La tentative d’instigation à commettre un crime à l’étranger non soumis à la compétence suisse est punissable

Celui qui, depuis la Suisse, instigue ou assiste à une infraction commise à l’étranger échappe à la compétence territoriale des autorités pénales suisses. Toutefois, s’il y a tentative d’instiguer à commettre un crime (art. 24 al. 2 CP), la tentative d’instigation en Suisse constitue une circonstance de rattachement propre pour déterminer le lieu de commission et fonder la compétence territoriale suisse.

I. En fait

L’accusation affirme ce qui suit : A demande à B, par messages écrits et vocaux et lors d’entretiens en personne, d’abattre C et D, ainsi que A lui-même. Il montre à B plusieurs armes à feu, lui demande de porter des gants lors de la commission de l’acte et lui promet une récompense de CHF 100’000.- à 300’000.- pour les trois homicides.

A et B sont des ressortissants étrangers résidant à Zurich et en Argovie. Les messages écrits et vocaux sont rédigés et envoyés en partie depuis la Suisse et en partie depuis l’Allemagne. Ils sont lus et écoutés par B en Suisse. Les entretiens ont lieu à Zurich. C et D sont toutes les deux domiciliées en Allemagne et y résident en permanence. B ne passe jamais à l’acte.

Le Tribunal d’arrondissement de Zurich déclare A coupable, inter alia, de multiples tentatives d’instigation à de multiples meurtres (art. 111 cum 24 al. 2 CP). Le Tribunal supérieur du canton de Zurich confirme cette condamnation et A porte l’affaire devant le Tribunal fédéral.

II. En droit

A conteste la compétence territoriale des autorités pénales suisses. Il fait valoir que, selon le principe de l’accessoriété, l’instigation est réputée avoir été commise là où l’auteur principal a agi ou aurait agi selon l’idée de l’instigateur. In casu, le lieu de l’action aurait été l’Allemagne, en raison du domicile et de la résidence permanente des personnes visées, raison pour laquelle la tentative d’instigation est réputée y avoir été commise et échappe à la compétence territoriale suisse (c. 1).

Après avoir résumé la position de l’instance précédente (c. 1.1.), le TF rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’acte d’un participant secondaire, en raison de son accessoriété à l’infraction principale, ne constitue pas une circonstance de rattachement propre au moment de déterminer le lieu de commission de l’infraction (art. 3 cum 8 CP). Une instigation en Suisse à une infraction principale commise à l’étranger, respectivement une complicité de cette même infraction, ne relèvent donc pas de la compétence territoriale suisse (ATF 144 IV 265, c. 2) (c. 1.2.2).

Le TF constate que cette jurisprudence concerne le cas où la participation secondaire a été fructueuse et où l’infraction principale a été exécutée. La question de savoir comment traiter les cas où l’instigation est restée au stade de la tentative, notamment lorsque l’infraction principale n’a même pas été tentée, a certes été abordée dans un arrêt Str.84/1983 du 7 septembre 1989 (in : SJ 1984, 160 ss), c. 2c, mais uniquement sous la forme d’une motivation subsidiaire. Ce dernier arrêt a retenu que dans l’hypothèse où l’on accepterait de considérer la tentative d’instigation à un crime comme une délit indépendant, l’art. 7 al. 2 aCP (désormais : art. 8 al. 2 CP) s’appliquerait (c. 1.2.3).

Au vu de cette situation, notre Haute Cour procède à une nouvelle interprétation de la loi. Tout d’abord, elle constate que le libellé de l’art. 8 CP, s’il ne répond pas explicitement à la question, n’empêche toutefois pas un rattachement propre au lieu de la tentative d’instigation, puisque l’al. 2 de cette disposition parle de « tentative » (c. 1.2.3.1).

Le TF retient que la genèse de cette disposition ne s’oppose pas à cette interprétation : les travaux préparatoires ne se prononcent absolument pas sur la question, ce qui pourrait être invoqué comme argument pour dire que l’art. 8 al. 2 CP couvre également la tentative d’instigation (c. 1.2.3.2).

Des considérations systématiques suggèrent un rattachement propre selon l’art. 8 al. 2 CP : dans sa jurisprudence antérieure, le TF a souligné que son interprétation de l’art. 8 CP concordait avec les règles du for interne des art. 31 et 33 CPP (ATF 144 IV 265, c. 2.4 ; 104 IV 77, c. 7b). Selon la jurisprudence et la doctrine, la tentative d’instigation a son propre for, qui est déterminé par l’art. 31 CPP et non par l’art. 33 al. 1 CPP. Si ce parallélisme doit être maintenu, la tentative d’instigation doit tomber sous le coup de l’art. 8 al. 2 CP (c. 1.2.3.3).

