Attouchements commis dans un bus de nuit : réalisation de la contrainte sexuelle (art. 189 CP)

La contrainte sexuelle (art. 189 CP) est réalisée notamment lorsque la victime ne consent pas à l’acte sexuel, en le manifestant de manière suffisamment reconnaissable, en évitant tout contact visuel avec son agresseur, en le repoussant, en se mettant dos à lui et en pleurant. De plus, l’auteur qui profite du fait que la victime soit seule, dans un pays qui lui est étranger, dans un bus de nuit, non éclairé et rempli d’inconnus, coincée entre la vitre et lui-même (dont la corpulence et l’âge étaient déjà propres à créer une infériorité physique pour la victime), et qui écarte les jambes de la victime de force pour introduire ses doigts dans son intimité, fait usage de moyen de contrainte sous la forme de pressions psychiques et de la force. Le fait que la victime renonce à appeler à l’aide d’autres voyageurs n’exclut pas la contrainte.

I. En fait

Dans un bus de nuit, A s’est assis à côté de B, jeune étudiante qu’il ne connaissait pas et qui ne parlait pas la même langue que lui. Celle-ci, dans une position inconfortable pour dormir, a accepté, après insistance de A, de poser sa tête sur son épaule. A en a alors profité pour l’entourer de son bras, lui toucher la poitrine et lui pincer légèrement les seins. En état de choc, B s’est figée et n’a pas réagi. A a retiré la ceinture de sécurité de B, l’a tirée contre lui et a recommencé à lui toucher la poitrine. B, tétanisée et se sentant prise au piège, a tenté d’éviter le regard de A et de se détourner contre la vitre. A a alors mis ses mains entre les jambes de B, les écartant de force et a glissé sa main dans son short. Alors que B le repoussait, il lui a touché le sexe et est parvenu à introduire un ou deux doigts dans son intimité. B essayant à nouveau de repousser A, ce dernier lui a fait poser ses mains sur son pantalon pour sentir son sexe en érection. Ils ont continué de lutter ainsi silencieusement, B pleurant, jusqu’à l’arrivée du bus au terminus. L’ADN de A a été retrouvé dans la culotte de B.

À la suite de la plainte de B, le Tribunal de police de l’arrondissement de Lausanne a reconnu A coupable de contrainte sexuelle (art. 189 CP), l’a condamné à une peine privative de liberté de 9 mois avec sursis et prononcé son expulsion du territoire suisse pour une durée de 12 ans.

Après que la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté l’appel formé par A, celui-ci porte l’affaire devant le Tribunal fédéral.

II. En droit

Le Tribunal fédéral examine le premier grief de A, à savoir la violation de l’art. 189 CP. Cette disposition vise à protéger la libre détermination en matière sexuelle. Pour qu’il y ait contrainte sexuelle, il faut que la victime ne consente pas à un acte sexuel, que l’auteur le sache ou accepte cette éventualité et qu’il passe outre en profitant de la situation ou en utilisant un moyen efficace. L’auteur doit surmonter ou déjouer la résistance que l’on pouvait raisonnablement attendre de la victime. Les moyens de contrainte peuvent être la violence, la menace ou les pressions d’ordre psychique. Ces dernières sont considérées comme un moyen de contrainte lorsque l’auteur provoque chez la victime des effets d’ordre psychique, tels que la surprise, la frayeur ou le sentiment d’une situation sans espoir, propres à la faire céder (ATF 148 IV 234, c. 3.3 ; 128 IV 106, c. 3a/bb ; 122 IV 97, c. 2b) (c. 1.1.1).

En outre, la pression psychique exercée par l’auteur doit être d’une intensité comparable à celle de la violence ou de la menace. Il faut que les circonstances rendent la soumission compréhensible, par exemple lorsque résister physiquement ou appeler du secours serait vain ou entraînerait un préjudice disproportionné (cf. ATF 122 IV 97, c. 2b ; 119 IV 309, c. 7b). L’intensité de l’effet sur la victime doit être analysée au regard des circonstances de fait ainsi que de la situation personnelle de la victime (TF 6B_159/2020 du 20.4.2020, c. 2.4.1) (c. 1.1.2).

