Le 9 avril 2016, un groupe de squatteurs occupe une propriété à Lucerne. Le 20 avril 2016, la société B, propriétaire de l’immeuble, dépose une plainte pénale contre inconnus auprès du Ministère public de Lucerne pour violation de domicile (art. 186 CP), commise depuis le 13 avril 2016 et requiert la libération des lieux par les intéressés au plus tard le 27 avril 2016. B demande qu’après cette date, les occupants soient expulsés par les forces de l’ordre.
A, journaliste pour une plateforme en ligne, entre dans la maison le 20 avril 2016 et reste sur les lieux entre 17h-19h jusqu’à 22h. Son article au sujet des squatteurs paraît le lendemain. Par ordonnance pénale, la journaliste est condamnée pour violation de domicile à 5 jours-amende et une amende de CHF 100.-. A fait opposition. Le 11 juin 2018, le Ministère public classe la procédure en décidant que la journaliste a pénétré dans la propriété afin de documenter les agissements des squatteurs avant de finalement quitter les lieux.
La société B fait recours contre l’ordonnance de classement. Le Tribunal cantonal de Lucerne admet le recours. Une nouvelle ordonnance pénale est rendue par le Ministère public qui condamne A au paiement d’une amende de CHF 500.-. En appel, ce verdict est confirmé.
La journaliste porte l’affaire devant le Tribunal fédéral. Selon la recourante, la société n’a déposé plainte qu’à l’encontre des squatteurs. Cette plainte pénale ne la concerne donc pas. En premier lieu, A se fonde sur les échanges entretenus entre les propriétaires et les médias au sujet des squatteurs, élément qui démontre que les journalistes n’étaient pas visés par la plainte pénale. En second lieu, la recourante considère que la plainte pénale ne la vise pas, car elle est entrée dans la maison en tant que journaliste et dans l’intention de rédiger un article sur l’occupation de la propriété par les squatteurs (c. 1.1).
Le Tribunal fédéral est ainsi appelé à se prononcer sur le cercle des personnes visées par la plainte pénale déposée contre inconnus. Notre Haute Cour rappelle sa jurisprudence en cas de dépôt de plainte pour une infraction continue telle que la violation de domicile. Quand une infraction continue est consommée, mais pas encore achevée, la plainte pénale (art. 30 CP) couvre également les faits se déroulant après son dépôt. La plainte vise ainsi tous les participants à l’infraction, notamment ceux qui interviennent après qu’elle ait été déposée (ATF 128 IV 81, c. 2), à condition que le comportement auquel ils prennent part leur soit imputable conformément aux règles matérielles de la participation. En ce sens, la plainte pénale vaut également contre les coauteurs assumant un rôle décisif et les complices prêtant assistance lors de l’exécution de l’infraction continue dans une même propriété. En revanche, les auteurs directs juxtaposés (Nebentäter) commettant l’infraction avec une intention indépendante, ne peuvent se voir imputer le comportement des inconnus visés par la plainte pénale (c. 1.3).
En l’espèce, l’occupation de la maison par les squatteurs a fait l’objet d’une plainte pénale par la société propriétaire. Le Tribunal fédéral se fonde sur l’acte d’accusation et souligne le fait que la recourante n’a pas pris part à la violation de domicile commise par les squatteurs conformément aux règles matérielles de la participation. Lorsqu’elle a pénétré les lieux, elle n’avait pas l’intention d’assumer un rôle de premier plan dans l’exécution de la violation de domicile par les squatteurs ou l’intention de leur prêter assistance en tant que complice. La journaliste réalise certes les éléments objectifs constitutifs d’une violation de domicile mais, son comportement relevant d’une activité directe juxtaposée, elle n’a pas participé à l’infraction des occupants. Partant, A ne pouvant se voir imputer les agissements des squatteurs, notre Haute Cour nie l’existence d’une plainte pénale à son encontre. En outre, les juges fédéraux laissent ouverte la question de savoir si les participants visés par la plainte pénale contre inconnus pour violation de domicile peuvent réaliser l’infraction en adoptant un comportement autre que celui de squatter. Le recours est admis (c. 1.4).
À notre sens, la solution retenue par le Tribunal fédéral est convaincante. En effet, bien que la coactivité successive soit concevable, en entrant dans la demeure afin de rédiger un article sur les faits, la journaliste ne se joint pas au plan commun des occupants, ce qui exclut sa qualité de coauteure. Elle commet une violation de domicile avec une intention indépendante et son comportement relève donc de l’activité directe juxtaposée (Nebentäterschaft). Le raisonnement de notre Haute Cour met ainsi en évidence la distinction entre cette forme d’activité directe et la coactivité. Selon la doctrine, si la coactivité ne se conçoit pas qu’entre individus entretenant une quelconque relation, les coauteurs doivent néanmoins savoir que leurs agissements s’inscrivent dans un partage efficient des tâches (Kurt Seelmann/Christopher Geth, Strafrecht Allgemeiner Teil, 6e éd., Bâle 2016, N 416 ; CR CP I-Sträuli, Intro aux art. 24 à 27 N 87). En ce sens, la coactivité diffère de l’activité directe juxtaposée qui vise la réalisation simultanée des éléments objectifs constitutifs d’une infraction par plusieurs personnes, chacune agissant indépendamment de l’autre et en l’absence de plan commun (CR CP I-Sträuli, Intro aux art. 24 à 27 N 30). Dans ce cas de figure, faute d’entente entre les auteurs, les agissements de l’un ne sont pas imputés à l’autre (Günter Stratenwerth, Allgemeiner Teil I : Die Straftat, 4e éd., Berne 2011, § 13N 67 ; CR CP I-Sträuli, Intro aux art. 24 à 27 N 31).