Un délai d’attente de presque un an entre la mise en accusation et les débats de première instance viole le principe de célérité

Dans le cadre d’une affaire sans complexité particulière dans laquelle un prévenu est détenu, un délai de presque une année entre la mise en accusation et les débats de première instance viole le principe de célérité (art. 5 CPP). Lorsqu’une date d’audience a été fixée et qu’il est prévisible que cela entraîne un retard injustifié de la procédure, l’autorité de contrôle de la détention (« Haftgericht »), saisie suite à une demande de mise en liberté présentée par le détenu, ne peut pas se contenter de seulement constater qu'aucune violation du principe de célérité n'est encore intervenue au moment où elle prend sa décision.

I. En fait

Une procédure pénale est ouverte à l’encontre de A, soupçonné d’avoir commis à plusieurs reprises des faits constitutifs de viol (art. 190 CP), d’acte d’ordre sexuel avec un enfant (art. 187 CP) et de pornographie (art. 197 CP). Il est arrêté le 22 juin 2020 et placé en détention provisoire. Le 11 juin 2021, le ministère public dépose son acte d’accusation auprès du Tribunal d’arrondissement de Winterthour (ci-après : Tribunal d’arrondissement). Quelques jours plus tard, A, en détention pour des motifs de sûreté, formule une première demande de mise en liberté, laquelle est rejetée tant par les instances cantonales que par le Tribunal fédéral (TF 1B_482/2021 du 1.10.2021). Notre Haute Cour constate toutefois dans son jugement que, dans l’hypothèse où le Tribunal d’arrondissement ne tiendrait pas d’audience de jugement d’ici la fin de l’année 2021), le principe de célérité serait alors violé. Le 22 octobre 2021, A requiert à nouveau sa remise en liberté, demande encore une fois rejetée tant par le tribunal des mesures de contrainte que, sur recours, par le Tribunal supérieur zurichois. Il porte alors sa cause devant le Tribunal fédéral.

II. En droit

Dans ses écritures, A fait valoir une violation du principe de célérité. Il relève que, malgré le récent arrêt du Tribunal fédéral (TF 1B_482/2021 du 1.10.2021) et sa demande de fixer les débats de première instance au plus tard le 11 décembre 2021, l’audience de jugement est prévue pour la mi-mai 2022 (c. 2 et 3.1).

Rappelant qu’aux termes de l’art. 29 al. 1 Cst., toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable, le TF précise que, lorsqu’un prévenu se trouve en détention, le principe de célérité revêt une importance particulière (art. 31 al. 3 et 4 Cst., art. 5 par. 3 et 4 CEDH, ainsi que art. 5 al. 2 CPP). Toutefois, seule une violation particulièrement grave dudit principe, propre à remettre en cause la légalité de la détention provisoire, conduit à la libération du détenu. Une telle condition est réalisée lorsque «[l]e retard est particulièrement important et que les autorités pénales laissent apparaître, par exemple en fixant des délais trop longs pour les actes d’enquête restant à accomplir, qu’elles ne sont plus décidées ou plus à même de faire avancer la procédure et de la mener à terme avec la célérité qui est requise lorsque la détention provisoire a été ordonnée » (ATF 140 IV 74, c. 3.2, JdT 2014 IV 289 que nous citons ici). Lorsque la violation n’atteint pas le seuil de gravité requis pour la libération, il peut dans certaines circonstances être indiqué d’inciter l’autorité compétente à poursuivre la procédure avec une diligence particulière et, le cas échéant, de ne confirmer la détention le maintien en détention qu’à condition de respecter certains délais. La reconnaissance de la violation du principe de célérité doit figurer dans le dispositif du jugement et doit être prise en compte lors de la détermination des frais de procédure et de l’indemnité. Il revient ensuite au juge du fond de procéder à l’appréciation d’ensemble du caractère raisonnable de la procédure et de tenir compte d’une éventuelle violation du principe de célérité par exemple dans le cadre de la fixation de la peine (c. 3.2). 

En l’espèce, le Tribunal supérieur zurichois a admis qu’au moment où se tiendra l’audience de jugement le principe de célérité aura été violé compte tenu du retard « anticipé » considérable de la procédure. La violation n’est cependant pas assez grave selon lui pour justifier une mise en liberté immédiate. Pour arriver à cette conclusion, il a entre autres pris en considération le rôle que le recourant est soupçonné d’avoir joué dans la commission des infractions, ainsi que la volonté du tribunal de fond de coordonner les procédures contre les sept prévenus (dont quatre seront jugés par le tribunal des mineurs) et de siéger dans la même composition afin notamment d’éviter à la partie plaignante – compte tenu de son jeune âge – de devoir subir plusieurs auditions (c. 3.3).

