I. En fait
En septembre 2022, A a déposé une plainte pénale à l’encontre de B, son ancienne compagne, pour plusieurs infractions, dont l’interruption de grossesse punissable. Seule cette dernière infraction sera traitée dans la présente contribution.
Le 12 avril 2023, A s’est constitué partie plaignante au pénal et au civil. Après avoir mené l’instruction, le Ministère public du canton de Fribourg a classé la procédure et renvoyé la partie plaignante à agir par la voie civile. Dans un jugement du 29 novembre 2023, le Tribunal cantonal de Fribourg a refusé d’entrer en matière sur le recours de A en ce qui concerne le classement de la procédure pour l’infraction d’interruption de grossesse punissable.
A forme un recours en matière pénale à l’encontre de ce jugement, concluant à son annulation et à la reprise de la procédure pénale par le Ministère public.
II. En droit
Le Tribunal fédéral rappelle que la partie plaignante n’est habilitée à recourir en matière pénale que si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles (art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF). Lorsque le recours est dirigé contre le classement d’une procédure, le plaignant devrait donc exposer dans son mémoire pour quelle raison la décision attaquée peut avoir une incidence sur ses créances civiles, à moins que l’on puisse le déduire directement et sans ambiguïté de la nature de l’infraction alléguée (cf. not. ATF 141 IV 1, c. 1.1) (c. 2.1). En ce qui concerne l’infraction d’interruption de grossesse punissable, A peut toutefois se référer à la pratique dite « Star-Praxis » et se plaindre d’une violation de ses droits de partie équivalent à un déni de justice formel, sans toutefois pouvoir faire valoir par ce biais, même de manière indirecte, des moyens qui ne peuvent pas être séparés de l’examen du fond (ATF 146 IV 76, c. 2 ; 141 IV 1, c. 1.1 et références citées) (c. 2.3).
A reproche à l’instance précédente de lui avoir refusé, à tort, la qualité pour recourir contre le classement de la procédure ouverte pour interruption de grossesse punissable. Selon lui, en tant que père du « fœtus tué », il doit être considéré comme une « victime » au sens de l’art. 115 CPP et comme un proche de la victime au sens de l’art. 116 al. 2 CPP (c. 3.1).
Les Juges de Mon-Repos commencent par souligner l’enjeu : les lésés ou les personnes proches de la victime peuvent, en tant que partie plaignante, faire valoir des prétentions civiles découlant de l’infraction par adhésion à la procédure pénale (art. 122 al. 1 et 2 CPP) (c. 3.2). Le lésé au sens de l’art. 115 CPP est celui dont les droits ont été directement touchés par une infraction, c’est-à-dire le titulaire du bien juridiquement protégé par la norme pénale (ATF 145 IV 433, c. 3.6 ; 143 IV 77, c. 2.1 s.). Le titulaire d’un bien juridique peut être une personne physique ou morale (BSK StPO I-Dolge, art. 122 N 53). Le Tribunal fédéral évoque ensuite la teneur de l’art. 116 al. 1 CPP, précisant que les personnes mentionnées à l’art. 116 al. 2 CPP sont des « proches » de la victime et ont les mêmes droits qu’elle lorsqu’ils se portent partie civile contre un prévenu en vertu de l’art. 117 al. 3 CPP (c. 3.2).
Dans la présente affaire, la mère avait avorté durant la 15e ou 16e semaine de grossesse en raison du danger confirmé par les médecins d’un état de détresse profonde de la femme enceinte (c. 3.3.1). Selon l’art. 118 al. 3 CP, la femme qui interrompt sa grossesse, la fait interrompre ou participe à l’interruption d’une quelconque façon après la douzième semaine suivant le début des dernières règles, sans que les conditions fixées à l’art. 119, al. 1, soient remplies, est punie d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. L’interruption de grossesse n’est pas punissable au sens de l’art. 119 al. 1 CP, notamment si un avis médical démontre qu’elle est nécessaire pour écarter le danger d’un état de détresse profonde de la femme enceinte. Pour admettre la qualité de lésé de A, il faudrait donc qu’il soit le détenteur du bien juridiquement protégé par cette disposition. Or, selon notre Haute Cour, cette norme pénale protège la vie humaine durant la grossesse, ce qui inclut en principe tous les embryons et fœtus jusqu’à ce qu’ils deviennent des êtres humains, même s’ils ne sont pas viables (cf. not. : BSK StGB II-Schwarzenegger/Heimgartner, intro. art. 118 N 1 ; CR CP II-Queloz/Munyankindi, intro. aux art. 118-120 N 7) (c. 3.3.2).
Dès lors qu’il appartient à l’ordre juridique de déterminer qui est une personne, le Tribunal fédéral se réfère ensuite au droit civil. La personnalité commence avec la naissance accomplie de l’enfant vivant ; elle finit par la mort (art. 31 al. 1 CC). Avant la naissance, l’enfant ne jouit des droits civils qu’à la condition qu’il naisse vivant (art. 31 al. 2 CC) (c. 3.3.3). Les Juges fédéraux en concluent que la vie en devenir protégée par l’art. 118 al. 3 CP n’a pas une personnalité juridique propre au sens du droit actuellement en vigueur. En cas d’interruption de grossesse, la vie à naître n’a jamais pu acquérir une telle personnalité et n’est donc ni une personne lésée au sens de l’art. 115 al. 1 CPP, ni une victime au sens de l’art. 116 al. 1 CPP (c. 3.3.4).
Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral rejette le recours de A, considérant qu’il n’est pas le titulaire du bien juridiquement protégé et n’est pas non plus un proche de la victime au sens légal du terme, puisque la vie à naître n’a pas la qualité de victime. L’absence de qualité pour recourir du père est ainsi confirmée (c. 3.4).