Il est reproché à A (prévenu/recourant) d’avoir heurté avec sa voiture la porte du véhicule de B, garé sur le côté droit de la route. Le rétroviseur extérieur du véhicule de B a été arraché. Le prévenu a poursuivi sa route et a quitté le lieu de l’accident. Le ministère public a rendu une ordonnance pénale à l’encontre du prévenu pour entrave aux mesures de constatation de l’incapacité de conduire. L’appréciation du ministère public a été confirmée par le tribunal de première instance. Le prévenu a été condamné à une amende de 20 jours-amendes à CHF 100.-. L’autorité d’appel a confirmé ce jugement.
Le prévenu forme un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral. Il demande l’annulation du jugement de l’autorité d’appel et le renvoi de la cause à l’autorité inférieure. À titre subsidiaire, le prévenu requiert l’acquittement. Il fait valoir l’inexploitabilité des déclarations faites par D, entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements (PADR), lors d’une audition du 21 janvier 2016, le prévenu n’ayant pas participé à cette audition et n’ayant pas pu se prononcer à ce propos par la suite.
A cette occasion, le PADR avait notamment déclaré que c’était bien le prévenu qui était au volant du véhicule au moment des faits reprochés. L’audience de confrontation, au cours de laquelle le prévenu et le PADR ont participé, n’a eu lieu que le 6 décembre 2018. Cependant, à cette occasion, le PADR n’a pas réitéré ses déclarations du 21 janvier 2016. Il a fait valoir des trous de mémoire et a exercé son droit de refuser de témoigner, répondant par exemple « rien, rien ». Le PADR n’a ainsi ni confirmé ses premières déclarations, ni fait d’autres commentaires substantiels à ce sujet.
La défense soutient que, dans ces circonstances, les autorités pénales ne sont pas autorisées à se référer aux résultats des auditions menées avant l’ouverture d’une instruction. L’instance inférieure aurait ainsi violé le droit fédéral (art. 147 al. 4 CPP ; art. 6 par. 3 let. d CEDH) en utilisant les déclarations faites par le PADR lors de l’audition de police pour déclarer le recourant coupable. L’autorité inférieure estime quant à elle que les premières déclarations du 21 janvier 2016 sont exploitables. Même si le rapport d’enquête n’a été transmis au Ministère public que le 8 février 2016, les preuves recueillies par le Ministère public avant l’ouverture de l’instruction seraient recevables dès lors que le droit à une audition de confrontation en présence du prévenu a été respecté plus tard dans la procédure.
Le Tribunal fédéral entre en matière. En lien avec l’art. 147 CPP et se référant à la jurisprudence rendue en la matière (en particulier ATF 143 IV 397, c. 3.3.1 et 3.3.2) , il expose les principes relatifs à l’exploitabilité des déclarations recueillies lors d’auditions menées par la police.
Selon l’art. 147 al. 1 CPP, les parties ont le droit d’assister à l’administration des preuves par le ministère public et les tribunaux et de poser des questions aux comparants. Ce droit spécifique d’assister et de participer découle du droit d’être entendu (art. 107 al. 1 let. b CPP) et il ne peut être restreint que dans les cas prévus par la loi (art. 101 al. 1, art. 108, art. 146 al. 4 et art. 149 al. 2 let. b CPP).
Lors de la collecte de preuves par la police avant l’ouverture d’une instruction par le ministère public, par exemple dans le cas d’une audition menée selon l’art. 306 al. 2 lit. b CPP, les parties n’ont pas de droit à y participer (art. 147 al. 1 CPP a contrario). En revanche, lorsque le ministère public charge la police d’effectuer des interrogatoires après l’ouverture d’une instruction, les participants à la procédure jouissent des droits accordés dans le cadre des auditions effectuées par le ministère public, notamment celui d’être présent et de poser des questions (art. 312 al. 2 CPP).
L’interrogatoire mené sans la participation du prévenu peut être répété. Toutefois, dans ce cas ou si une audition de confrontation est menée ultérieurement, l’autorité pénale ne peut pas simplement se référer aux résultats des auditions précédentes si elles font l’objet d’une interdiction d’utilisation. En effet, le droit du prévenu de poser des questions aux témoins, tel que garanti par l’art. 6 par. 3 let. d CEDH, est un aspect spécifique du droit à un procès équitable (art. 32 al. 2 Cst.). Ce droit est également une concrétisation du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.). Une déclaration à charge de témoin n’est en principe exploitable que si le prévenu a eu la possibilité, au moins une fois au cours de la procédure, de mettre en doute le témoignage en question et de poser des questions au témoin. Il doit pouvoir contester la crédibilité et la valeur probante d’une déclaration de manière contradictoire. Cela s’applique également aux déclarations faites par le PADR. A défaut, les droits de la défense ne sont pas respectés.
En règle générale, la personne interrogée s’exprime (une nouvelle fois) sur la question en présence du prévenu. La question de savoir si, en cas de déclarations contradictoires ou de trous de mémoire ultérieurs, on peut se fier aux premières déclarations faites en l’absence du prévenu ne concerne pas l’exploitabilité des preuves mais plutôt l’appréciation des preuves. En revanche, si la répétition de l’interrogatoire se limite essentiellement à une confirmation formelle des déclarations antérieures, le prévenu est empêché d’exercer ses droits de défense de manière effective (cf. not. TF 6B_1003/2020 du 21.4.2021, c. 2.2 et les références citées). Dans le même sens, il faut présumer que, si la personne interrogée (qui fournit des informations pour l’enquête) refuse de témoigner lors d’un interrogatoire de confrontation ultérieur, le premier interrogatoire est inexploitable.
En l’espèce, le Tribunal fédéral retient que le recourant n’a pas pu exercer efficacement ses droits de défense dès lors que le PADR n’a aucunement réitéré ou complété ses premières déclarations lors de la confrontation ultérieure. Dans ces circonstances, le prévenu a été privé de la possibilité de contester la valeur probante des premières déclarations faites sans sa participation. L’art. 6 par. 3 let. d CEDH a été violé.
Ainsi, le recours est fondé. Cependant, bien que le Tribunal fédéral admet le recours, il ne retient pas que l’audition du 21 janvier 2016 du PADR serait inexploitable. Les juges fédéraux renvoient l’affaire à la juridiction inférieure pour qu’elle procède à une nouvelle appréciation des preuves.
Cet arrêt nous rappelle l’importance de l’exercice effectif des droits de la défense. Dans une affaire jugée par le Tribunal fédéral le 18 décembre 2019 (TF 6B_1133/2019), le recours du prévenu, qui présentait notamment une problématique similaire, avait pourtant été rejeté. Les juges fédéraux avaient retenu que le recourant n’avait pas saisi la possibilité d’exercer ses droits alors qu’il en avait eu la possibilité en cours de procédure. En l’espèce, c’est le mutisme du PADR qui a empêché le prévenu d’exercer ses droits de manière effective. Par conséquent, les autorités pénales se sont basées, à tort, sur les premières déclarations du PADR. Au vu de la violation de l’art. 6 par. 3 let. d CEDH constatée par le Tribunal fédéral, la conséquence procédurale du renvoi à l’autorité inférieure pour une nouvelle appréciation des preuves – au lieu de l’inexploitabilité – n’est pas évidente. Du moins, quelques explications sur ce point auraient été bienvenues.