La procédure disciplinaire pénitentiaire vaudoise viole la garantie de l’accès à une autorité judiciaire (art. 29a Cst.)

La procédure en matière de sanctions disciplinaires prévue par la loi sur l’exécution des condamnations pénales limite le pouvoir d’examen de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud de manière contraire à l'art. 29a Cst. Le détenu sanctionné disciplinairement doit pouvoir faire juger sa cause par une autorité judiciaire dotée d’une pleine cognition avant la saisine du Tribunal fédéral.

I. En fait

A, détenu aux Établissements de la Plaine de l’Orbe (EPO) depuis le 22 décembre 2016, refuse de se soumettre au dépistage de masse du Covid-19 effectué sur l’ensemble des détenus le 8 décembre 2020. Le lendemain, la direction des EPO ouvre une procédure disciplinaire à son encontre. A est alors enfermé dans sa cellule pendant 6 jours. Lors de son audition du 22 décembre, A soutient qu’il n’accepte pas de subir un test invasif sur sa personne. Il est en revanche d’accord de procéder à un test salivaire.

Par décision disciplinaire du 23 décembre 2020, A est condamné à six jours de consignation en cellule. Le 28 décembre 2020, il forme recours contre sa sanction disciplinaire auprès du Service pénitentiaire du canton de Vaud (SPEN). Par décision du 29 avril 2021, la Cheffe du SPEN rejette son recours. A interjette alors recours à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois (CREP). Par arrêt du 19 mai 2021, la CREP déclare le recours de A irrecevable.

A, non assisté, saisit le Tribunal fédéral d’un recours en matière pénale. Il conclut en substance à l’annulation de la décision attaquée et de la sanction disciplinaire, ainsi qu’à l’octroi d’une indemnité pour tort moral d’un montant de CHF 5’000.-. 

II. En droit

Le Tribunal fédéral traite d’abord d’un certain nombre de griefs du recourant relatifs à la désignation d’un avocat (art. 41 al. 1 LTF), à une demande de restitution de délai (art. 50 LTF) et à l’octroi de l’effet suspensif (art. 103 LTF). Il parvient notamment à la conclusion que A, non assisté, malgré le dépôt d’un mémoire de recours prolixe de 59 pages, souvent répétitif et parfois difficilement compréhensible, ne semble pas pour autant « incapable de procéder » lui-même. La demande de restitution de délai est au surplus mal fondée, tandis que l’effet suspensif ne peut être accordé, vu la sanction disciplinaire déjà exécutée et sa sortie de prison intervenue le 21 juillet 2021 (c. 1 à 3). 

Le recours en matière pénale de A est au surplus ouvert, cette voie étant ouverte contre les décisions rendues dans le domaine de l’exécution des peines et des mesures (cf. art. 78 al. 2 let. b LTF) (c. 4). 

Se pose toutefois la question de la qualité pour recourir de A, sous l’angle de son intérêt juridique, actuel et pratique à l’annulation ou la modification de la décision attaquée. Cet intérêt doit exister tant au moment du dépôt du recours qu’à celui où l’arrêt est rendu, afin d’éviter que le Tribunal fédéral se prononce sur des questions théoriques (art. 81 al. 1 LTF ; ATF 142 I 135, c. 1.3.1 ; ATF 140 IV 74, c. 1.3.1 ; ATF 136 I 274, c. 1.3). Notre Haute Cour rappelle cependant qu’il n’est renoncé à cette exigence que si la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, si sa nature ne permet pas de la soumettre à une autorité judiciaire avant qu’elle ne perde son actualité et s’il existe un intérêt public suffisamment important à la solution des questions litigieuses en raison de leur portée de principe (ATF 142 I 135, c. 1.3.1 ; ATF 139 I 206 c. 1.1). En outre, dans des circonstances particulières, le Tribunal fédéral entre aussi en matière, en dépit de la disparition d’un intérêt actuel, sur le recours d’une personne qui formule de manière défendable un grief de violation manifeste de la CEDH (ATF 142 I 135 c. 1.3.1) (c. 4.1).

En l’espèce, la CREP a déclaré irrecevable le recours de A, faute d’intérêt juridique actuel et pratique. Ce nonobstant, elle s’est toutefois prononcée partiellement sur le fond, dans l’hypothèse où A aurait encore disposé d’un tel intérêt. En cela, A dispose dès lors d’un intérêt juridique à se plaindre de l’irrecevabilité de son recours cantonal, étant toutefois relevé, vu le traitement partiel par la CREP de ses griefs au fond, que A se doit de contester cette double motivation (ATF 142 III 364, c. 2.4 ; ATF 138 I 97, c. 4.1.4) (c. 4.2). 

A se plaignant d’une violation de l’art. 5 CEDH, il dispose en conséquence de la qualité pour recourir. Sur ce point, les Juges fédéraux rappellent que l’autorité cantonale, lorsqu’elle détermine la recevabilité d’un recours déposé devant elle, doit imaginer de quelle manière le Tribunal fédéral aurait résolu cette question (ATF 137 I 296, c. 4 et 5). La CREP aurait dû arriver à la même conclusion et entrer en matière (c. 4.4). Au surplus, vu le refus de la CREP de lui accorder l’assistance judiciaire, il dispose également sous cet angle également de la qualité pour recourir (c. 4.5). 