Pour les juges de Mon Repos, des réflexions de théorie du droit soutiennent également cette position. Comme le Tribunal pénal fédéral l’a considéré dans sa décision BG.2020.10 du 14 avril 2020, la punissabilité de la tentative d’instigation ne dépend pas de l’infraction principale (aucune accessoriété), raison pour laquelle la tentative d’instigation a son propre for. La personne qui a tenté d’instiguer autrui à commettre une infraction ne participe pas à un illégalisme réalisé par l’auteur, mais doit répondre de son propre comportement, soit le fait de contacter à l’auteur et de tenter de l’inciter à commettre l’infraction (c. 1.2.3.4).

Enfin, le TF rappelle sa propre formule selon laquelle la nécessité de prévenir les conflits de compétence négatifs dans les rapports internationaux justifie d’admettre la compétence des autorités pénales suisses, même en l’absence de lien étroit avec la Suisse. Cela plaide également en faveur de la détermination du lieu de commission de la tentative d’instigation selon l’art. 8 al. 2 CP (c. 1.2.3.5).

Le considérant suivant montre ce que cela signifie concrètement. Le TF conclut que la tentative d’instigation constitue un point de rattachement propre. Celui-ci est déterminé par l’art. 8 al. 2 CP, c’est-à-dire par le lieu de l’action de l’instigateur et le lieu où le résultat (de l’instigation) aurait dû se produire (selon l’idée de l’instigateur). Le résultat de l’instigation implique entre autres que l’instigateur ait réussi à susciter chez l’autre la volonté de commettre l’infraction (ATF 81 IV 285, c. II.1/b). En l’espèce, cette volonté devait naître chez B en Suisse. Dans cette mesure, des messages rédigés en Allemagne et adressés à B en Suisse suffisent, à eux seuls, à fonder la compétence territoriale de l’instance précédente. L’objection de l’absence de compétence territoriale ne tient donc pas (c. 1.2.3.6).

Le TF admet partiellement le recours sur d’autres points (c. 3). Pour le reste, le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité (c. 6).

III. Commentaire

1. Problème de base : participation secondaire territoriale à une infraction extraterritoriale

Le problème de la participation secondaire (ou accessoire) exécutée sur le territoire national (participation secondaire territoriale) à une infraction commise à l’étranger (infraction extraterritoriale) a suscité des dizaines de prises de position de juristes dans notre pays et des centaines autour du monde. De nombreux pays ont créé une réglementation spécifique pour cette configuration (voir les exemples chez Andrés Payer, Territorialität und grenzüberschreitende Tatbeteiligung, Zurich/St. Gall 2021, 47 ss ; ainsi que l’évaluation récente chez idem, Gebietsgrundsatz und transnationale Tatbeteiligung, Goltdammer’s Archiv für Strafrecht 2022, 635 ss, 650 ss), mais pas la Suisse.

Qu’est-ce qui rend cette configuration si particulière ? Dans l’arrêt commenté ici, le TF s’en tient à sa position, récemment réaffirmée dans l’ATF 144 IV 265, selon laquelle le problème se situe au lieu de commission de la participation secondaire : d’après notre Haute Cour, celle-ci doit être localisée au lieu de commission de l’infraction principale en raison de son accessoriété. Cette approche situe à juste titre le problème au niveau de l’accessoriété, mais de manière erronée :1 la participation secondaire territoriale à une infraction extraterritoriale est bel et bien commise sur le territoire national et fonde donc la compétence territoriale suisse (art. 3 al. 1 CP) ; prétendre qu’elle a été commise exclusivement à l’étranger est une fiction. En effet, si elle avait été effectivement commise uniquement à l’étranger, la question de sa punissabilité en Suisse ne se poserait pas. Le véritable problème n’est pas celui de la compétence pénale (celle-ci est donnée), mais celui de l’absence d’illégalisme (Unrecht) : les actes extraterritoriaux ne sont en règle générale pas soumis à la compétence pénale nationale, avec pour conséquence qu’ils ne constituent pas un illégalisme du point de vue du droit national (voir en détail Payer, Territorialität, 11 s. ; idem, Gebietsgrundsatz, 639 ss). Par conséquent, la substance d’où la participation secondaire pourrait tirer son illégalisme fait défaut. C’est la principale raison pour laquelle la punissabilité de la participation secondaire territoriale à un acte extraterritorial fait débat.

