Civil forfeiture – Confiscation d’un véhicule portant des traces de drogue chez un tiers ?

Un véhicule utilisé pour le transport de drogue peut être confisqué (art. 69 CP) auprès d’un tiers, alors même que ce dernier n’a pas participé aux infractions à la Loi sur les stupéfiants.

I. En fait

Le 22 janvier 2017, A pénètre sur le territoire suisse au volant de son véhicule. Il est contrôlé au poste frontière de Thayngen dans le canton de Schaffhouse. Les autorités douanières trouvent alors diverses traces de stupéfiants sur ses mains et dans le véhicule. Entre les dossiers des sièges arrière et le coffre, elles découvrent en outre une « cachette secrète » de 140x65x30 cm, équipée d’un système de verrouillage électrique et d’une télécommande. Aucun produit stupéfiant en tant que tel n’a été trouvé. En revanche, des traces de drogues ont été détectées par l’appareil de détection d’explosifs et de produits stupéfiants des douanes.

Le 21 août 2017, l’Administration fédérale des douanes (AFD ; aujourd’hui Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières [OFDF]) décide de confisquer le véhicule de A, mais cette décision est annulée le 28 août 2020 par le tribunal régional qui ordonne la restitution du véhicule à A. L’AFD dépose un recours auprès de la Cour suprême du canton de Berne.

Par la suite, la Cour suprême du canton de Berne dénonce A pour infraction à la Loi sur les stupéfiants. Par ordonnance du 23 décembre 2020, le Ministère public du canton de Schaffhouse n’entre pas en matière sur cette dénonciation.

Le 19 janvier 2021, la Cour suprême admet le recours de l’AFD et annule la décision de l’autorité inférieure. La Cour est d’avis que la restitution du véhicule dans son état actuel n’entre pas en ligne de compte, car les conditions de l’art. 69 al. 1 CP sont réalisées. Toutefois, une destruction du véhicule serait disproportionnée. C’est pourquoi le véhicule peut être remis dans son état légal, c’est-à-dire en supprimant la cachette secrète et le mécanisme de fermeture électronique. Les frais de remise en état sont mis à la charge de A et des sûretés à cet effet lui seront demandées. S’il ne s’acquitte pas de ces sûretés, le véhicule doit être détruit (arrêt TC-BE BK 20 440 du 19.1.2021).

Contre cette dernière décision, A forme un recours devant le TF.

II. En droit

A demande la restitution du véhicule en l’état actuel et fait valoir en vain une violation de l’art. 69 CP. En effet, le Tribunal fédéral retient notamment que la confiscation d’objets dangereux pouvait également être ordonnée à l’encontre de tiers (c. 4). Le recours de A est par conséquent rejeté.

III. Commentaire

La décision a été qualifiée à juste titre de « bizarre » (Konrad Jeker, “Civil forfeiture” oder die Strafbarkeit der Dinge, in : strafprozess.ch). Cela vaut d’abord pour la confiscation d’objets dangereux elle-même. En effet, une voiture munie d’un compartiment secret ne met pas d’emblée en danger la « sécurité des personnes » (art. 69 CP) et il convient de souligner à cet égard que ce sont les personnes qui sont dangereuses, non pas les objets. La cachette dont il est question dans le présent arrêt peut également servir de protection antivol. Contrairement à l’auteur qui aurait démontré sa dangerosité à l’occasion de la commission de l’infraction, il ne peut en être dit autant au sujet de A, qui doit être considéré comme un tiers. De plus, la confiscation au détriment d’un tiers constitue une expropriation formelle pour laquelle il n’existe pas de base légale. En mettant à sa charge les frais de remise en état du véhicule ainsi que ceux de la procédure, A s’est vu infliger, en violation du principe de culpabilité (nulla poena sine culpa), une sanction pécuniaire pour une infraction dont il n’est pas responsable (Marc Thommen/Luisa Lichtenberger, Die Strafbarkeit der Dinge, fp 2022 [à paraître]).

Le présent arrêt soulève au moins quatre questions tant du point de vue matériel que procédural.