Après avoir fait le tri des nombreux griefs du recourant, le Tribunal fédéral retient que seule la violation du droit à être jugé dans le cadre d’une procédure judiciaire sera traitée (c. 5).

Fondées sur l’art. 439 al. 1 CPP, les dispositions cantonales vaudoises de procédure d’exécution des peines et des mesures sont essentiellement contenues dans la Loi du 4 juillet 2006 sur l’exécution des condamnations pénales (LEP ; BLV 340.01), complétée par le Règlement du 16 août 2017 sur le statut des personnes condamnées exécutant une peine privative de liberté ou une mesure (RSPC ; BLV 340.01.1). Les dispositions disciplinaires sont quant à elles prévues dans le Règlement du 30 octobre 2019 sur le droit disciplinaire applicable aux personnes détenues avant jugement et condamnées (RDD ; BLV 340.07.1). Les sanctions disciplinaires sont prononcées par le directeur de l’établissement (art. 11 al. et 3 RDD) et peuvent faire l’objet d’un recours au SPEN (art. 34 LEP). Pour le surplus, la Loi vaudoise du 28 octobre 2008 sur la procédure administrative (LPA-VD; BLV 173.36) est applicable (art. 20 al. 1 RDD). L’art. 38 al. 1 et 2 LEP précise enfin que la décision sur recours du SPEN peut faire l’objet d’un recours à la CREP, en application des art. 393 ss CPP. Son pouvoir est toutefois limité aux motifs fixés aux art. 95 et 97 LTF (art. 38 al. 3 LEP). Ainsi, devant la CREP, le droit cantonal ne peut être attaqué que sous l’angle des droits constitutionnels cantonaux ou de l’arbitraire (art. 9 Cst), en tant que violation du droit fédéral (art. 95 let. a et c LTF) (c. 6.2). 

En application de ces dispositions, la sanction disciplinaire pénitentiaire est prononcée par le directeur de la prison. Elle peut être contestée devant le SPEN, et ensuite seulement sur recours au sens des art. 393 ss CPP devant la CREP, autorité judiciaire, mais sans que cette dernière ne dispose d’un plein pouvoir d’examen (art. 38 al. 3 LEP cum art. 95 et 97 LTF). Par conséquent, le détenu sanctionné ne dispose pas d’un accès au juge conforme à l’art. 29a Cst. En l’espèce, la CREP a effectivement limité son pouvoir d’examen, si bien que A n’a pas pu avoir accès à un juge au sens de la Constitution fédérale avant de saisir le Tribunal fédéral (c. 6.3). 

Finalement, entre autres griefs formels, A se plaint d’une violation de son droit d’être entendu. Il reproche à la direction des EPO de ne pas l’avoir entendu avant d’exécuter sa consignation de six jours en cellule. Quand bien même il a été entendu le 22 décembre 2020 par la direction et a encore pu se déterminer par écrit le 19 février 2021, le Tribunal fédéral relève que la sanction a été exécutée avant le 22 décembre 2020, soit avant son audition, point sur lequel la CREP ne s’est pas prononcée compte tenu de la limitation de son pouvoir d’examen. Notre Haute Cour appelle en conséquence la CREP à se saisir de ce grief dans le cadre de sa décision de renvoi et déterminer si la procédure suivie en l’espèce a bien respecté le droit cantonal (c. 7.4). 

Le Tribunal fédéral admet le recours, annule l’arrêt de l’instance inférieure et renvoie la cause pour nouvelle décision dans les sens de ses considérants (c. 9).

III. Commentaire

Cet arrêt rappelle que le Tribunal fédéral, en tant qu’autorité judiciaire suprême suisse, peut également fonctionner comme « Cour constitutionnelle » sous l’angle du contrôle du droit cantonal et de sa conformité avec le droit supérieur. 

Il est particulièrement intéressant de relever que notre Haute Cour ne s’est pas limitée à constater le non-respect de l’art. 29a Cst. au regard de la teneur des dispositions de la LEP et du RDD, mais a au contraire examiné si, en l’espèce, la CREP avait effectivement limité son pouvoir d’examen dans le traitement du recours interjeté par A. 

Le Tribunal fédéral profite également de rappeler que l’autorité cantonale de dernière instance déclare irrecevable un recours tout en se prononçant sur les griefs de fond élevés par le recourant oblige ce dernier à motiver son recours sur ces deux aspects, sous peine que celui-ci soit jugé mal fondé. 

On peut enfin s’étonner de la mise en œuvre d’une sanction disciplinaire avant même l’audition du détenu et le prononcé d’une décision formelle. Sur ce point, il sera particulièrement intéressant de suivre la conclusion à laquelle parviendra la CREP dans son arrêt de renvoi. 

Proposition de citation : Ryan Gauderon, La procédure disciplinaire pénitentiaire vaudoise viole la garantie de l’accès à une autorité judiciaire (art. 29a Cst.), in : https://www.crimen.ch/116/ du 24 juin 2022