L’utilisation du compte « réservé » d’un détenu afin de financer en partie ses frais de santé n’est pas contraire au droit

Le condamné doit participer aux frais d’exécution de la sanction dans une mesure appropriée par compensation de ceux-ci avec les prestations de travail. Il revient aux cantons de préciser les modalités de participation (art. 380 al. 2 let. a et al. 3 CP). Les cantons peuvent prévoir dans leur législation, sans violer le droit fédéral, qu’une partie de la rémunération du détenu soit prélevée de son compte « réservé » afin de financer ses frais de santé non couverts. Le montant prélevé doit toutefois respecter le principe de la proportionnalité et ne doit dès lors pas empêcher le détenu de subvenir à ses besoins personnels, ni l’entraver dans son épargne en vue de sa libération.

I. En fait

A a été détenu au Pénitencier de Bochuz, au sein des Établissements de la plaine de l’Orbe (EPO) du 25 juillet 2007 au 20 juillet 2010 puis à partir du 14 août 2014. Son transfert dès le 10 avril 2019 à l’établissement pénitentiaire de Thorber à Krauchthal (BE) a été ordonné par l’Office d’exécution des peines (OEP) le 5 avril 2019. Les effets personnels de A ont été placés dans des cartons commandés à l’atelier cartonnage du pénitencier. La veille du transfert, le Service de comptabilité des EPO a établi le document « Clôture et décompte de sortie » lequel a été remis à A. Ce dernier a sollicité des explications notamment en lien avec le transfert d’une somme de CHF 2’245.70 de son compte « réservé » au Service pénitentiaire ainsi qu’à une dette de CHF 63.90 due aux EPO. Il lui a été indiqué que son compte réservé avait été utilisé pour financer une partie de ses frais médicaux non couverts et que la dette de CHF 63.90 représentait le solde négatif de son compte disponible après déduction d’un montant de CHF 438.20 correspondant aux frais engagés pour son départ (achat de cartons pour empaqueter ses affaires personnelles et transport de ces dernières). A considère que l’utilisation faite de sa rémunération est contraire au droit et recourt par-devant le Service pénitentiaire vaudois (SPEN) puis au Tribunal cantonal vaudois qui rejettent tous deux son recours. Il porte sa cause devant le Tribunal fédéral. 

II. En droit

Le TF relève à titre liminaire que l’utilisation par l’établissement pénitentiaire de la rémunération du travail d’un détenu contre sa volonté ne constitue pas une décision d’exécution proprement dite au sens de l’art. 78 al. 2 let. b LTF mais une décision prise dans le cadre de l’art. 83 al. 2 CP contre laquelle le recours reste toutefois recevable (TF 6B_823/2017 du 25.1.2018, c. 1.1) (c. 1.1).

Dans un premier grief, A fait valoir qu’en l’absence d’accord de sa part, le prélèvement d’un certain montant de son compte réservé afin de financer une partie des frais médicaux non pris en charge par la caisse maladie ainsi que des primes d’assurance-maladie excédant le montant mensuel subsidié constitue une violation de l’art. 83 al. 2 CP (c. 2). 

Le TF commence par rappeler l’ensemble des bases légales pertinentes en la matière. Ainsi, le principe de la rémunération du travail effectué en prison est prévu par l’art. 83 al. 1 CP. Aux termes de l’art. 83 al. 2, « [p]endant l’exécution de la peine, le détenu ne peut disposer librement que d’une partie de sa rémunération. L’autre partie constitue un fonds de réserve dont il disposera à sa libération. La rémunération ne peut être ni saisie, ni séquestrée, ni tomber dans une masse en faillite. Sa cession ou son nantissement sont nuls ». Il revient aux cantons de fixer le montant de la rémunération prévue à l’art. 83 CP ainsi que son utilisation par le détenu (art. 19 Ordonnance relative au code pénal et au code pénal militaire [O-CP-CPM]). L’art. 380 al. 2 let. a CP astreint le condamné à participer aux frais d’exécution dans une mesure appropriée par compensation de ceux-ci avec les prestations de travail et il revient aux cantons de préciser les modalités de participation (art. 380 al. 3). La rémunération du détenu est répartie en trois parts (disponible 65%, réservée 20% et bloquée 15%) tel que cela ressort de l’art. 6 al. 2 de la Décision du 25 septembre 2008 relative à la rémunération et aux indemnités versées aux personnes détenues placées dans les établissements concordataires (Décision sur la rémunération des détenus) adoptée par la Conférence latine des autorités cantonales compétentes en matière d’exécution des peines et des mesures. L’art. 7 al. 3 ch. 5 de la même décision spécifie que la part réservée doit être utilisée, au besoin sans l’accord de la personne détenue, pour payer les frais médicaux. L’on retrouve les mêmes dispositions dans le Règlement vaudois sur le statut des personnes condamnées exécutant une peine privative de liberté ou une mesure (RSPC/VD) aux art. 59 à 61 (c. 2.1 à 2.3). 

