La Fondation A dépose une plainte pénale contre son ancien secrétaire général, à la suite de laquelle le Ministère public du canton de Vaud ouvre une instruction pénale pour gestion déloyale, faux dans les titres et gestion déloyale des intérêts publics. Par la suite, la Fondation transfère l’intégralité de ses actifs et passifs à la société A SA par transfert de patrimoine au sens des art. 69 ss Loi sur la fusion (LFus). Après avoir interpellé les parties, le Ministère public vaudois dénie la qualité de partie plaignante à A SA, ce que confirme la Chambre des recours pénale cantonale. A SA recourt au Tribunal fédéral (TF) et conclut à ce que la qualité de partie plaignante lui soit reconnue au pénal et au civil.
Le TF rappelle qu’en principe ne peuvent se constituer partie plaignante que les lésés directs, soit les personnes directement touchées par l’infraction au sens de l’art. 115 CPP. La personne directement touchée par l’infraction est le titulaire du bien juridique protégé par la norme pénale qui subit une atteinte en rapport de causalité directe avec l’infraction. Ainsi, notamment, lorsqu’une infraction touche le patrimoine d’une personne morale, celle-ci est seule considérée comme lésée, à l’exclusion, par exemple, des actionnaires d’une société anonyme ou des ayants droit économiques ou des créanciers de la société. Les successeurs d’une personne physique ou morale lésée ne sont, quant à eux, que des lésés indirects qui ne peuvent en principe pas se constituer partie plaignante, sous réserve des exceptions prévues à l’art. 121 CPP (c. 2.1).
Le TF décide que la recourante ne peut pas être considérée comme une lésée directe qui aurait la qualité originaire de partie. Elle n’a pas été touchée directement par les infractions en cause puisque, au moment des faits, elle n’était pas titulaire du bien juridique protégé par la norme pénale enfreinte. Au contraire, son intérêt dans la cause résulte uniquement de l’acquisition de l’intégralité du patrimoine de la fondation transférante (c. 2.2).
Se pose alors la question de savoir si la société reprenante pourrait se voir accorder la qualité de partie plaignante en application de l’art. 121 al. 2 CPP. D’après cette disposition, la personne qui est subrogée de par la loi aux droits du lésé n’est habilitée qu’à introduire une action civile et ne peut se prévaloir que des droits de procédure qui se rapportent directement aux conclusions civiles (c. 2.3).
Reprenant sa jurisprudence de principe en la matière (ATF 140 IV 162 et TF 6B_549/2013 du 22.12.2017 en particulier), le TF souligne que cette hypothèse couvre uniquement les cas de subrogation légale. Cela inclut les cas de subrogation relevant du droit des assurances (art. 72 al. 1 LPGA), ou encore ceux découlant de l’art. 7 LAVI, soit lorsqu’un canton a versé des indemnités à la victime. Sont en tous les cas exclus les transferts volontaires au sens des art. 164 ss CO. S’étant prononcé sur l’application de cette disposition à la suite d’une fusion, le TF a décidé que, même si la transmission concerne l’ensemble du patrimoine lésé et constitue une succession universelle, l’accord sous-jacent sur lequel se fonde cette opération lui confère un caractère volontaire qui exclut l’application de l’art. 121 al. 2 CPP (TF 6B_549/2013 du 24.2.2014, c. 3.2.2). Bien que la question soit débattue en doctrine, un changement de jurisprudence ne se justifie pas, le TF s’étant attelé à une analyse approfondie de la disposition dans l’ATF 140 IV 162 (c. 2.4 s.)
Au surplus, l’opération du cas d’espèce étant un simple transfert de patrimoine au sens des art. 69 ss LFus, soit une succession universelle partielle des actifs et passifs désignés par les parties, elle revêt un caractère d’autant plus volontaire qu’elles en ont déterminé l’étendue (c. 2.5). Le recours est donc rejeté (c. 3).
Les critiques émises par la doctrine à l’encontre de l’interprétation restrictive du Tribunal fédéral résident essentiellement dans le fait qu’elle n’est dictée par aucun besoin de la pratique et qu’elle empêche une entité qui a acquis les prétentions civiles découlant de l’infraction de les faire valoir dans le cadre du procès pénal par l’action civile adhésive (Andrew M. Garbarski, Le lésé et la partie plaignante dans la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, SJ II 2017, 125 ss, 138). Certains auteurs estiment également qu’il convient de distinguer les cas de fusion (art. 3 LFus) et de division (art. 29 let. a LFus) du transfert de patrimoine (art. 69 ss LFus) et de la séparation (art. 29 let. b LFus). En effet, puisqu’à la suite d’une fusion ou d’une division, l’entité transférante est dissoute, radiée du registre du commerce et qu’elle perd sa personnalité juridique, la transmission des droits au sens de l’art. 121 CPP se justifie. En revanche, l’entité transférante continuant d’exister après un transfert de patrimoine ou une séparation, elle conserve sa qualité de lésé originaire et il n’y a donc pas lieu de transmettre les droits en application de l’art. 121 CPP (BSK StPO-Mazzucchelli/Postizzi, Art. 121 N 15 s.).
Ainsi, l’on peut se demander si, en présence d’une succession universelle – partielle ou non – du patrimoine d’une personne morale qui entraîne un transfert de par la loi de l’ensemble des actifs et passifs (voir notamment art. 22 al. 1 LFus), le critère déterminant pour l’application de l’art. 121 al. 2 CPP ne devrait pas résider dans la disparition du lésé originaire. L’application de cette disposition à cette configuration particulière permettrait à l’entité reprenante, qui se substitue de facto à la société originairement lésée, de conserver les avantages de l’action civile adhésive – étant précisé que l’art. 121 al. 2 CPP limite la transmission des droits à ceux qui se rapportent aux conclusions civiles –, sans toutefois élargir de manière excessive le cercle des personnes pouvant se constituer partie plaignante.