La détermination de l’âge du prévenu en procédure pénale

La détermination de l’âge en procédure pénale, qui est une question de fait devant le Tribunal fédéral, peut se fonder sur les constats du SEM et sur une expertise d’âge. L’expertise d’âge peut être sollicitée d’un expert permanent officiel (art. 183 al. 2 CPP) sans interpellation préalable du prévenu.

I. En fait

Le prévenu A faisant l’objet d’une procédure pénale pour des infractions contre le patrimoine allègue être mineur. Le Tribunal des mineurs du canton de Genève, se fondant sur l’apparence du prévenu et les constats du Service d’État aux migrations (SEM), se dessaisit en faveur du ministère public au motif que le prévenu est majeur. Ce dernier conteste ce dessaisissement.

Le ministère public ordonne une « expertise d’âge » et la confie au Centre universitaire romand de médecine légale (CURML). Il en ressort que sur la base d’un orthopantomogramme et d’un examen odontostomatologique, l’âge minimum du prévenu serait de 18.11 ans (i) ; sur la base d’un examen radiologique des articulations sternoclaviculaires, son âge minimum serait de 19 ans (ii) ; et, en conclusion, l’âge probable de A était entre 19 et 24 ans, avec un âge minimum de 18.5 ans en date du l’examen du 20 avril 2021 (iii). Les experts ont exclu les dates de naissance invoquées par le prévenu (4 ou 19 janvier 2004) et ont considéré que celle fixée par le SEM (1er janvier 2003) était possible.

Le Procureur général du canton de Genève a rejeté le recours contre le dessaisissement du Tribunal des mineurs (sur les questions procédures relatives aux voies de droit ouverte en matière de contestation de la compétence, cf. TF 1B_199/2021 du 4.5.2021 rendu dans cette même procédure). Sa décision est attaquée devant le Tribunal fédéral.

II. En droit

Le recours portant sur une question de compétence entre la juridiction pénale ordinaire et celle des mineurs est immédiatement recevable (art. 78 et 92 al. 1 LTF) (c. 1), étant toutefois précisé que les faits nouveaux postérieurs à la décision entreprise sont irrecevables (art. 99 al. 1 LTF) (c. 2). Les griefs en lien avec la position du SEM dans la procédure d’asile sont également exorbitants au litige (c. 3).

Le recourant se plaint du fait que la décision est fondée sur la prise de position du SEM et sur une expertise d’âge sur laquelle il n’avait pas pu préalablement se déterminer avant la désignation de l’expert (art. 182 ss CPP) (c. 4). Le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord que la détermination de l’âge d’un prévenu est une question de fait, en particulier s’agissant de l’interprétation d’une expertise. Le Tribunal fédéral ne peut dès lors intervenir qu’en cas d’appréciation arbitraire (c. 4.1). S’agissant de l’établissement de l’âge d’un prévenu, le Tribunal fédéral relève que l’expertise d’âge n’est qu’un élément parmi d’autre, étant toutefois précisé que s’agissant de cette expertise, la méthode scientifique – dite des « trois piliers » (examen clinique médical, examen du développement du système dentaire et examen par radiographie de la main gauche, respectivement si le développement du squelette de celle-ci est terminé, par scanner des clavicules) – peut, selon ses résultats, se voir reconnaître une valeur probante élevée. Le Tribunal fédéral précise encore qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qu’un certain pouvoir d’appréciation est laissé aux autorités pour établir l’âge d’une personne au vu de la difficulté inhérente à cet acte (c. 4.2).

En l’espèce, il n’était pas nécessaire d’interpeller le prévenu avant la désignation du CURML comme expert pour mener une expertise d’âge, car cette institution est un expert permanent officiel dans le canton de Genève (art. 183 al. 2 CPP et 25 let. a Loi d’application du Code pénal suisse et d’autres lois fédérales en matière pénale du canton de Genève [LaCP-GE ; RS-GE E 4 10]) (c. 4.3).

Sur le fond, l’autorité intimée s’est basée sur l’apparence du recourant, l’avis du SEM et sur une expertise d’âge. Ainsi, quand bien même il existe des critiques dans la doctrine sur la valeur probante d’une expertise d’âge, l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, à savoir en plus l’apparence du recourant et le constat d’une autre autorité, permet de conclure à la majorité du recourant, aucun cas limite n’existant en l’occurrence. L’appréciation du procureur général n’est ainsi pas arbitraire (c. 4.4 et 4.5).

III. Commentaire

La détermination de l’âge exact d’un prévenu n’est pas chose aisée, même en recourant à des expertises (cf. PC DPMin-Giger/Redondo/Tirelli, art. 3 N 6 ss). Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral confirme que, nonobstant certaines critiques, l’expertise d’âge a une portée non négligeable pour déterminer l’âge d’un prévenu.

Le point central de cet arrêt est toutefois ailleurs : le Tribunal fédéral reconnaît clairement le recours à des experts permanents (art. 183 al. 2 CPP) pour ce type d’expertise. Le canton de Genève a explicitement accordé aux spécialistes rattachés au CURML ce statut d’expert permanent (art. 25 let. a LaCP/GE). Ces derniers sont mis en œuvre dans de nombreux domaines de la procédure pénale sans interpellation préalable des parties : autopsie, constat de lésion traumatique, constat d’agression sexuelle ou encore examen sanguins (alcoolémie ou stupéfiant, notamment). Cet arrêt confirme ainsi cette approche et valide, à notre sens, la conformité au droit de ces examens sans interpellation préalable des parties.

Proposition de citation : Stéphane Grodecki, La détermination de l’âge du prévenu en procédure pénale, in : https://www.crimen.ch/62/ du 21 décembre 2021