Premièrement, une question de principe se pose quant au recours de l’AFD contre la restitution de la voiture. Alors qu’il y a 15 ans, il y avait encore un débat de fond sur la qualité pour recourir des autorités de poursuite pénale (cf. Jana Johanna Drzalic, Gutachten und Richter im Strafprozess, Thèse Zurich, Zurich/Bâle/Genève 2021, 45 ss et références citées), elle n’est guère plus remise en question aujourd’hui. Les procureurs qui contestent une libération de la détention provisoire ou les douaniers qui s’opposent à la restitution de biens saisis mettent en œuvre des droits fondamentaux à l’encontre de leurs titulaires. La liberté de mouvement (art. 10 al. 2 Cst.) protège en effet l’individu « contre toute mesure étatique dirigée à l’encontre de personnes » (CR Cst.-Hertig Randall/Marquis, art. 10 N 53). Il en va de même pour la garantie de la propriété ancrée à l’art. 26 Cst. (CR Cst.-Dubey, art. 26 N 54 et 78). Or les autorités de poursuite pénale sont les destinataires de ces droits fondamentaux devant les respecter ; elle ne sont pas leurs titulaires.

Deuxièmement, il est intéressant de noter que A a été « interpellé et contrôlé » à la frontière, ce qui ne figure pas dans l’arrêt du TF. La raison pour laquelle A a été contrôlé n’est pas non plus explicitée. Le fait que, lors d’un contrôle aléatoire, des autorités policières ou douanières trouvent « par hasard » de la drogue devrait laisser la défense sceptique tant de tels contrôles sont rares. Même si cela ne doit rester qu’une hypothèse, il est possible de soupçonner que la personne ait fait l’objet d’une surveillance secrète et que, dans ce cadre, le contrôle douanier a eu lieu à un moment où aucune drogue n’était transportée. Cela expliquerait également le zèle de l’administration des douanes en matière de poursuite et de confiscation.

Troisièmement, la dénonciation déposée par la Cour suprême du canton de Berne à l’encontre de A interpelle. Celle-ci avait pour but que le canton de Schaffhouse ouvre une procédure pénale. En cas de condamnation, le véhicule aurait pu être confisqué de manière accessoire (CR CP-Hirsig-Vouilloz, art. 69 N 4). On peut déjà se demander si, par son comportement, la Cour suprême n’a pas perdu de vue la maxime d’accusation (art. 9 CPP) en engageant une procédure pénale « de sa propre initiative » (SK StPO-Wohlers, art. 9 N 5). À première vue, la Cour suprême était tenue de dénoncer A (art. 302 al. 1 CPP ; art. 48 al. 1 LiCPM/BE). À y regarder de plus près néanmoins, on ne voit pas comment pareille obligation de dénoncer est compatible avec la séparation des pouvoirs dans la procédure pénale (CR CPP-Schubarth/Graa, art. 9 N 7) et la garantie du tribunal indépendant et impartial (art. 30 al. 1 Cst.). En l’espèce, à la suite de l’ordonnance de non-entrée en matière rendue par le Ministère public du canton de Schaffhouse, le dossier a été renvoyé au canton de Berne. En raison de leur dénonciation de A, les juges de la Cour suprême n’étaient plus partiaux et auraient donc dû se récuser.

Quatrièmement, il est difficile de comprendre pourquoi les autorités schaffhousoises ont rendu une ordonnance de non-entrée en matière. Au vu des traces de drogue retrouvées dans la voiture, il existait des soupçons suffisants pour ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). En effet, une demande que nous avons adressée le 27 janvier 2022 au premier procureur, Peter Stichler, a révélé que le canton de Schaffhouse avait déjà mené et classé une procédure pénale. La non-entrée en matière a donc été prononcée sur la base d’un empêchement de procéder (ne bis in idem) selon l’art. 310 al. 1 let. b CPP.

La question se pose donc de savoir comment les autorités pénales auraient dû procéder. Lors du premier classement de la procédure pénale, elles auraient dû statuer sur le sort de la voiture confisquée. En outre, la voiture aurait pu être remise telle quelle à A, dès lors qu’il est possible de faire une utilisation légale du coffre-fort installé dans cette dernière (protection antivol). Dans la mesure où les autorités pénales ont jugé indispensable de faire démonter la « cachette secrète », cela aurait dû se faire aux frais de l’État. Il va de soi que les frais de procédure de l’ordonnance de classement auraient également dû être mis à la charge de l’État (art. 426 al. 2 CPP).

Proposition de citation : Marc Thommen, Civil forfeiture – Confiscation d’un véhicule portant des traces de drogue chez un tiers ?, in : https://www.crimen.ch/91/ du 24 mars 2022