Sur le plan subjectif, l’intention nécessaire à la réalisation de l’infraction est admise lorsque la victime donne des signes évidents et déchiffrables de son opposition, reconnaissables pour l’auteur, tels que des pleurs, des demandes d’être laissée tranquille, le fait de se débattre, de refuser des tentatives d’amadouement ou d’essayer de fuir (ATF 148 IV 234, c. 3.4 et les références citées) (c. 1.1.3). 

La cour cantonale s’est basée sur plusieurs éléments pour juger que B n’était pas consentante et que A s’en était aperçu. Elle s’était clairement opposée, notamment en repoussant ses gestes à plusieurs reprises. S’agissant de la contrainte, la configuration du bus, le fait qu’il circulait de nuit et que la victime était coincée entre A et la vitre ont contribué à créer une situation où elle se sentait vulnérable et incapable de se défendre. Bien qu’il y ait eu d’autres passagers dans le bus, la cour cantonale a estimé que cela n’était pas déterminant, car B était choquée et tétanisée, ne pouvant donc pas chercher de l’aide. De plus, elle n’avait pas la possibilité de quitter le bus avant d’arriver à destination, ce que A savait pertinemment et dont il avait tiré avantage. En considérant ces éléments, la cour cantonale a confirmé que les éléments constitutifs objectifs et subjectifs de la contrainte sexuelle (art. 189 CP) étaient réalisés (c. 1.3).

A reproche à la cour cantonale d’avoir retenu la contrainte uniquement en raison du fait qu’il ne s’était pas assis sur le siège qu’il avait préalablement réservé, mais à côté de B. Le Tribunal fédéral rejette ce grief, la cour cantonale ayant fondé son raisonnement sur la base d’un ensemble d’éléments (cf. supra).  Il en fait de même avec le grief selon lequel B ne se serait pas manifestée, étant donné qu’elle a repoussé A à plusieurs reprises. C’est également en vain que A reproche à la cour cantonale de s’être fondée sur  les déclarations de B, ne démontrant pas en quoi elles seraient contradictoires ou non crédibles. En outre, en contestant avoir usé de force physique, A se contente d’opposer sa propre appréciation à celle de la cour cantonale, sans en démontrer l’arbitraire (c. 1.4.1-1.4.4).

Notre haute Cour estime que, contrairement à ce que soutient A, le fait que B n’ait pas appelé les autres passagers n’exclut pas la contrainte. En effet, la victime n’est pas tenue à une résistance qui irait au-delà d’un moyen de défense possible et raisonnable (cf. CR CP II-Queloz/Illànez, art. 189 N 34). Selon la jurisprudence, il suffit que les circonstances concrètes rendent la soumission compréhensible (ATF 126 IV 124, c. 3c) (c. 1.4.5).

C’est ensuite en vain que A affirme qu’il n’y a pas eu de pressions psychiques, le fait que B soit tétanisée ne suffisant pas selon lui. Les juges fédéraux retiennent plusieurs éléments démontrant la pression psychique : le fait que la victime était seule, à l’étranger, dans un bus de nuit, non éclairé et rempli d’inconnus, coincée entre la vitre et A (dont la corpulence et l’âge étaient déjà propres à créer une infériorité physique pour la victime). Ainsi, les moyens de contrainte utilisés par A comprenant tant la force physique que des pressions d’ordre psychique, c’est à raison que la cour cantonale a retenu que l’élément constitutif objectif de la contrainte était réalisé (c. 1.4.6 et 1.4.7).

Concernant l’élément constitutif subjectif, c’est également à tort que A argue qu’il ne pouvait pas se rendre compte de l’absence de consentement de B. Le Tribunal fédéral retient qu’il ressort en effet des faits de l’arrêt cantonal que B a clairement manifesté son refus de manière suffisamment reconnaissable, notamment en évitant tout contact visuel avec A, en le repoussant, en se mettant dos à lui et en pleurant (c. 1.5).

Finalement, les juges fédéraux rejettent le grief de A concluant à ce qu’il soit renoncé au prononcé de son expulsion, celui-ci supposant son acquittement du chef de contrainte sexuelle (c. 2).

Par conséquent, le Tribunal fédéral rejette le recours de A dans la mesure où il est recevable (c. 3). 

Proposition de citation : Mathilde Boyer, Attouchements commis dans un bus de nuit : réalisation de la contrainte sexuelle (art. 189 CP), in : https://www.crimen.ch/252/ du 1 mars 2024