Se penchant sur la motivation du Tribunal supérieur zurichois, le TF rappelle qu’en matière de détention le principe de célérité est violé lorsque, dans le cadre d’une affaire peu complexe ou qui ne soulève aucune difficulté particulière, plus de six mois se sont écoulés entre la mise en accusation et les débats de première instance (TF 1B_330/2015 du 15.10.2015, c. 4.4.6) (c. 3.4).  

Dans le cas d’espèce, lorsque le TF a rendu sa première décision (TF 1B_482/2021 du 1.10.2021) l’audience de jugement de première instance n’avait pas encore été fixée, mais le Tribunal d’arrondissement avait laissé entendre qu’elle ne pourrait vraisemblablement pas se tenir avant la fin de l’année 2021. Notre Haute Cour avait toutefois constaté que l’affaire en cause ne présentait pas de difficulté particulière aussi bien sur les aspects factuels que juridiques. Le fait que plusieurs procédures étaient menées en parallèle contre des co-accusés ne devait pas retarder le cas du recourant dès lors que sa cause semblait être en état d’être jugée. Le TF était ainsi arrivé à la conclusion que dans l’hypothèse où l’audience de jugement se tiendrait en 2022, le principe de célérité serait violé (c. 3.5).

Notre Haute Cour souligne également que lorsqu’une date d’audience a été fixée et qu’il est prévisible que cela entraîne un retard injustifié de la procédure, l’autorité de contrôle de la détention ne peut pas se contenter de constater qu’au moment où elle prend sa décision le principe de célérité n’a pas encore été violé. Dans un tel cas, le droit à la liberté personnelle lui impose d’intervenir à temps afin d’éviter de retarder davantage la procédure, même si l’audience est imminente (cf. TF 1B_330/2015 du 15.10.2015, c. 4.4.6). En l’espèce, il ressort de l’évaluation du tribunal des mesures de contrainte et le Tribunal supérieur zurichois que l’audience de jugement n’aurait pas lieu en 2021 mais à la mi-mai 2022. Bien qu’il existe d’autres prévenus qui font l’objet de procédures séparées devant être coordonnées, le Tribunal fédéral rappelle qu’il a déjà pris ce fait en compte dans son précédent arrêt et qu’il était arrivé à la conclusion que cela ne pouvait justifier un retard notable (c. 3.6).

Au vu de ce qui précède, notre Haute Cour admet ainsi la violation du principe de célérité. Afin d’éviter que la violation ne s’aggrave encore, elle exige du tribunal d’arrondissement qu’il tienne les débats de première instance avant la fin du mois de février 2022. Si lesdits débats venaient à être maintenus à la mi-mai 2022, alors la violation deviendrait assez grave pour justifier la libération de A (c. 3.7). Le recours est par conséquent partiellement admis (c. 4).

III. Commentaire

Cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne des décisions précédemment rendues par le Tribunal fédéral en matière de violation du principe de célérité. Plus étonnante est toutefois la persistance des autorités judiciaires zurichoises qui, malgré un premier avertissement de notre Haute Cour et pour des motifs déjà écartés par cette dernière, s’obstinent à maintenir l’audience de jugement à la mi-mai 2022 bien qu’en résulte une violation du principe de célérité. 

Ceci relevé, profitons de l’occasion pour procéder à un bref rappel en matière de violation du principe de célérité, en particulier concernant l’écoulement du temps entre la mise en accusation et l’audience de jugement de première instance :

  • Afin de se conformer aux exigences des art. 5 par. 3 CEDH10 Cst. et 5 CPP  seules quelques semaines, voire quelques mois doivent en principe séparer la clôture de l’instruction des débats de première instance (TF 1B_684/2011 du 21.12.2011, c. 3.1). Dans des cas particulièrement complexes qui impliquent différents prévenus et qui nécessitent « une préparation méticuleuse des débats et de nombreux actes d’instruction », un délai de plusieurs mois est tolérable (TF 1B_419/2011 du 13.9.2011, c. 2.1, ainsi que les exemples cités, soit six mois dans le cadre d’une affaire de criminalité économique à grande échelle [TF 1B_295/2007 du 22.1.2008, c. 2.3] et huit mois et demi pour une affaire dont l’ampleur était exceptionnelle, notamment à cause des mesures de sécurité importantes mises en place pour la tenue des débats [TF 1B_95/2008 du 14.5.2008, c. 5.4, confirmé par l’arrêt CourEDH Shabani c. Suisse du 5.11.2009, § 68]) ;
  • Le justiciable doit entreprendre ce qui est en son pouvoir, notamment en invitant l’autorité à faire accélérer la procédure ou en recourant pour retard injustifié afin que l’autorité fasse diligence (TF 6B_640/2012 du 10.5.2013, c. 4.1 et réf. citées).

Proposition de citation : Laura Ces, Un délai d’attente de presque un an entre la mise en accusation et les débats de première instance viole le principe de célérité, in : https://www.crimen.ch/73/ du 2 février 2022