Selon nous, une sanction ne peut intervenir que si l’on relativise le principe de l’accessoriété et que l’on admet un illégalisme « hypothétique », c’est-à-dire un illégalisme dans l’hypothèse fictive où le droit pénal national serait applicable à l’acte principal. C’est ce que prévoit, en matière d’énergie nucléaire, l’art. 95 al. 2 LENu (voir aussi son libellé allemand : « strafbar wäre »). Pour toutes les autres infractions, il n’y a selon nous pas de base légale, de lege lata, pour une telle relativisation du principe de l’accessoriété. Par conséquent, notre approche arrive souvent aux mêmes résultats que le TF, mais pas toujours : dès qu’un rattachement extraterritorial est en jeu, des divergences pratiques apparaissent. Par exemple, si l’acte extraterritorial auquel un ressortissant étranger a participé de manière secondaire depuis la Suisse est soumis à la compétence pénale suisse parce qu’il a été commis par un Suisse (art. 7 CP), le participant secondaire pourrait être puni selon notre approche, mais pas selon le raisonnement du TF. A l’inverse, le TF admet la punissabilité du participant secondaire s’il est de nationalité suisse même si l’acte principal échappe à la compétence pénale suisse (ATF 104 IV 77, regeste et c. 7c), alors que nous arrivons au résultat inverse, car l’illégalisme fait ici défaut.

2. Cas particulier : tentative d’instigation territoriale à un crime extraterritorial

La tentative d’instigation se distingue de l’instigation consommée (art. 24 al. 1 CP) et de la complicité (art. 25 CP), qui n’est punissable que dans sa forme consommée, notamment en ce sens que sa punissabilité ne dépend pas du fait que l’infraction principale ait au moins été tentée. En ce sens, il est dérogé au principe de l’accessoriété.2

Dans le présent arrêt, le TF en déduit que l’art. 8 al. 2 CP s’applique à la tentative d’instigation. Nous ne pouvons pas nous rallier à cette position. Comme le TF l’a relevé à juste titre dans l’ATF 144 IV 265, c. 2.7.2, l’art. 8 CP ne règle le lieu de commission que pour les infractions (principales) et non pas également pour la participation secondaire. Ainsi, la tentative d’instigation devrait constituer une infraction indépendante pour être couverte par cette disposition. C’est aussi ce qu’a retenu l’ancien arrêt du TF auquel il fait ici référence (c. 1.2.3 et 1.2.3.6). Or, la tentative d’instigation n’est pas une infraction indépendante, comme le montre déjà le fait qu’elle n’a pas de propre peine. On peut laisser ouverte la question de savoir s’il s’agit d’une forme de participation secondaire ou si, vu l’absence d’une infraction principale réelle, elle doit être qualifiée par exemple d’acte préparatoire ; en tout cas, la tentative d’instigation doit aussi se rapporter à un comportement typiquement contraire au droit pénal et illicite (en ce sens, le principe de l’accessoriété s’applique). Ce qui est particulier, c’est que cette infraction principale ne peut rester que purement imaginaire.

In casu, le meurtre de C et D en Allemagne – qui n’a pas dépassé le stade du projet – ne constituait pas une telle infraction principale, ni un illégalisme, faute de compétence pénale suisse en la matière, raison pour laquelle A doit être acquitté, même si l’on se base sur les faits de l’accusation. Ici encore, ce n’est pas la compétence pénale suisse concernant la tentative d’instigation qui fait obstacle à la sanction (elle est donnée), mais le manque de point d’ancrage pour l’application de l’art. 24 al. 2 CP. Du point de vue du droit suisse, A a tenté d’instiguer B à faire quelque chose qui n’est tout simplement pas évaluée par le droit pénal suisse.

Notre solution évite également la conséquence étrange suivante du présent arrêt : d’après ce dernier, celui qui, depuis la Suisse, tente d’instiguer une autre personne à commettre un crime extraterritorial peut être puni dans notre pays si l’instigation n’est pas consommée, notamment si l’autre personne ne s’exécute pas, mais pas si l’instigation est consommée, notamment si cette personne commet le crime en question.

  1. Nous abandonnons l’opinion que nous avions défendue précédemment et qui était en accord avec le TF (Payer, Territorialität, 86 ss).↩︎
  2. CR CP-Sträuli, Intro aux art. 24 à 27 N 141 ss, 144, parle d’une exception à la règle de l’« accessoriété réelle ».↩︎

Proposition de citation : Andrés Payer, La tentative d’instigation à commettre un crime à l’étranger non soumis à la compétence suisse est punissable, in : https://www.crimen.ch/152/ du 17 novembre 2022