La cour cantonale a considéré qu’au vu des bases légales précitées, le SPEN était en droit de prélever la somme de CHF 2’245.70 du compte « réservé » de A afin de compenser partiellement la part des primes excédant le montant mensuel subsidié, la franchise et la participation aux frais médicaux non pris en charge par la caisse maladie (c. 2.4). A soutient quant à lui que les frais d’exécution de la sanction sont déjà compensés par les prestations de travail qu’il effectue en détention dès lors que ces dernières donnent lieu à une rémunération inférieure à un salaire régulier. En conséquence, il ne pourrait être fait usage une deuxième fois de cette rémunération pour payer lesdits frais d’exécution (art. 380 al. 2 let. a CP) (c. 2.5.1). Le TF se rallie au raisonnement de la cour cantonale. Selon lui, il revient aux cantons de préciser les modalités de la participation du condamné aux frais (art. 380 al. 3 CP) et ces derniers peuvent prévoir – comme c’est le cas dans le canton de Vaud (art. 59 et 60 RSPC/VD) – que lesdits frais soient débités, dans une mesure appropriée et à titre de compensation, du compte disponible ou réservé du détenu sans violer le droit fédéral (c. 2.5.2).

Dans un deuxième grief, le recourant soutient que l’art. 83 al. 2 CP ne prévoit que la constitution d’un compte disponible ainsi que d’un compte bloqué. L’art. 60 RSPC/VD, en permettant la création d’un troisième compte dit « réservé », violerait par conséquent le droit fédéral. Selon lui de plus, la rémunération prévue à l’art. 83 CP est insaisissable. En cas de non-paiement de frais de santé non couverts, il reviendrait à l’assureur d’engager des poursuites et si le détenu n’a ni fortune ni autre revenu, de lui délivrer un acte de défaut de bien (c. 2.6.1).

La question qu’il revient dès lors au TF de trancher est celle de savoir si le compte « réservé » de A pouvait être utilisé sans son accord afin de s’acquitter des frais médicaux non pris en charge par la caisse maladie ainsi que de la part des primes d’assurance-maladie dépassant le montant mensuel subsidié. Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de préciser que le but de l’art. 83 al. 2 CP est d’assurer au détenu libéré de pouvoir disposer d’un capital de départ aussi élevé que possible. L’insaisissabilité de la rémunération prévue par la même disposition s’explique par la volonté du législateur de ne pas nuire à la motivation du détenu dans l’accomplissement de son travail et par conséquent à « la sécurité dans l’exécution de la peine » ainsi que d’éviter que l’absence d’épargne porte préjudice à sa réinsertion (TF 1B_82/2019 du 30.7.2019, c. 3). De même, il ne peut être demandé à un détenu qu’il s’acquitte d’un montant le contraignant à des restrictions excessives. Toutefois, notre Haute Cour souligne que l’art. 83 al. 2 CP n’est pas libellé de manière exhaustive en ce sens qu’il prévoirait que la rémunération du travail du détenu soit allouée exclusivement à un fonds libre et, respectivement, de réserve dont il ne pourra disposer qu’à sa libération. Ainsi, selon la doctrine, si une base légale expresse le prévoit, une partie de la rémunération du détenu peut être utilisée de manière limitée et ciblée même sans son accord. Les frais médicaux sont notamment visés. Une telle base légale existe dans le canton de Vaud, l’art. 60 RSPC/VD disposant que « [l]e compte réservé est alimenté par le versement de 20 % des montants perçus au titre de la rémunération, de l’indemnité équitable et des suppléments » (al. 1) et que « [c]e compte doit être utilisé, au besoin sans l’accord de la personne condamnée, pour : […] les frais de santé non couverts par l’assurance maladie » (al. 2 let. c). Le TF ajoute qu’en l’espèce le montant prélevé n’est pas disproportionné au regard du but de l’art. 83 al. 2 CP dès lors que A peut subvenir à ses besoins personnels en faisant usage de son compte libre (65% des montants perçus au titre de rémunération) et n’est pas été empêché d’épargner (15% des montants perçus au titre de rémunération étant alloué à son compte bloqué) (c. 2.6.2).

Le recourant fait ensuite valoir que les frais médicaux non couverts ainsi que les parts des primes d’assurance-maladie ne constituent pas des frais d’exécution des peines et des mesures au sens de l’art. 380 al. 2 CP. Cet argument est balayé par le TF qui souligne qu’il s’agit de frais obligatoires permettant au détenu de demeurer en bonne santé. L’art. 380 al. 3 CP autorise de plus les cantons à adopter des dispositions précisant les modalités de la participation du condamné aux frais. En outre, la notion de frais doit s’interpréter de façon large tant qu’elle reste conforme au but et au sens de l’art. art. 83 al. 2 CP (c. 2.7.1 – 2.7.3).

Finalement, le recourant reproche au SPEN d’avoir violé les art. 59 RSPC/VD et 83 CP en prélevant sans son accord des frais pour l’emballage et le transport de ses affaires personnelles suite à son transfert (c. 4.1). Le TF considère, pour les mêmes raisons que celles évoquées au c. 2.6.2, qu’il n’y a pas lieu d’admettre une violation du droit fédéral. Quant à la violation alléguée de l’art. 59 RSPC/VD, le recours ne répond pas aux exigences de motivation accrue qui s’imposent lorsqu’il s’agit de critiquer l’application du droit cantonal sous l’angle de l’arbitraire (art. 9 Cst.) (c. 4.5).

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral rejette le recours (c. 5).

Proposition de citation : Laura Ces, L’utilisation du compte « réservé » d’un détenu afin de financer en partie ses frais de santé n’est pas contraire au droit, in : https://www.crimen.ch/143/ du 13 octobre 2022