La prescription d’un assassinat commis en 2000

Lorsqu’une infraction passible d’une peine privative de liberté à vie est jugée selon le droit de la prescription en vigueur jusqu’au 1er octobre 2002 par application de la lex mitior, le critère pour déterminer si un acte d’instruction, au sens de l’art. 72 ch. 2 aCP, a valablement interrompu la prescription de l’action pénale consiste à déterminer s’il avait pour but de faire avancer l’action pénale de manière reconnaissable pour les tiers. Tel n’est pas le cas d’une ordonnance de suspension de la procédure ou de la simple étude d’un dossier, à l’inverse d’un ordre de dépôt, même si celui-ci vise un grand nombre de personnes sans être dirigé spécifiquement contre l’auteur.

I. En fait

A est soupçonné d’avoir commis un assassinat (art. 112 CP) le 4 octobre 2000. Suite à son extradition depuis l’Allemagne le 8 décembre 2023, il est placé en détention provisoire par le Tribunal des mesures de contrainte (TMC) de Bâle-Campagne. Par décision du 12 juin 2024, le TMC refuse la demande de mise en liberté de A et prolonge sa détention jusqu’au 9 octobre 2024.

A recourt sans succès contre cette décision devant le Tribunal cantonal de Bâle-Campagne. Il dépose un recours en matière pénale au Tribunal fédéral (TF), concluant à sa libération immédiate, subsidiairement au renvoi de l’affaire pour nouveau jugement.

II. En droit

Conformément à l’art. 221 al. 1 let. a CPP, la détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté ne peuvent être ordonnées que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d’avoir commis un crime ou un délit et qu’il y a sérieusement lieu de craindre qu’il se soustraie à la procédure pénale ou à la sanction prévisible en prenant la fuite (risque de fuite) (c. 2).

Selon la jurisprudence, il n’appartient pas au juge de la détention de procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge, mais uniquement d’examiner s’il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure. L’intensité des charges propres à motiver un maintien en détention provisoire n’est pas la même aux divers stades de l’instruction pénale ; si des soupçons, même encore peu précis, peuvent être suffisants dans les premiers temps de l’enquête, la perspective d’une condamnation doit apparaître avec une certaine vraisemblance après l’accomplissement des actes d’instruction envisageables (ATF 143 IV 316, c. 3.1 et 3.2 ; TF 7B_464/2023 du 11.9.2023, c. 3.1). En d’autres termes, les soupçons doivent se renforcer plus l’instruction avance et plus l’issue du jugement au fond approche (TF 1B_143/2019 du 23.4.2019, c. 3.1). En présence d’un empêchement de procéder telle la prescription, il convient de procéder à un examen sommaire : s’il existe une probabilité importante que l’infraction soit prescrite, l’existence d’un fort soupçon au sens de l’art. 221 al. 1 CPP doit être niée (TF 1B_135/2022 du 30.3.2022, c. 2.3) (c. 3.1).

En l’espèce, A ne conteste pas avoir tué B en lui tirant dans la tête à bout portant, mais soutient que le coup de feu mortel a été déclenché par inadvertance. Le TF écarte rapidement cet argument. Il existe ainsi un fort soupçon, au sens de l’art. 221 al. 1 CPP, qu’il ait commis un assassinat. Seule demeure à trancher la question de savoir si l’infraction est, comme le soutient A, déjà prescrite depuis 2020 (c. 3.3).

Pour répondre à cette question, les juges fédéraux doivent tout d’abord déterminer le droit applicable. Au 1er octobre 2002 (RO 2002 2993), la prescription des infractions passibles d’une peine privative de liberté à vie est passée de 20 à 30 ans. Sous réserve des exceptions prévues à l’art. 97 al. 4 CP, les infractions commises avant cette date doivent être jugées selon l’ancien droit, à moins que le nouveau droit soit plus favorable à l’auteur (art. 2 al. 2 et 389 al. 1 CP). Les faits reprochés remontant au 4 octobre 2000, il s’agit donc d’appliquer l’ancien droit (c. 4.1).

Selon l’art. 72 ch. 2 aCP, la prescription est interrompue par tout acte d’instruction d’une autorité chargée de la poursuite ou par toute décision du juge dirigé contre l’auteur, en particulier par les citations et interrogatoires, les mandats d’arrêt ou de visite domiciliaire, par l’ordonnance d’expertise, ainsi que par tout recours contre une décision. À chaque interruption, un nouveau délai de prescription commencera à courir. Néanmoins, l’action pénale sera en tout cas prescrite lorsque le délai ordinaire sera dépassé de moitié, ou, pour les infractions contre l’honneur et pour les contraventions, à l’expiration d’un délai du double de la durée normale (c. 4.2). La liste des actes d’instruction susmentionnés n’est pas exhaustive. Selon la jurisprudence, constitue un acte d’instruction au sens de l’art. 72 ch. 2 aCP toute opération d’une autorité de poursuite pénale qui, d’une part, fait avancer la procédure et, d’autre part, génère un effet externe, par quoi il faut entendre qu’elle affiche de manière reconnaissable pour les tiers une volonté d’exercer l’action publique. À l’inverse, une simple étude du dossier ou une recherche de jurisprudence demeurent des actes purement internes de l’autorité, qui ne font pas passer la procédure d’un stade à un autre (ATF 126 IV 5, c. 1b, 90 IV 62, c. 1 ; TF 6B_659/2014 du 22.12.2017, c. 17.4.1) (c. 4.5.1). En revanche, il n’est pas déterminant que l’acte d’instruction soit dirigé contre un prévenu identifié ou identifiable (c. 4.5.2).

Sur cette base, le TF examine les différents actes d’instruction accomplis depuis l’ouverture de la procédure pénale en 2000. Il retient que la décision de suspension de la procédure du 29 décembre 2008 rendue par le service des juges d’instruction n’a pas interrompu la prescription, car cette mesure ne visait pas à faire avancer l’instruction, mais au contraire à suspendre temporairement cette dernière. En revanche, par ordre de dépôt du 14 juillet 2004, l’autorité pénale a requis la production, par le média Y, d’une liste de tous les abonnés au magazine Z dont l’adresse se situait dans le canton de Bâle-Ville, Bâle Campagne, Soleure ou Argovie. Ces instructions concrètes pouvaient se révéler pertinentes pour l’élucidation de l’assassinat présumé. Il s’ensuit qu’un tel acte d’instruction visait à faire progresser la procédure. Il a ainsi interrompu la prescription, indépendamment du fait qu’il était dirigé contre un grand nombre de personnes sans viser spécifiquement l’auteur (c. 4.6).

Le TF parvient ainsi à la conclusion que la prescription n’est pas encore atteinte et rejette le recours (c. 5).

Proposition de citation : Frédéric Lazeyras, La prescription d’un assassinat commis en 2000, in : https://www.crimen.ch/308/ du 19 décembre 2024