu a envoyé son projet d’article au recourant et que celui-ci en a pris connaissance. Par la suite, l’infraction a été consommée une seconde fois, de manière indépendante, lorsque les lecteurs et/ou abonnés du site « C.ch » ont pris connaissance de l’article après sa publication par le recourant (c. 6.5).

L’applicabilité de l’art. 322bis CP ne peut être admise que si l’auteur au sens de l’art. 28 al. 1 CP ne peut être découvert ou ne peut être traduit en Suisse devant un tribunal (c. 6.7). En l’occurrence, la cour cantonale a estimé que le recourant a reçu l’article par courriel ou par courrier d’une personne non identifiée, ou du moins non nommée par ce dernier, et qu’il a pris la décision de le publier (c. 6.6.1). 

En lien avec cette condition, le recourant soutient que les autorités de poursuite ont manqué à leurs obligations en omettant d’entreprendre des démarches pour découvrir l’identité de l’auteur principal. La cour cantonale estime quant à elle que l’identité de l’auteur initial n’aurait pas pu être identifiée car le recourant n’a pas été en mesure de se souvenir de celle-ci et/ou du moyen par lequel l’article lui est parvenu (c. 6.7.1). Enfin le recourant argumente que l’identification de l’auteur de l’article aurait été faisable, notamment via la consultation des serveurs du site « C.ch » (c. 6.7.2). À ce propos, le TF souligne que le grief soulevé est fondé sur des éléments de faits qui ne ressortent pas du jugement attaqué. En tout état de cause, ces éléments auraient été sans pertinence, dès lors que le recourant a plusieurs fois confirmé qu’il ne se souvenait pas s’il avait reçu l’article par courrier postal ou électronique et s’il avait procédé à sa publication. Ainsi, il n’apparaît pas que l’auteur ait laissé des traces sur le serveur du site, rendant la méthode d’identification de l’auteur proposée par le recourant non pertinente (c. 6.7.3). 

Le TF s’aligne avec la doctrine en affirmant que la responsabilité du rédacteur responsable ou de la personne responsable de la publication n’est pas subsidiaire (Andreas Donatsch/Gunhild Godenzi/Brigitte Tag, Strafrecht I, 10e éd., Zürich 2022, p. 213 ; CR CP I-Werly, art. 28N 15). L’intervenant secondaire doit au contraire avoir une responsabilité qui lui permet de surveiller et d’agir si nécessaire. Cette situation doit être examinée au cas par cas, en utilisant si nécessaire le mécanisme prévu par l’art. 322 CP (violation de l’obligation des médias de renseigner). Le rédacteur responsable selon l’art. 28 al. 2 CP est la personne ayant le pouvoir de décider quels contenus seront publiés et qui en assume la responsabilité. La personne responsable de la publication, quant à elle, est celle qui a la capacité de surveiller le processus de publication et d’intervenir si nécessaire. La cour cantonale a initialement qualifié le recourant de « responsable rédactionnel » du site, avant de le désigner comme « personne responsable de la publication » selon l’art. 28 al. 2 CP. Bien qu’il aurait été plus précis de le qualifier de « rédacteur responsable », cette imprécision n’a pas d’impact dans la présente cause. En effet, le recourant gérait l’ensemble des processus du site, avec l’aide occasionnelle d’un modérateur, ce qui lui permettait de cumuler les rôles de rédacteur responsable et de personne responsable de la publication (c. 6.8).

Le comportement incriminé par l’art. 322bis CP est un délit d’omission proprement dit et concerne le fait de ne pas s’opposer à une publication. En l’occurrence, le recourant a publié un article sans vérifier en profondeur son contenu, bien qu’il a eu les moyens de s’opposer à la publication. Il a ainsi agi de manière typique selon l’art. 322bis CP, ce qu’il ne conteste pas. Sur le fait que l’article a été retiré seulement six jours après sa publication, le TF souligne que l’infraction est consommée dès que l’article est mis à la disposition des lecteurs. L’existence d’uneobligation de retirer l’article après sa publication n’est pas pertinente (c. 6.9).

L’infraction prévue à l’art. 322bis CP peut être commise intentionnellement ou par négligence (c. 6.10). La cour cantonale a jugé que le recourant a agi intentionnellement, car il a lu l’article et devait connaître son caractère mensonger, surtout qu’une simple lecture de l’arrêt du TF aurait suffi, ce qu’il ne conteste pas (c. 6.10.2). Cependant, le recourant soutient que certains éléments, comme l’adoption d’une charte de publication, l’engagement d’un modérateur et le retrait de l’article après six jours, n’ont pas été pris en compte dans l’évaluation de son état d’esprit. Selon le TF, ces éléments ne sont pas convaincants. Le recours est intégralement rejeté (c. 8). 

Proposition de citation : Melody Bozinova, Diffamation et défaut d’opposition à une publication au sens de l’art. 322bis CP , in : https://www.crimen.ch/296/ du 21 octobre 2024